1 juin 2018

Éloge du jeu d'échecs


Au final, au cours de ma vie, peu de choses m’auront procuré autant de joie, et une joie aussi pure, que le jeu d’échecs. C’est plus qu’un hobby, c’est un repère, une source de discipline et d’amélioration de soi. Il y aurait beaucoup de choses à dire sur ce jeu et sur les bénéfices qu’il apporte à ceux qui le pratiquent. Je relèverai seulement deux points.
1. Le jeu d’échecs relève de l’objectivité. Nous vivons dans un monde d’émotions. L’émotion règne et gouverne tout. Le moindre petit sentiment, infime, imperceptible, de désagrément, de peur, d’aversion, ou au contraire d’attirance, de soulagement, est la cause de réactions immédiates, disproportionnées. Les êtres humains ne sont plus que des machines mues par leurs émotions, par les stimuli extérieurs et sensoriels. Cela crée un monde invivable, dépourvu de toute stabilité, de toute rationalité, et en définitive de tout sens. Aux échecs, les émotions ne gouvernent pas. On peut ressentir tout ce que l’on veut après le coup d’un adversaire : de l’appréhension, du désespoir, de l’euphorie, cela ne change en rien la nature de la position. Quoi que l’on éprouve, il n’y a qu’un seul meilleur coup, et c’est notre intelligence seule qui peut nous le découvrir. Les échecs ont ainsi une vertu apaisante, celle de nous affranchir de la tyrannie de l’émotion dans laquelle nous vivons et de nous focaliser, pendant longtemps, pendant des heures, sur la seule dimension objective de la situation.
2. Les échecs nous permettent de comprendre le lien véritable entre déterminisme et liberté. Les échecs reflètent avec une clarté remarquable l’essence de la vie. Aux échecs, comme dans la vie, nous sommes à la fois libres et contraints par le passé. Tous les coups passés, tous les choix effectués au cours d’une partie sont intégrés dans la position présente, qui en est la synthèse. Et pourtant, au moment de jouer un coup, je suis parfaitement libre, il n’y a aucune connexion nécessaire entre un coup et le suivant. J’ai le choix, un choix absolu, à partir d’une situation donnée. Cette prise de conscience est libératrice. Je ne suis pas engagé sur les rails d’un déterminisme quelconque (de ma nature, de mon histoire, d’un mouvement inéluctable qui doit se poursuivre jusqu’à son terme). Chaque instant est totalement déconnecté des autres, ce qui rejoint l’enseignement des spiritualités les plus hautes.
Je pourrais écrire encore bien des choses sur les vertus du jeu d’échecs, le monde ne suffirait pas à les contenir.

2 commentaires:

  1. Ah, je suis content de lire ce nouveau billet, cher Laconique (je commençais à craindre que vous ne versiez définitivement dans l'apologétique religieuse). Sans être bon, j'apprécie en effet beaucoup ce jeu pour son objectivité (on ne triche pas, on ne gagne pas simplement en tombant sur la bonne carte). Je suis toujours surpris de rencontrer des gens qui ne savent pas jouer aux échecs. Ce n'est pourtant pas ennuyeux.
    Et en plus ça pourrait être bon pour la santé.

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  2. Ma foi, je ne suis pas surpris qu’un esprit pugnace et rationnel comme le vôtre se sente des affinités avec ce noble jeu des échecs, cher Johnathan Razorback. C’est une forme de combat symbolique, et dans notre société apparemment aseptisée mais en réalité très brutale, ça ne peut pas faire de mal.

    Sinon, dommage que l’article que vous mentionnez soit protégé. Mais ça ne me surprend pas. Les échecs nous mettent en relation avec la vérité, ce qui est devenu si rare à notre époque, ça ne peut qu’être bénéfique pour l’esprit et donc pour le corps. Et qui sait, peut-être que nous nous sommes déjà croisés au détour d’une partie sur le net…

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