3 septembre 2012

Considérations sur Platon

     
      Lorsque je pense à ce qu'aurait été ma jeunesse sans Platon, je suis pris d'un frisson rétrospectif. Au sein de la déliquescence universelle, lui seul m'a offert l'image de la fermeté, de l'ordre, et surtout d'une infinie volonté de progresser, de s'améliorer. Il a été l'oasis dans le désert, le guide, le maître, l'ami.
      Oh je ne prétends pas qu'il soit exempt de défauts. Les dialogues de Platon sont remplis de défauts, et parfois assez pénibles à lire. On est souvent agacé par leur plan sinueux, leur style redondant et dénué de grâce, leurs digressions interminables, cette absence de concision qui fait qu'il y a toujours une nouvelle question à ajouter, toujours un nouveau problème à soulever. Et surtout, ce qui est très frustrant, c'est qu'il n'y a presque jamais de solution définitive, de préceptes clairs auxquels se raccrocher. J'ai mis bien du temps à comprendre que c'était une erreur que de lire Platon pour y trouver une doctrine, une théorie. Platon s'en est expliqué d'ailleurs dans le Phèdre : la vérité est une chose que l'on cultive en soi et qu'il est illusoire de prétendre confier au langage. Ses dialogues sont un divertissement de l'esprit, un divertissement plus épanouissant et plus raffiné que les beuveries auxquelles se livraient ses contemporains, et voilà tout.
      Ce qui me séduit plus que tout chez Platon, c'est son absence absolue de nostalgie. Il ne parle jamais de lui, ni en son nom propre. Ses personnages partent de situations concrètes, mais ils s'élèvent très vite à des considérations qui n'ont plus rien d'incarné. Ils évoluent au sein de notions intemporelles, impersonnelles, dans un espace vierge et immaculé. Et certes, c'est bien de cette manière qu'il faut considérer la vie si l'on ne veut pas devenir le prisonnier du passé. Peu importent nos souvenirs, peu importe notre personnalité même ou notre destin, seul existe en fin de compte l'aspiration immémoriale de l'âme à la liberté.

2 commentaires:

  1. Ha Laconique, vos articles sont si rares qu'ils en deviennent précieux ! Mais quand vous vous mettez au boulot, vous vous attaquez à du lourd dans des registres radicalement différents : "True Romance" suivi de Platon. Remarquez, on peut y voir une certaine logique : avec Platon nous ne sommes pas très loin du titre d'un film culte d'Oliver stone...

    Avant toute chose, je souhaite vous faire part de deux malencontreuses coquilles qui se sont glissées par inadvertance dans ce texte brillant et, au contraire des écrits de Platon, agréable à lire : lignes 7 et 8.

    Je connais un peu ce Platon, me suis adonné à la lecture de quelques-uns de ses écrits et je dois dire que vous retranscrivez à merveille les impressions que j'ai ressenties alors : "pénibles à lire", "plan sinueux", "style redondant", "digressions interminables", "absence de concision", "jamais de solution définitive". Pour toutes ces raisons et contrairement à vous, cher Laconique, je suis donc loin d'être fan !

    Et pourtant, comme vous, chacune de ces lectures m'a inspiré "l'image de la fermeté, de l'ordre, et surtout d'une infinie volonté de progresser, de s'améliorer."
    Je crois que vous avez visé juste pour ce qui est de l'explication. En effet, et encore une fois je suis dans l'obligation d'employer vos propres mots tant il ne saurait y en avoir de plus justes, les personnages "évoluent au sein de notions intemporelles, impersonnelles, dans un espace vierge et immaculé." Il en ressort que, malgré les nombreux défauts des dialogues, nous avons l'impression de nous élever.

    Dommage que nous retombions brutalement parfois avec l'évocation de jeunes éphèbes qui nous laisse entrevoir qu'il existe pour ces grecs antiques, bien loin du monde des idées, un monde beaucoup plus bestial et très incarné ou la virginité n'a pas son mot à dire. Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise, cher Laconique, je me suis retenu tout le commentaire d'y faire allusion, mais je crois que c'était présumer de mes forces...

    A bientôt.

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    1. Hé oui cher Marginal, je prends exemple sur votre célèbre site, j’essaie d’alterner les genres. Je vous remercie pour les coquilles, deux grosses fautes d’orthographe comme ça dans un texte sur Platon, c’est la honte…

      Nos avis convergent donc sur Platon. Je crois en effet me souvenir d’une époque où vous lisiez des dialogues de cet auteur d’une traite ou presque. Il est vrai qu’il est difficile de s’arrêter quand on en a commencé un car on se demande toujours où il veut en venir. Il faut reconnaître qu’on est souvent déçu quand on arrive au bout, au début en tout cas. Avec le temps et la pratique, je dois avouer que nombre de ses idées m’ont trotté dans la tête et ont nourri ma propre réflexion. C’est un auteur très stimulant en tout cas, et j’aime beaucoup écrire sur lui, je l’ai déjà fait à plusieurs reprises.

      Il est vrai que la plupart de ses dialogues commencent par l’éloge d’un jeune et bel éphèbe, dont on se demande si son âme est aussi belle que son corps… Une telle insistance surprend au début, et puis on s’y fait. Je dirais même qu’avec l’habitude j’ai fini par interpréter cette tendance comme le signe d’une aspiration à la pureté, comme une volonté d’autarcie, de se repaître de sa propre nature plutôt que d’une nature étrangère. Mais je sens que je vous inquiète, je m’arrête donc là !

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