16 juillet 2013

Guillaume Musso : 7 ans après


      Guillaume Musso est, paraît-il, l’auteur français le plus lu. Cela faisait longtemps que ses ouvrages aux couvertures bariolées et aux titres un peu racoleurs (Que serais-je sans toi ? Seras-tu là ? Je reviens te chercher) titillaient ma curiosité. Décidé à me faire enfin ma propre idée sur le phénomène, je me suis donc procuré son dernier ouvrage paru en poche : 7 ans après (et non Sept ans après, histoire sans doute de coller davantage à un style texto plus familier à son lectorat). 
      Tout d’abord, il faut reconnaître à Guillaume Musso une indéniable propreté d’exécution. C’est plutôt bien écrit, efficace, évocateur, rien qui dépasse, on sent le travail, les versions successives pour arriver à un résultat bien léché. Le style est comme la couverture : très avenant, on ne peut pas dire que le lecteur soit rebuté sur ce plan-là. 
      Je ne dis rien sur l’histoire, c’est du cinéma mis sur papier, des images qui défilent au moyen des mots, sans la moindre épaisseur psychologique, mais après tout on a le droit, on ne demande pas à un roman d’aventures de nous révéler les tréfonds de la psyché humaine. 
      Je passe maintenant à ce qui m’a un peu plus gêné. Tout d’abord, Guillaume Musso est l’inventeur d’un concept (à moins que ce ne soit Marc Lévy) : le roman américain traduit en français directement écrit en français. Ses héros, Sébastian et Nikki, sont deux Américains vivant à New York, qui ne parlent pas un mot de français. Du coup, lorsqu’ils s’expriment, c’est soit, pour les phrases simples, carrément en anglais, en VO pourrait-on dire : « My name is Sebastian Larabee. I am American. This is a picture of my son Jeremy. He was kidnapped here two days ago. Have you heard anything about him ? » Soit, dans la plupart des cas, c’est en version « doublée », par exemple : « Je ne peux pas vous parler maintenant, poursuivit-il toujours en anglais. » J’avoue que le fait que l’auteur français le plus lu mette en scène des personnages américains parlant américain d’un bout à l’autre de ses romans a quelque chose qui me chiffonne un peu, mais je dois avoir l’esprit étroit, passons…
      Non, ce qui est vraiment déplaisant dans l’univers de Guillaume Musso, c’est le matérialisme un peu crasse, un peu primaire, qui s’en dégage. On est tout de même en droit d’attendre d’un romancier une vision du monde personnelle, basée sur une certaine hiérarchie de valeurs qui dépasse un peu le consumérisme stupide et immédiat des catalogues pour magasins d’électro- ménager. Or, Guillaume Musso, ce qu’il aime, on le sent, ce ne sont pas les grandes idées ni les grands sentiments, c’est le luxe, le confort, les belles choses. Son univers est bipolaire : en haut, il y a « l’Upper East Side », les « lounges cosy », les « coupés aux vitres teintées », les « notebooks », les « fesses hautes et rebondies » ; en bas, il y a le monde glauque dans lequel il plonge, pour les faire souffrir, ses richissimes personnages : « les rades de banlieue, sinistres et crades », les « SDF », les « éclairages pisseux » de la gare du Nord, les « faunes bigarrées », les « faunes interlopes », etc. Ah ! il n’aime pas ça, les « faunes interlopes », notre Guillaume Musso, tout ça crée chez lui, je le cite, un « malaise », heureusement vite dissipé dès que ses héros s’engouffrent dans un avion et replongent dans leurs « iPods » et leurs « notebooks ». 
       Toute œuvre littéraire est le reflet de son époque. Celle de Guillaume Musso, agitée, tape-à-l’œil, dénuée de toute compassion et de tout idéal, est sans doute à l’image de la nôtre. On peut tout de même s’interroger sur toute cette génération d’auteurs, Guillaume Musso, Frédéric Beigbeder, Yann Moix, Michel Houellebecq, etc., qui ont vu sans sourciller, sans émettre la moindre réserve, l’accession au pouvoir du dirigeant le plus corrompu et le plus nocif que la France ait connu depuis plus d’un demi-siècle. On peut se poser des questions sur tous ces auteurs qui ont continué à prospérer comme si de rien n’était alors que leur pays s’enfonçait dans une crise atroce et amplement méritée. Victor Hugo s’était exilé pour moins que ça. Il est vrai que Guillaume Musso n’est pas encore tout à fait Victor Hugo.

