19 décembre 2019

Philip K. Dick : Le Dieu venu du Centaure, Substance Mort



Lu Le Dieu venu du Centaure, de Philip K. Dick (1965). Sans doute le meilleur de ses romans que j’aie lu jusqu’à présent. Certains effets qui m’avaient paru renversants dans Matrix en 1999 figuraient déjà chez Dick, de manière bien plus profonde, plus de trente ans auparavant. La fin du roman est extraordinaire. Toute l’histoire est terriblement oppressante, et d’autant plus lorsqu’on lui attribue une signification métaphorique (la drogue introduite dans notre univers par Palmer Eldritch s’étend comme le Mal dans la Création divine). L’œuvre d’un auteur au sommet de ses facultés, totalement affranchi des codes de la science-fiction traditionnelle.
J’ai enchaîné avec Substance Mort (1977), œuvre plus autobiographique, publiée dans les dernières années de la vie de Dick, après sa « révélation mystique » de février 1974. Roman très sombre, sans doute un des plus sombres qu’il m’ait été donné de lire, sur l’absence totale d’issue que l’on peut trouver dans cette vie. Bob Actor n’a aucun moyen d’échapper à la drogue, à la schizophrénie, tout comme nous n’avons aucun moyen d’échapper aux contingences. Malgré cela, le roman n’est pas triste, du fait de la transposition fictionnelle dans un monde futuriste très cohérent, du fait également de l’incroyable lucidité de Dick, lucidité que l'on retrouve dans son opus magnum : SIVA. Comment peut-on être à la fois complètement dérangé mentalement et capable d’avoir un regard extérieur et lucide sur son état, c’est une chose que j’ai du mal à m’expliquer, bien que j’aie pu l’observer dans la vraie vie également. Roman difficile d’accès, à peu près privé d’intrigue, dépourvu d’un arc narratif appréhendable, reflétant la vision de la réalité d’un malade, un monde dans lequel ce sont les événements insignifiants du quotidien qui peuvent conduire à la folie et à la mort. La note finale de l’auteur est vraiment bouleversante, dans laquelle Dick énumère la liste de ses amis décédés ou rendus fous par leur consommation de drogue durant les années soixante : « Ce roman se proposait de parler de certaines personnes qui durent subir un châtiment entièrement disproportionné à leur faute. Ils voulaient prendre du bon temps, mais ils ressemblaient aux enfants qui jouent dans les rues ; ils voyaient leurs compagnons disparaître l’un après l’autre – écrasés, mutilés, détruits – mais n’en continuaient pas moins de jouer. Nous avons tous été heureux, vraiment, pendant quelque temps, coulant nos jours en douceur loin de la sphère du travail – mais tout ça fut si court… la punition qui suivit fut si terrible qu’elle dépassait l’entendement : même lorsque nous en étions les témoins, nous n’arrivions pas à y croire. »

5 décembre 2019

Pulp Fiction a-t-il influencé Stanley Kubrick ?



