27 février 2012

La fin de la nuit

      Un cauchemar de cinq années va s’achever dans quelques semaines. Comment tout ceci ne nous inspirerait-il pas de fécondes réflexions ? Quel a été le fruit de toute cette agitation, de toute cette ambition, de toute cette comédie ? De la fatigue, de la contrainte, de la peur, et rien de plus. Pendant ce temps, le chômeur exécré reste chez lui, regarde les étoiles et lit Mallarmé. Ô France, ne sens-tu pas en ton sein le doux frémissement annonciateur d’une aube nouvelle ?

22 février 2012

Baudelaire

      Depuis quelques jours, je me suis replongé dans Les Fleurs du Mal de Baudelaire. Force est de constater que le charme agit toujours. Quel livre unique… Jamais je crois on n’a vu une rupture aussi nette dans l’histoire de la poésie. Jusqu’aux Fleurs du Mal, il y avait dans toute poésie une part, parfois prépondérante, de déclamation. Baudelaire tranche ce fil, et le tranche à jamais. Tous les poètes postérieurs, sans exception, sont issus de lui. Nul autre auteur français ne peut se targuer d’une telle postérité.
       La clé du pouvoir de Baudelaire, c’est sa maladresse. Comme il ne peut pas compter sur sa virtuosité (ou, dirait Gide, comme il se refuse à l’employer), il compense par l’intelligence et la rigueur de construction. Il est appliqué, ce qui semblait inconcevable pour un poète. Il est humble, il ne s’aime pas (contrairement aux romantiques), et en littérature, comme en politique, comme en tout, c’est la modestie qui ouvre la voie aux entreprises déterminantes.

20 février 2012

La littérature et le présent

      Toute bonne littérature se joue dans l’instant. L’instant présent est toujours significatif, et c’est à saisir cette signification que doit s’attacher la littérature. Ce qui est trop concerté, trop construit, trop prémédité, perd de son impact, devient artificiel. Il en est d’ailleurs de même dans la vie : ce n’est que lorsque l’on agit spontanément que l’on est véritablement sincère et que l’on touche les autres. Ce qui est planifié reste intellectuel, s’éloigne de la source mystérieuse de la vie. Celui qui veut écrire doit donc faire preuve d’humilité, ne pas penser que c’est de lui-même seulement qu’il tire la matière de son œuvre, mais accepter avec patience ce que lui apporte l’instant présent.

13 février 2012

André Gide

      Fini Œdipe de Gide. On n’est jamais surpris avec lui, jamais déçu non plus. Théâtre purement verbal, aucun artifice de mise en scène, ce qu’il faut mettre à son crédit. Une économie, un dénuement qui m’ont toujours plu chez lui. Bien entendu, à travers tous les personnages, c’est toujours Gide qui parle, comme dans toutes ses œuvres de fiction ; il n’a jamais su (ou pu, ou voulu) s’extraire de lui-même, et cela a sans nul doute joué contre lui depuis sa mort. C’est d’ailleurs dans la partie la moins personnelle de la pièce, dans le passage imposé (la révélation) que l’on sent Gide le plus à la peine, escamotant un peu le dénouement, selon son habitude. Dans l’ensemble, une œuvre de belle tenue, avec certains accents qui annoncent déjà Thésée, et qui mérite mieux que l’oubli total dans lequel elle a sombré.

11 février 2012

Lovecraft

      J’ai beaucoup de mal à avancer dans L’Affaire Charles Dexter Ward de Lovecraft. J’avais bien aimé les nouvelles qui précédaient, surtout Le Monstre sur le seuil, sans conteste la meilleure que j’aie lu de lui à ce jour, d’une originalité et d’une authenticité dans l’horreur tout à fait remarquables, sans parler de la qualité toute classique de la construction. C’est là sans doute le trait le plus marquant du génie de Lovecraft : l’alliance d’une forme et d’une écriture tout à fait traditionnelles avec un contenu d’une nouveauté et d’une horreur extrêmes. Mais le style de Lovecraft, narratif et descriptif, s’il convient très bien aux formats courts, devient assez indigeste à mon goût lorsqu’il dépasse les cinquante pages.

4 février 2012

L'essence du sacrifice

      Le sacrifice d’êtres vivants se trouve au fondement de toutes les religions. On le trouve chez les Grecs, les Hébreux, les Hindous, les Chinois, les Incas. Il est toujours pratiqué dans l’Islam et, d’une manière symbolique mais centrale, dans le christianisme. Quelle est donc l’essence du sacrifice, cette pratique ancestrale, plus ancienne et plus universelle que toutes les autres ?
       Le sacrifice, à mon sens, possède deux vertus principales. Il permet tout d’abord, de manière instantanée, l’unité de l’esprit, qui est la chose la plus précieuse que les hommes puissent posséder. Le spectacle d’un animal (ou d’un humain) mis à mort sollicite toute l’attention, plonge le spectateur dans l’instant présent et purge la conscience de toutes les impuretés abstraites et égocentriques qui l’encombrent. En second lieu, et c’est le plus important, le sacrifice met le spectateur en présence de la liberté ontologique de tout être vivant. Avec l’animal mis à mort, c’est toute sa représentation du monde qui est détruite. L’univers perd alors son caractère nécessaire et apparaît tel qu’il est vraiment : gratuit, nouveau, contingent, disparaissant et renaissant sans cesse. L’action devient alors possible.