17 décembre 2014

Réflexions sur Jacques Attali


        Je lis de-ci de-là des extraits du nouveau livre de Jacques Attali, Devenir soi. Je relève les phrases suivantes : « Le Mal semble partout l’emporter », « L’État ne peut rien », « Dans un monde aujourd’hui insupportable et qui, bientôt, le sera bien plus encore, il est temps pour chacun de se prendre en main, sans attendre indéfiniment des solutions miraculeuses », etc. À la lecture de ces phrases, je sens s’élever au fond de moi un sentiment intense de haine et de dégoût. Je n’en suis pas fier. Je le sens qui tourbillonne en moi.
        Pourquoi une réaction aussi violente de ma part ? C’est parce qu’en lisant de telles phrases, je perçois le regard que la postérité portera sur Jacques Attali : elle le regardera comme un damné, coupable du pire aveuglement, coupable d’avoir contribué à nous pousser dans le gouffre. Une seule phrase eût suffi, en 2007, à la rigueur en 2012, pour sauver la mémoire de Jacques Attali. Cette phrase c'est : « J’appelle à voter pour François Bayrou. » Mais cette phrase, il ne l’a pas prononcée. Il a suivi la pente commune, il a regardé sans indignation le pays passer aux mains des escrocs et des incapables, des veules et des menteurs. Et maintenant, il vient écrire un livre pour nous dire de ne plus compter sur la République et de nous convertir au bouddhisme. C’est ignoble. C’est ajouter le renoncement à l’erreur tragique qui a été commise.
        Dans deux cents ans je serai mort. Je serai dans ma tombe. Mais dans ma tombe je serai content, je serai pur, car je n’aurai pas glissé comme les autres, j’aurai gardé les yeux ouverts, j’aurai senti venir la tempête et tenté, de toutes mes forces, de l’empêcher. J’aurai eu raison.

11 commentaires:

  1. Cela faisait longtemps, cher Laconique, que vous ne nous aviez pas gratifiés d'un article sur la dérive du monde actuel mâtiné de politique : c'est chose faite avec votre nouveau texte. Ici, c'est Jacques Attali le point de départ, un type que je connais très peu, puisque je l'ai juste aperçu lors de quelques passages télé et ai seulement feuilleté certains de ses livres. Ma foi, il m'a pourtant l'air brillant, cet Attali ! Cultivé, fin analyste... Enfin, je n'en sais trop rien...

    Je ne vais pas m'étendre davantage sur le sujet, cher Laconique, je m'efface et laisse le soin à vos innombrables lecteurs de commenter, car vous le savez : l'État, les élections, Bayrou et tout le toutim, je m'en bats le steak ! Je dirais même plus, cher Laconique : pas patriote pour deux sous, je leur pisse à la raie.

    Bon, heureusement que vous devenez lyrique à la fin de cet article en laissant libre cours aux épanchements de votre nature noble !

    RépondreSupprimer
  2. Oui, cher Marginal, Attali est brillant, très cultivé, très ouvert aussi, il cultive tout le spectre de l’intelligence, des nouvelles technologies aux sagesses orientales. J’ai de l’estime pour lui, j’ai même lu (et apprécié) un de ses livres dans lequel il raconte ses souvenirs auprès de François Mitterrand. C’est justement parce que j’ai de l’estime pour lui que j’ai du mal à lui pardonner son credo actuel : « L’État ne peut plus rien, débrouillez-vous. » Attali a côtoyé François Bayrou, au moins dans des conférences et des émissions télé, alors de deux choses l’une : soit il sait que Bayrou a raison et il se tait pour rester neutre et continuer à vendre ses livres, ce qui est lâche et mesquin ; soit il n’a pas compris, depuis plus de sept ans maintenant, que Bayrou vaut mille fois plus, sur tous les plans, que Hollande et Sarkozy, et alors sa réputation de grand intellectuel est complètement usurpée. Je me reproche un peu la virulence dont j’ai fait preuve dans cet article, mes mots ont dépassé ma pensée, mais je l’ai écrit sous le coup d’une émotion sincère, et je crois de plus en plus que le premier jet est le meilleur. Je suis sûr que Le Marginal Magnifique ne me contredira pas, et que les vers dont vous êtes le plus fier sont ceux qui ont jailli spontanément de votre plume.

    Vous avez tort d’englober toute la politique dans un mépris général. Cela revient à dire que tout se vaut, qu’il n’y a ni Bien ni Mal en la matière. Les hommes politiques sont avant tout des hommes, avec leurs valeurs ou leur absence de valeurs, leur intégrité ou leur absence d’intégrité, et si l’on était resté sur ce plan-là pour les juger, bien des maux nous auraient été épargnés… Osez juger, cher Marginal !