On le sait, les interviews de Stanley Kubrick sont rares, surtout pour la période qui couvre les dernières années de sa vie. Pourtant, en ce qui concerne l’un des films les plus marquants des années 90, à savoir Pulp Fiction de Quentin Tarantino (1994), on trouve plusieurs mentions, sur le Net, selon lesquelles Stanley Kubrick aurait vu le film et émis une appréciation très positive à son endroit.
Le propos de cet article est de démontrer qu’il n’y a pas seulement eu intérêt de la part de Stanley Kubrick, mais bel et bien influence sur son dernier film, le cultissime Eyes Wide Shut (1999). Pulp Fiction a apporté un souffle nouveau, a revivifié l’inspiration de Kubrick qui n’avait plus réalisé depuis près de dix ans. Dans ce cas, c’est bien l’élève qui a inspiré le maître. Le rapprochement entre ces deux chefs-d’œuvre est rarement fait, il repose pourtant sur une série d’éléments incontestables :
L’usage du mot « fuck ». Stanley Kubrick, dans ses films, avait très rarement utilisé le mot « fuck ». Pulp Fiction est au contraire réputé pour son usage pléthorique du terme et de ses dérivés (« fucking », « motherfucker », « motherfucking », etc.). Or, dans Eyes Wide Shut, le terme « fuck » revient plusieurs fois (« all my fucking future »), et notamment, de façon très appuyée, dans la toute dernière réplique du film : Alice : « There is something very important that we need to do as soon as possible. » Bill : « What’s that ? » Alice : « Fuck ».
La structure cyclique du récit. Pulp Fiction commence et se termine au même endroit, dans une cafétaria. Au cours du film, plusieurs épisodes alternent, s’entrecroisent et reviennent selon une structure symétrique : cafétaria – Jules et Vincent – Butch et Marsellus – Jules et Vincent – cafétaria. On retrouve un découpage similaire dans Eyes Wide Shut, avec plusieurs saynètes qui se réfléchissent autour d’un noyau central : Bill et Alice – Ziegler – errance – orgie – errance – Ziegler – Bill et Alice.
Le caméo. Tarantino joue un petit rôle dans Pulp Fiction (Jimmie). À ma connaissance, Stanley Kubrick n’était jamais apparu directement dans un de ses films. Dans Eyes Wide Shut, on le voit distinctement, au début du film, dans le Sonata café, assis à une table en compagnie d’une femme blonde.
L’overdose. Dans Pulp Fiction, Vincent trouve Mia Wallace étendue sur le sol en train de faire une overdose. Dans Eyes Wide Shut, Bill est appelé par Ziegler pour examiner une jeune femme nue, étendue sur un fauteuil, inconsciente, victime elle aussi d’une overdose (épisode qui n’apparaît pas, il faut le souligner, dans la nouvelle originale de Schnitzler, La Nouvelle rêvée).
Le burlesque. L’épisode dans la boutique du Rainbow est typique du burlesque tarantinesque : Bill tombe sur un personnage excentrique, Milich, qui lui tient des discours en décalage total avec les enjeux de la scène (sur ses problèmes capillaires en l’occurrence). Comme Butch dans Pulp Fiction, Bill s’aperçoit ensuite qu’il est tombé dans un antre dédié à la perversion sexuelle, avec les deux Japonais travestis et la fille de Milich, à moitié nus, dissimulés au fond de la boutique.
Le costard. Les personnages principaux de Kubrick, dans ses films en couleur, ne portent presque jamais de costume cravate. Dans Eyes Wide Shut, Bill porte un costume cravate durant presque tout le film, comme Jules et Vincent dans Pulp Fiction.
Chris Isaak. Chris Isaak figure à la fois dans la bande originale d’Eyes Wide Shut (Baby did a bad bad thing) et dans celle de True Romance, film scénarisé par Tarantino (Two Hearts, au générique de fin).
Harvey Keitel. Harvey Keitel, qui joue le rôle de Wolfe dans Pulp Fiction, devait aussi jouer dans Eyes Wide Shut. Il avait été initialement choisi par Kubrick pour jouer le rôle de Ziegler, mais il a quitté le projet après quelques jours de tournage, excédé par la direction obsessionnellement méticuleuse de ce dernier.
Ce sont là certains éléments factuels, mais il est évident qu’on pourrait en trouver d’autres, surtout dans les dialogues, les décors (les cafés jouent un rôle très important dans les deux films, avec une esthétique similaire). On peut dire que Tarantino a apporté à Kubrick la preuve qu’il était possible de filmer le monde contemporain et que cela pouvait faire un bon film, un vrai film, alors que Kubrick, depuis 2001, l’Odyssée de l’espace, avait toujours évité de se confronter au monde actuel, en situant ses films soit dans le futur (2001, l’Odyssée de l’espace, Orange mécanique), soit dans le passé (Barry Lyndon), soit dans des lieux éloignés et coupés de la civilisation occidentale (Shining, Full Metal Jacket). En cela, il était important de signaler ce que Kubrick et Eyes Wide Shut doivent à Tarantino et à Pulp Fiction, ce qui, à ma connaissance, n’avait pas encore été fait.

