30 août 2014

Roman et misanthropie


      Lu La Valse aux adieux de Milan Kundera. Il semble qu’une certaine misanthropie soit consubstantielle au genre romanesque. Le romancier considère l’humanité de haut, comme un biologiste se penche sur des insectes. C’est là la formule du naturalisme, de Proust qui dissèque les ridicules du faubourg Saint-Germain, de Houellebecq dans ses meilleurs ouvrages. Le romancier est lucide, il est donc pessimiste.
      Je ne vois qu’un seul grand romancier qui fasse exception à la règle, c’est Dostoïevski. Dostoïevski opère un renversement de perspective : il ne considère pas le monde objectivement, il part de la subjectivité de chaque personnage. Voilà pourquoi il n’y a pas de vrai méchant, de personnage complètement antipathique chez lui : même les pires scélérats ont leurs bons côtés, leurs idéaux, leurs raisons d’agir qu’ils s'imaginent nobles et supérieures. La racine d’une telle vision du monde, c’est l’humilité. Dostoïevski ne se figurait pas valoir mieux que les bagnards qu’il avait fréquentés en Sibérie. Il avait compris que l’humanité était une, et la compassion avait remplacé chez lui le dédain et la répulsion. Conversion remarquable, dont on ne sait si c’est à la morale ou à la littérature qu’elle a été le plus profitable !

4 commentaires:

  1. Salut, cher Laconique. Voyez : le Le Marginal Magnifique reste l'un de vos plus fervents et fidèles admirateurs, sinon le plus fervent et fidèle parmi vos innombrables lecteurs.

    Toujours en pause estivale, qui se prolongera peut-être en pause automnale, je vais faire court : je connais bien Kundera, je l'aime beaucoup, justement pour sa façon de "considérer l’humanité de haut, comme un biologiste se penche sur des insectes". Il semble effectivement que ce soit là l'apanage du roman - peut-être faudrait-il préciser du roman à la troisième personne, avec un narrateur omniscient ? - en toute logique, puisque ce genre, généralement, embrasse la destinée de plusieurs personnages en les faisant évoluer au sein d'une trame fictionnelle.

    Je ne souscris cependant pas à votre thèse qui voudrait qu'"une certaine misanthropie soit consubstantielle au genre romanesque". Ou je devrais plutôt dire que vous empruntez un raccourci : ce n'est pas parce que le roman met en scène des personnages en les analysant qu'il est forcément misanthrope. Je crois plutôt que les romanciers, en tout cas les grands noms que vous citez, ont un talent particulier d'observation et d'analyse en plus d'un vécu riche, et se veulent lucides. Si le lecteur conçoit de lui-même une image misanthrope de l'humanité, c'est peut-être alors que celle-ci ne vaut pas la corde pour se pendre...

    Pour ce qui est de Dostoïevski, je l'ai lu depuis trop longtemps pour avoir un avis sur son cas, mais j'avoue que vous défendez bien votre bout de gras et on vous suit avec plaisir, sans broncher, cher Laconique !

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  2. J’apprécie votre fidélité, cher Marginal ! D’autant plus que vous vous faites rare sur le net, et que les fans du Marginal Magnifique doivent prendre leur mal en patience depuis de longues semaines. Mais votre renommée est telle maintenant que vous pouvez même vous passer de publier, je suis sûr que les visites de votre site ne baissent pas d’un iota !

    Vous avez raison d’être bref, et je vais l’être moi aussi, car il est tard, et il n’y a pas assez de matière dans mon billet pour donner lieu à de longs développements. Il est vrai que le « talent d’observation et d’analyse » est l’apanage des grands romanciers, au sein desquels Kundera a toute sa place. C’est d’ailleurs peut-être pour cela que je ne suis pas fan du genre romanesque : j’aime bien l’idéal, le dépassement de soi, une certaine sublimation de l’existence dans l’art. Le roman reste au niveau de l’humanité triviale, avec ses ridicules et ses limites. Jai apprécié l’hypothèse finale que vous glissez ingénument à la fin de votre analyse : au fond c’est l’humanité le problème, pas les romanciers ! Je ne suis pas loin de penser de même : raison de plus pour prendre ses distance avec elle dans la lecture, en lisant par exemple les récits d’âges reculés dont je suis friand.

    Pour ce qui est de Dostoïevski, je suis ravi que mes petites réflexions aient été de votre goût ! Je ne le connais pas à fond, mais je ne me lasse pas de le lire, et ma curiosité à son égard est loin d’être étanchée. Je crois que c’est le seul romancier avec Bukowski dont je suis à peu près sûr que je lirai dans ma vie les œuvres complètes, parce que dans les deux cas on sent une vraie personnalité derrière les histoires et qu’on a envie de passer du temps en leur compagnie. Si seulement on pouvait en dire autant de tous nos contemporains ! Ce n’est pas vous qui me direz le contraire, cher Marginal !

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  3. Oui, le problème c'est la comédie humaine et les romanciers ont de quoi se délecter et s'nspirer. Après à chacun d'eux de nous la livrer selon sa perception et sa personnalité et à nous selon nos goûts de l'nterpréter et l'apprécier et d'en aimer l'auteur ou non.
    Bonne soirée.

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  4. Inspecter l'humanité et ses turpitudes n'est pas de tout repos. C'est pour ça que le filtre de la littérature est si précieux : on plonge au cœur du maelstrom en toute sécurité. Mais bon, je ne suis pas un immense fan de littérature romanesque. Devant certains pavés, on se dit parfois que si tous ces efforts avaient été mis au service de la quête de la sagesse, ça aurait été peut-être plus profitable...
    Bonne soirée à vous.

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