    RépondreSupprimer
  3. Ah, la politique ! Théâtre d’ombres et de déchirements passionnés. Que voilà une chose intéressante, cher Laconique. Il faudra que j’ouvre un autre blog pour traiter le sujet avec l’actualité et le ton qui lui sied. Mais en attendant, disons un mot sur la cible ô combien méritée de votre désamour.

    Je ne joindrai pas ma voix à la cohorte hélas grandissante des nationalistes pour qui Mr Attali est l’incarnation emblématique de la finance apatride acharnée à la destruction de la France catholique et traditionnaliste…Mais tout de même. Il m’étonne que qui que ce soit ait pu espérer quoi que ce soit d’un millionnaire familier des coulisses du pouvoir (qu’il soit Mitterrandien ou Sarkozyste) qui, je vous en donne ma parole, est le contraire d’un intellectuel (la lecture de son indigeste ouvrage « Demain qui gouvernera le monde ? », devrait en convaincre ceux-là même dont la charité les pousseraient à ne pas y voir, comme c’est mon cas, l’un des essais politiques les plus insipides de tous les temps).

    Mr Attali, chantre de la mondialisation heureuse et de l’acceptation positive de l’Autre, devrait, s’il était brillant ou simplement lucide, comprendre que son prêche moralisateur en faveur de la tolérance, à part faire grimacer les dents des réactionnaires (alliés objectifs avec lesquels il se partage le temps de cerveau disponible des téléspectateurs), est impuissant à apaiser une société où le chômage atteint des niveaux records. Chômage de masse qui n’est pas sans lien avec les politiques publiques soutenues par Mr Attali depuis des décennies, ces dernières propositions en date (Rapport de la Commission Attali) ayant étés d’accroître la financiarisation de l’économie (sur le modèle londonien) et ce…deux ans avant la crise des subprimes. L’homme qui déclarait dans une interview au Point « Il y a un impôt qui me paraît immoral, c’est l’impôt sur la fortune » peut se rassurer. C’est une caractéristique de la société française contemporaine que tous ceux qui ont échoués quelque part trouveront l’occasion (copinage aidant) d’aller échouer autre part. A Bruxelles peut-être, puisque la paie y coule en abondance et que rarement les institutions de l’après-république auront eues un serviteur plus dévoué qu’en la personne de Mr Attali.

    Quant à la postérité, cher Laconique, je ne doute pas qu’elle portera sur le sujet de vos réflexions inhabituellement emportées le même jugement que celui de la majorité de nos contemporains : Attali qui ?

    RépondreSupprimer
  4. Ma foi, cher Jonathan Razorback, à lire votre commentaire je regrette d’autant plus que vous ne preniez pas la plume pour exprimer vos opinions politiques et philosophiques sur un espace qui vous serait dévolu. Je suis sûr que cela viendra un jour, et en attendant nous pouvons toujours apprécier vos talents de traducteur et de dénicheur de pépites méconnues sur les exigeants Cahiers de l’Hydre !

    Je vois que Jacques Attali vous inspire ! Vous connaissez le spécimen bien mieux que moi, et votre culture politique et économique vous permet sans doute d’appréhender des éléments qui m’échappent. Je me permettrai quand même de dire que je vous trouve un peu dur. Je crois Jacques Attali bien intentionné, il a mené de nombreuses actions dans le domaine caritatif, et personne ne l’obligeait à le faire. C’est un esprit ouvert, il a écrit des biographies de Gandhi, de Pascal, de Karl Marx, etc. Et ce n’est pas un pur technocrate, il y a encore chez lui un certain goût pour la littérature, il a écrit des romans. Bref, ce n’est quand même pas Alain Minc ! Mais ce que je lui reproche, c’est, en effet, d’avoir fricoté avec le diable. Le rôle d’un intellectuel, c’est de reconnaître le Mal et de le dénoncer, même lorsque tous les médias se fourvoient. Or ça, il ne l’a pas fait, et moi, modestement, à ma place à peu près nulle, je l’ai fait. Comme vous le dites, il n’est pas tout à fait innocent du désastre actuel qui frappe notre pays, et venir dire « Débrouillez-vous » après avoir prêté main forte à ceux qui ont démoli la maison, c’est un peu fort… En un mot, il n’a pas pris ses responsabilités devant l’Histoire, et en fin de compte il n’y a que cela qui importe. Mais ce sont là des réflexions bien graves pour un site de dilettante comme le mien, je vous laisse le domaine des idées et de la réflexion politique (cf. votre foisonnant forum), et je retournerai bien vite sur les terres plus paisibles des muses, des esthètes et des rêveurs.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. « Je crois Jacques Attali bien intentionné, il a mené de nombreuses actions dans le domaine caritatif, et personne ne l’obligeait à le faire. »

      Bien intentionné, ni vous ni moi ne sommes dans sa tête pour le savoir. Je ne peux qu’observer avec consternation les conséquences pratiques des décisions qu’il a soutenues, et les conséquences logiques de celles qu’il propose encore.