5 commentaires:

  1. Ah vous revoilà, cher Laconique ! Vos innombrables lecteurs, dont l'illustre Marginal Magnifique n'en pouvaient plus d'impatience ! Cela faisait bien longtemps que vous ne nous aviez gratifiés d'une chronique littéraire et je constate avec le plaisir de vous lire à nouveau mais aussi un peu dépit que vous poursuivez votre exploration des auteurs qui ont la côte aujourd'hui, comme Rey et
    Foenkinos, ces tafioles pédantes et précieuses.

    Je comprends du reste tout à fait que ces romans puissent "titiller votre curiosité", mais j'ai plus de mal à comprendre qu'un esprit aussi aguerri et pénétrant que le vôtre ait l'espoir d'y trouver des qualités et d'avoir du plaisir à les lire. Comment voulez-vous donc apprécier ce genre d'ouvrages, cher Laconique, vous qui êtes habitué à parcourir des œuvres puissantes, sur le plan stylistique mais aussi sur celui du contenu ? Pour ce Musso, il est clair comme de l'eau de roche que nous avons des produits calibrés, du bon boulot, "efficace" et "bien léché", mais dénué d'âme, "de "vision du monde personnelle et "sans la moindre épaisseur psychologique", bref des recettes appliquées avec succès par un faiseur, qui finalement aurait tort de se priver de continuer ce genre d'exercices puisque apparemment il y excelle. Reconnaissons quand même qu'il faut un certain talent pour produire ce type d'ouvrages, que ce n'est pas donné à tout le monde. Musso est sans doute brillant à sa façon... Et reconnaissons également que sa lecture par le puissant Laconique nous permet de nous délecter d'un article paradoxalement inspiré et brillant. Je me suis bien régalé avec votre compte-rendu de lecture cher Laconique, qui témoigne une fois encore encore de votre rigueur d'écriture et d'analyse.

    Pour ce qui est de l'"univers bipolaire" de Musso, "son matérialisme un peu crasse", l'évocation que vous en faites me fait songer à celui de Bret Easton Ellis, notamment dans son roman culte "American Psycho" : j'imagine toutefois que chez Musso on ne trouve aucune trace de cynisme et encore moins de dimension trash, porno ou gore. Puis on rejoint ce que nous disions plus haut concernant la vision du monde : chez Ellis la description du train de vie de "richissimes personnages" permet de l'éclairer pour mieux le critiquer, de dénoncer la vanité de l'ultra-consumérisme et le manque de valeur des golden boys. Il me semble, d'après ce que vous en dites, car, Dieu m'en préserve, je n'ai pas encore eu votre courage pour le lire, que Musso au contraire loue ce mode de vie et l'oppose à un "monde glauque", celui des "faunes interlopes", qui serait un peu le monde dans lequel évolue un Bukowski. À bien y réfléchir on pourrait presque dire au final qu'il y a une vision du monde chez Musso : simpliste, manichéenne, conne, mais elle est là !

    La seule réserve que j'émets concernant votre article, cher Laconique, porte, vous vous en doutez, sur le fait que vous ne puissiez vous empêcher d'y glisser (l'air de rien, coquin !) votre obsession avec "l’accession au pouvoir du dirigeant le plus corrompu et le plus nocif que la France ait connu depuis plus d’un demi-siècle". Ah, ça faisait longtemps que nous n'y avions pas eu droit !!! La politique pointe ici le bout de son nez en conclusion de façon un peu désagréable et inopportune selon moi, cher Laconique. Mais heureusement que vous vous rattrapez avec l'évocation de Hugo et le bon mot final.

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  2. Une dernière remarque : je suis surpris que vous placiez Houellebecq, qu'il me semble vous admiriez et placiez nettement au-dessus de ses contemporains, sur le même plan que
    Guillaume Musso, Frédéric Beigbeder, Yann Moix... D'ailleurs même Moix ne mérite pas d'être accolé aux deux autres selon moi, il a quelque chose de plus, une authenticité que Musso et Beigbeder n'ont pas. Il manquerait plus que vous ajoutiez à cette liste Le Marginal Magnifique !!! Mais je suis certain qu'un tel sacrilège ne vous a même pas effleuré l'esprit...

