20 décembre 2018

Racine, Wagner, Kubrick : Le grand mystère



Il y a entre Jean Racine, Richard Wagner et Stanley Kubrick un si grand nombre de points communs que cela dépasse le cadre de la simple coïncidence. Outre le fait que ce sont sans doute les plus grands génies du monde occidental dans leurs arts respectifs, on peut relever les faits suivants :
- Racine a perdu ses parents dans ses toutes premières années. Wagner a perdu son père à l’âge de six mois.
- Ils ont tous trois vécu dans les limites de leur siècle : Racine (1639-1699), Wagner (1813-1883), Kubrick (1928-1999).
- Ils ont tous trois été heureux en ménage et ont fait un mariage fécond : Racine a eu sept enfants, Wagner a eu trois enfants, Kubrick a eu deux filles.
- Ils sont tous trois morts aux alentours du printemps : Racine le 21 avril, Wagner le 13 février, Kubrick le 7 mars.
- Ils ont tous trois produit un nombre restreint d’œuvres : 12 pièces pour Racine, 13 opéras pour Wagner, 13 films pour Kubrick.
- Leur dernière œuvre, énigmatique, présente une mise en abyme, avec un spectacle dans le spectacle. Dans Athalie de Racine, c’est le couronnement et l’onction de Joas. Dans Parsifal de Wagner, c’est l’exposition du Graal. Dans Eyes wide shut de Kubrick, c’est l’orgie dans le palais vénitien. Le spectacle devient donc une liturgie. C’est l’art total, l’art sacré, l’aboutissement de l’œuvre.
Quel mystère se cache derrière un tel parallélisme des destinées et des œuvres ? Nul doute que c’est le sens même de la vie qui est ici en jeu. J’ignore encore la signification exacte de cette troublante conjonction, mais je vais m’employer à la percer et à la révéler au grand jour.

6 décembre 2018

L'anthropologie du Nouveau Testament



« Ceux qui considèrent la Bible comme un recueil de contes édifiants n’ont rien compris, me dit-il. C’est pourtant l’opinion la plus répandue. Or la Bible est tout autre chose. La Bible est un livre critique, c’est là son essence fondamentale. Ce n’est pas une succession d’histoires pieuses inventées ex nihilo. C’est une réaction, radicale et corrosive, à une réalité jugée insupportable. Cela vaut pour les deux Testaments :
- L’Ancien Testament est une dénonciation de l’illusion du pouvoir absolu, de la puissance, qui avait atteint des degrés inimaginables à cette époque. Dieu dit : « Vous pouvez bâtir des pyramides, assembler des empires dévastateurs en Assyrie, à Babylone, en Perse, moi, je renverserai tout ça, il n’en restera rien, et j’exalterai le peuple le plus insignifiant, le plus méprisé de la terre, sans raison, sans justification, tout simplement parce que je l’ai décidé. Toutes vos armées, toutes vos richesses, toutes vos pompes, tout cela n’est rien, ce n’est que du vent, et je vais vous le prouver. » Voilà le message de l’Ancien Testament. Il ne s’agit pas de morale, ou de chimères, ou de consolations. Il s’agit d’une dénonciation lucide et sans concession d’un mirage politico-social qui aveuglait alors tous les esprits.
- Le Nouveau Testament, lui, a deux cibles :
D’une part, il s’agit d’une réaction dialectique contre le légalisme juif. Pour parler en termes hégeliens, c’est la négation de la négation. D’où la phrase du Christ : « Le sabbat a été fait pour l’homme, et non l’homme pour le sabbat » (Marc, 2, 27).
D’autre part, il s’agit de prendre en compte la nouvelle anthropologie issue de l’avènement de l’Empire romain. Jusqu’alors, l’individu ne comptait pas, il était totalement dépendant du sort de la cité, et pouvait être exterminé avec celle-ci en cas de défaite militaire. À partir du premier siècle de notre ère, les choses changent. La guerre disparaît, on meurt désormais de vieillesse, le bonheur ou le malheur deviennent des perspectives individuelles. Dès lors, livré à lui-même et à ses penchants, délivré de la peur, c’est un autre fléau qui s’abat sur l’individu : la possession. Ici, nul besoin d’effort d’imagination, il suffit de se promener dans les rues pour comprendre de quoi il s’agit, la situation du monde romain est encore la nôtre : chacun est possédé par son démon particulier, qu’il se nomme Avidité, Narcissisme, Orgueil, Nihilisme, etc. C’est de la nature même de l’homme qu’il s’agit : l’homme est désormais un champ d’action ouvert à toutes les menées des démons. Et le Christ, si l’on y regarde attentivement, ne fait pas autre chose que de guérir des possédés, encore et encore. Il n’a rien à offrir à ceux qui s’adressent à lui, il ne les renvoie pas euphoriques et comblés (ce qui est justement l’œuvre des démons). Il les renvoie libres : « Va, tu es guéri, ne pèche plus. » Telle est donc la promesse du Nouveau Testament en ce qui concerne cette vie : la liberté, et rien de plus : « Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libres » (Jean, 8, 31). « C’est pour que nous soyons libres que le Christ nous a libérés » (Galates, 5, 1). D’où la déception de ceux qui recherchent dans la religion la même chose que ce que leur propose le monde : des sensations fortes, des étourdissements. D’où aussi le caractère toujours précaire de l’œuvre de Dieu, et la parabole terrible de l’Évangile sur l’esprit impur qui revient sept fois plus puissant après avoir été chassé une première fois (Matthieu, 12, 43).
C’est là l’anthropologie du Nouveau Testament ; seul le christianisme porte ce message sur l’homme, et ce message est plus actuel que jamais.
Si tu suis le Christ, tu ne seras pas transporté instantanément au septième ciel, tu ne kifferas pas. Tu ne ressentiras rien. Mais tu seras immunisé à l’égard de tous les démons du monde moderne. Tu verras clair, tandis que tous autour de toi tâtonneront dans les ténèbres. »
J’aimerais retranscrire ici la fin de son discours, mais le reste s’est perdu dans les brumes de ma mémoire, car c’est alors que je reçus un message de Jessica sur mon portable.