      Par exemple, Mr Attali déclare : « Tout le monde est d’accord pour augmenter la TVA. » (source : https://www.youtube.com/watch?v=57NRatYoVh0 ). Passons sur le fait qu’il s’agit d’un mensonge flagrant, le Front de Gauche ainsi que d’autres mouvements s’étant opposés aux augmentations de TVA intervenus sous les gouvernements Fillon et Ayrault. Je ne veux pas lancer une discussion sur les caractéristiques d’une fiscalité juste, mais il me semble évident qu’elle inclurait une TVA aussi basse que possible, et même inexistante. Car la TVA est l’impôt le plus inégalitaire. C’est un impôt qui frappe plus durement les pauvres, puisque le montant prélevé est le même pour tout consommateur, indépendamment de ses revenus. Un smicard consacre une proportion beaucoup plus grande de ses revenus à la TVA qu’un millionnaire, par exemple.

      J’ignorais que Mr Attali menait des actions caritatives. Soutenir des « causes humanitaires » oui, mais aller jusqu’à y sacrifier de l’argent, j’ignorais. Il est certain que rien ne l’obligeait à cela. De même que rien ne n’obligeait Mr Attali, banquier millionnaire, à soutenir le passage à l’euro, monnaie bien plus forte que le franc, que Jean-Jacques Rosa (professeur d’économie à Science Po), décrit dans les termes suivants :

      « Si une monnaie forte et largement utilisée dans le monde est bonne pour les comptes d'exploitation des banques, elle peut être désavantageuse pour ceux des producteurs d'automobiles ou de produits chimiques, voire pour les industries agro-alimentaires. [...] Il se trouve que les promoteurs de la monnaie unique étaient plutôt des financiers et banquiers publics que des industriels ou des exportateurs. Se pourrait-il que leurs vues aient été étroitement corporatistes ? » (L’Erreur européenne, 1998, Grasset).

      Le personnage que nous avons devant nous est donc favorable au plus injuste impôt que l’on puisse concevoir (une invention de Mr Chirac), à la suppression de l’ISF auquel il est lui-même assujetti (du moins j’espère), impliqué dans des politiques publiques au mieux totalement inefficaces (au pire suicidaires) et dont il n’est pas impossible qu’elles l’aient enrichi personnellement. Qu’il fasse la charité n’est pas ce que j’appellerais une compensation pour le reste (idem pour Bill Gates). Je ne sais pas vous, mais s’il y a bien une figure des romans sociaux du XIXème siècle qui m’a toujours paru misérable, c’est bien le grand bourgeois esclavagisant ses ouvriers et ses locataires (souvent les mêmes) et se faisant passer pour un saint parce qu’il finance l’orphelinat de la ville…Léon Bloy a dépeint un certain nombre de personnages de cette espèce dans des pages mémorables…

      « Ce n’est quand même pas Alain Minc ! »

      Minc a un comportement d’oligarque russe un peu balourd qui permet de le repérer à cent mètres et de s’en méfier. Par conséquent il est nettement moins dangereux. Et son libéralisme est plutôt sincère, il n’imite pas l’opportunisme attalien en essayant de gagner sur tous les tableaux…

      Supprimer
    2. « Le rôle d’un intellectuel, c’est de reconnaître le Mal et de le dénoncer, même lorsque tous les médias se fourvoient. »

      Les média ne peuvent que se fourvoyer, puisque leur rôle n’est pas celui de l’intellectuel ;)

      « Venir dire « Débrouillez-vous » après avoir prêté main forte à ceux qui ont démoli la maison, c’est un peu fort… »

      Attali est un cas étrange, à la fois catastrophiste et eurobéat. C’est un peu Monsieur « Apprenez à vivre votre déclassement de manière positive ». Ce qui n’est pas de la philosophie, fut-elle stoïcienne. C’est de la gestion de populations en période de crise. Sans compter que ses bouquins se vendent. Comme dirait Voltaire : « Les tragédies, les histoires et les contes n'empêchent pas qu'on songe à ces dîmes, attendu qu'un homme de lettres ne doit pas être un sot qui abandonne ses affaires pour barbouiller des choses inutiles. »

      « Je retournerai bien vite sur les terres plus paisibles des muses, des esthètes et des rêveurs. »

