28 septembre 2012

La Délicatesse

      Lu La Délicatesse, de David Foenkinos. Roman étonnamment médiocre, sur tous les plans. Un style très irritant, qui cherche sans cesse à justifier ses prétentions littéraires, de manière souvent très maladroite. Une volonté constante de se mettre les lecteurs (ou plutôt les lectrices) dans la poche, par un mélange d'humour convenu et de sensiblerie épaisse. Mais c'est surtout l'histoire qui est horripilante, avec des personnages très antipathiques, passifs et conformistes, dénués de la moindre personnalité. On sent quelque chose de très déplaisant derrière tout cela, l'aptitude à se soumettre à toutes les compromissions pour bien figurer dans le jeu social, l'acception totale des codes (en matière culturelle tout autant que sentimentale) derrière un vernis racoleur d'excentricité, la peur panique d'être différent, d'être exclu, d'être seul. Bref, un ouvrage bien à l'image de l'époque funeste (2009) où il a été écrit. 

12 septembre 2012

Le discours intérieur

     
       Quelle étrange union s'est nouée entre la vie et le langage ! Et si récente : quelques centaines de générations à peine, quelques milliers tout au plus... Et pourtant ces deux choses se sont liées de manière tellement inextricable que nous ne pouvons plus les concevoir l'une sans l'autre...
      Y a-t-il une puissance plus grande dans le monde que celle d'un mot ? Je répète trois fois « François Mitterrand » et je me sens invincible, souverain, d'une subtilité infinie ; je répète trois fois « Nicolas Sarkozy » et la peur m'envahit, je deviens fébrile, je ressens le besoin de tromper les autres, de les flouer. Ainsi, chaque nom, chaque mot possède sa vertu propre, ses effets particuliers sur le psychisme. Tels des mantras, leur simple formulation colore notre espace intérieur. Dans ces conditions, qui peut nier l'extrême nécessité qu'il y a à maîtriser son discours intérieur ? Car c'est bien en cela que consiste dorénavant notre être, en fin de compte : un intarissable discours intérieur, dicté à moitié par les événements, à moitié par notre propre volonté. Et toute la journée ces mots invisibles et silencieux se succèdent, les uns fugitifs comme la sensation qui les a fait naître, les autres acquérant parfois la persistance d'une obsession : « argent », « manger », « Jessica », « Stéphanie », « vacances », « emmerdes », etc., etc. « De quelque mot profond tout homme est le disciple » a écrit Victor Hugo, en une de ces formules lumineuses dont il avait le secret. Oh ! quelle importance capitale revêt le choix des mots dont nous nous faisons les disciples ! Et quelle chance nous avons de pouvoir confier la conduite de notre vie à un instrument aussi précis, aussi sûr et aussi noble que le langage !
     

3 septembre 2012

Considérations sur Platon

     
      Lorsque je pense à ce qu'aurait été ma jeunesse sans Platon, je suis pris d'un frisson rétrospectif. Au sein de la déliquescence universelle, lui seul m'a offert l'image de la fermeté, de l'ordre, et surtout d'une infinie volonté de progresser, de s'améliorer. Il a été l'oasis dans le désert, le guide, le maître, l'ami.
      Oh je ne prétends pas qu'il soit exempt de défauts. Les dialogues de Platon sont remplis de défauts, et parfois assez pénibles à lire. On est souvent agacé par leur plan sinueux, leur style redondant et dénué de grâce, leurs digressions interminables, cette absence de concision qui fait qu'il y a toujours une nouvelle question à ajouter, toujours un nouveau problème à soulever. Et surtout, ce qui est très frustrant, c'est qu'il n'y a presque jamais de solution définitive, de préceptes clairs auxquels se raccrocher. J'ai mis bien du temps à comprendre que c'était une erreur que de lire Platon pour y trouver une doctrine, une théorie. Platon s'en est expliqué d'ailleurs dans le Phèdre : la vérité est une chose que l'on cultive en soi et qu'il est illusoire de prétendre confier au langage. Ses dialogues sont un divertissement de l'esprit, un divertissement plus épanouissant et plus raffiné que les beuveries auxquelles se livraient ses contemporains, et voilà tout.
      Ce qui me séduit plus que tout chez Platon, c'est son absence absolue de nostalgie. Il ne parle jamais de lui, ni en son nom propre. Ses personnages partent de situations concrètes, mais ils s'élèvent très vite à des considérations qui n'ont plus rien d'incarné. Ils évoluent au sein de notions intemporelles, impersonnelles, dans un espace vierge et immaculé. Et certes, c'est bien de cette manière qu'il faut considérer la vie si l'on ne veut pas devenir le prisonnier du passé. Peu importent nos souvenirs, peu importe notre personnalité même ou notre destin, seul existe en fin de compte l'aspiration immémoriale de l'âme à la liberté.