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  3. Et oui, cher Marginal, un peu de critique ne fait pas de mal, c’est même la vocation originelle de ce site. Le truc, c’est que je ne critique pas tous les ouvrages que je lis, seulement ceux à propos desquels j’estime qu’il y a quelque chose d’intéressant à dire. Je n’ai rien écrit sur « La Planète des singes » de Pierre Boulle par exemple, car j’ai estimé que ce n’était pas la peine de solliciter le temps de mes innombrables lecteurs juste pour dire que c’était un honnête roman de SF des années 60, avec un univers très riche, et toujours fécond d’ailleurs. A quoi servirait-il de répéter ce que personne ne conteste ?

    Que voulez-vous, ma curiosité pour la production contemporaine, même si elle n’est pas très vive, me fait quand même me pencher régulièrement sur les romans qui sortent, comme vous avez eu l’élégance de le rappeler. Oh ! ce n’est pas « l’espoir d’y trouver des qualités » qui me pousse, mais la soif d’un peu de variété : il n’y a pas que Platon et Plutarque dans la vie, je suis curieux de voir ce que mes contemporains pensent de la vie et de la destinée humaine. Et puis ça aère l’esprit de lire des choses un peu moins denses de temps en temps.

    Détrompez-vous sur Musso : il n’est pas du tout « brillant à sa façon ». Le bouquin que j’ai lu de lui est tout à fait superficiel, plein de clichés, lourdingue, vraiment insignifiant. (Il faut dire aussi que, d’après ses lecteurs, c’est un de ses moins bons…) Musso est un faiseur, un artisan besogneux et laborieux, qui donne à son public ce qu’il recherche : de l’évasion, des aventures, une pincée de beaux sentiments, etc. Il est consciencieux dans l’application de ses recettes, mais il est tout sauf « brillant ». Les ficelles sont très épaisses, je vous assure !

    Vous avez bien saisi la différence entre Ellis (que je trouve tout de même, soit dit en passant, bien surfait, d’ailleurs on en parle moins depuis quelques années) et ce fastidieux tâcheron de Musso. Ellis est malin, il est tout à fait conscient, en bon cynique qu’il est, du côté pitoyable du consumérisme haut-de-gamme. Musso, lui, se régale candidement des gadgets de la modernité. Et il aime vraiment le luxe, les beaux-quartiers de New York, c’est patent, c’est le « nec plus ultra » de l’existence pour lui. Mais changeons de sujet, vraiment, avoir écrit une page là-dessus me suffit amplement, et ni Tony Robbins ni mes maîtres de la sagesse indienne n’approuveraient que je fixe davantage ma pensée sur de tels objets.

    Vous pensez bien que ce n’est pas sur le plan littéraire que je mets Houellebecq ou Moix au même niveau que Musso. Non, c’est dans l’aveuglement politique dont ils ont fait preuve et que la postérité ne leur pardonnera pas qu’ils sont équivalents. La France s’est enfoncée, délibérément, dans la médiocrité et la vulgarité, et aucun d’eux n’a eu le discernement de s’en rendre compte. Ne pas discerner ce qui juste ou injuste, je ne vois rien de pire, surtout pour des autoproclamés « intellectuels ». Mais je sais que Le Marginal n’aime pas les discussions politiques, aussi je n’insiste pas. Et si je considère la neutralité du Marginal Magnifique avec plus d’indulgence, c’est parce que je sais que sa source est bien plus noble : le Marginal est mille pieds au-dessus de toutes ces misères, il est puissant, il se forge ses propres lois et son propre idéal, le destin de la France ne le concerne que de loin, heureux qu’il est dans les cimes de l’absolu !

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  4. Vous avez bien cerné l'univers de Musso. Il n'en reste pas moins que ses romans permettent de passer d'agréables moments. Le suspense est au rendez-vous et les personnages accrochent. Les intrigues sont bien ficelées et les dénouements assez surprenants. Bien sûr, rien à voir avec la littérature de notre grand Victor Hugo qui donne toute sa dimension au mot génie. Bonne journée.

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  5. Je n'ai lu qu'un roman de lui, alors je suis sans doute mal placé pour le juger. C'est bien fait, c'est sûr, et ce n'est pas désagréable à lire, mais pour être franc, Musso me semble un peu trop dans le sens du courant pour me plaire. Il aime la jeunesse, la beauté, le confort, le monde tel qu'il va, etc. Lisez un roman de Stephen King, le rapport à la vie est tout différent. Et moi, à mon humble niveau, je serai toujours, avec Hugo et Stephen King, du côté des humbles, des paumés et des originaux, car ce sont eux qui créent leur rapport au monde plutôt que de le subir !

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