      Je me réjouis que vos songes ne vous empêchent en rien de conserver la vigilance sans laquelle des citoyens ne sauraient maintenir une République ! Au plaisir de vous lire bientôt, et si vous ne reprenez pas la plume avant la fin du mois, passez de bonnes fêtes ;)

      Supprimer
  5. Eh bien, vous lui réglez son sort à Attali, encore plus que moi ! En ce qui concerne la TVA et l’euro, je n’ai tout simplement pas les compétences pour défendre un point de vue argumenté sur ces sujets, alors je préfère me taire. Sur l’ISF, c’est la même chose, ce sont des sujets économiques, et c’est seulement dans le domaine moral que j’estime avoir, comme chacun, la légitimité suffisante pour porter des jugements. Pour les actions caritatives, je persiste à trouver cela louable. Attali fait partie des fondateurs d’Action contre la faim, il a créé Planet Finance qui fait du micro-crédit, et même si ça n’a pas changé le monde, en tout cas ça ne fait pas de mal. J’aime bien Bill Gates, il aurait pu se vautrer dans ses milliards, il a choisi d’en donner une grande partie aux autres, pour moi ça va dans le bon sens. Ce n’est pas Bernard Tapie ou un certain ex-président qui touche 200 000 euros par conférence qui en feraient autant. Je trouve les grands bourgeois philanthropes plus sympathiques que les nouveaux riches carnassiers… Je ne suis pas un révolutionnaire, je n’aspire pas à renverser l’ordre du monde, mais à l’humaniser. Vous êtes plus radical que moi, mais ce n’est pas un scoop :-). Voltaire aussi était un grand bourgeois, il était sincère dans ses combats philosophiques, ça ne l’a pas empêché d’amasser une fortune… Il n’y aura plus de nouvel article ici avant quelques semaines, mais nous nous croiserons peut-être ailleurs ! En tout cas bonnes fêtes à vous aussi !

    RépondreSupprimer
  6. Vous défendez bien vos idées Laconique. Vous y mettez colère, ferveur , passion et les dernières lignes de votre texte témoignent de la constance et de la fidélité de vos engagements. Jacques Attali est quand même un grand monsieur très érudit et le lire et l'écouter n'est pas dénué d'intérêt car il s'exprime avec virtuosité. Maintenant on apprécie ou non ses propos, la polémique est ouverte et je vous comprends très bien car je reconnais que nous avons tous des causes qui nous paraissent indéfendables et pour lesquelles nous sommes susceptibles de nous enflammer. Les miennes trouvent un écho dans vos mots car. même si elles sont différentes des vôtres, la politique ne peut en être exclue puisque toute décision passe par elle.
    Je vous souhaite de bonnes fêtes d'année en attendant d'avoir le plaisir de vous retrouver pour une nouvelle lecture dans votre si plaisant "goût des lettres".

    RépondreSupprimer
  7. Je ne peux que saluer votre ouverture d’esprit ! En ces temps troublés, les esprits nuancés se font rares… Je suis moi-même assez passionné lorsqu’il s’agit de l’histoire actuelle de notre pays, et par moments je me laisse aller à exprimer ces considérations par écrit. Je l’ai fait dès les débuts de ce site, et avec le recul je pense ne m’être pas trop trompé dans mes envolées politiques, en tout cas je suis resté constant dans mes sympathies comme dans mes inimitiés. J’ai de l’estime pour Jacques Attali, et c’est la raison pour laquelle j’ai écrit ces lignes sur lui. Ce n’est que lorsque l’on estime les gens que l’on peut être peiné par certaines de leurs déclarations. Or l’appel à ne plus rien espérer de la vie publique qu’il a lancé dernièrement m’a peiné. Mais bon, ce n’est pas là mon domaine, il faut bien se lâcher un peu, mais je retournerai vite à des sujets plus en adéquation avec mes idéaux (par les temps qui courent il faut se raccrocher à ses idéaux, il ne nous reste plus grand-chose d’autre !). Bonnes fêtes à vous, et à l’année prochaine !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Éh, cher Laconique, je viens de lire l'article d'Attali que vous avez mis en lien dans votre réponse à l'anonyme et je dois dire que ça m'a bien plu ! Je suis d'accord avec Attali !

      Supprimer
    2. L’article d’Attali est très bon. Mais il y a une autre personne en France qui annonce depuis des années que l’on va droit dans le mur. Cette personne parle dans le désert depuis des années, car elle est trop calme, trop sensée, trop peu « charismatique » pour notre société d’hystériques. C’est cette personne que, pour ma part, je soutiens. Mais je reconnais que l’article d’Attali rejoint certains thèmes du Marginal , comme celui de survivre par soi-même dans une société en déréliction, par les « sports de combat ju-jitsu MMA krav-maga ».

      Supprimer