21 novembre 2019

Jean-Philippe Toussaint : Faire l'amour



Lu Faire l’amour (2002), de Jean-Philippe Toussaint, sans grand plaisir, je dois le reconnaître. Toute cette littérature me semble très artificielle. On a beau dire, le plus important, dans un roman, c’est la part de vérité qu’il contient. Je lis cette phrase : « Il y avait ceci, maintenant, dans notre amour, que, même si nous continuions à nous faire dans l’ensemble plus de bien que de mal, le peu de mal que nous nous faisions nous était devenu insupportable », et cela me semble juste, je sens l’expérience vécue, parfaitement formulée. Mais pour une telle phrase, combien d’autres m’ont paru fausses, écrites. Celle-ci par exemple : « Rompre, je commençais à m’en rendre compte, c’était plutôt un état qu’une action, un deuil qu’une agonie. » Quand je lis cela, mon attention décroche, je sais que je suis dans un roman, et dans un roman à prétentions littéraires. Ou la dernière phrase du livre : « Il ne restait plus rien, qu’un cratère qui fumait dans la faible lumière du clair de lune, et le sentiment d’avoir été à l’origine de ce désastre infinitésimal. » Finir sur une figure de style, sur un oxymore… Le vrai style doit être invisible, c’est celui de Racine, de Houellebecq dans ses bonnes pages.
Tout cela révèle plus qu’il ne dissimule la vacuité totale du propos. Quand il n’y a pas de vision du monde, alors on se rabat sur le style, sur des détails insignifiants gonflés jusqu’à l’absurde, sur des états d’âme. Je connais ce monde que Toussaint décrit, c’est celui dans lequel j’ai vécu depuis des décennies, celui dans lequel, lorsque toute spiritualité, toute dimension religieuse ont été complètement abolies, deux choses demeurent et surgissent à la surface : la femme et la technologie. La femme et la technologie, tout est là, et dans ma vie je n’ai fréquenté que deux types d’hommes : ceux fascinés par les femmes, ceux fascinés par la technologie. L’essence de notre monde sous sa forme la plus basique, dans sa réalité la plus concrète, la plus aliénante. En cela, Faire l’amour n’est peut-être pas un mauvais roman, car il témoigne avec une singulière pureté, un grand dépouillement, de la fascination pour la femme, impulsive, souffrante et vénéneuse, et pour la modernité, à travers les néons, l’architecture futuriste, le luxe feutré, les multiples babioles de la communication contemporaine. Story of my life. Je ne crois pas que je lirai d’autres romans de cet auteur, du moins pas dans l’immédiat.

7 novembre 2019

L'homme antique et l'homme moderne



Il ne savait comment échapper à cette angoisse.

Fiodor Dostoïevski, Crime et Châtiment

Chacun restait à sa place, situation terriblement humiliante. Ses aspirations, ses peurs, ses angoisses s’épanouirent, se déployèrent, l’engloutirent, lui paralysèrent la langue.

Philip K. Dick, Le Maître du Haut Château

Notre rapport au monde est déterminé par la société au sein de laquelle nous évoluons. La liberté du sujet est infime dans ce domaine. Placé dans telle société, je me sentirai libre, maître de mon avenir et de mon destin. Placé dans telle autre, je me recroquevillerai comme une fleur marine tirée hors de l’océan.
Qu’est-ce que l’homme antique ? C’est avant tout un homme libre. Pas de Dieu au-dessus de sa tête, un régime politique âpre et réaliste, fondé sur la domination des choses et des hommes, et non sur la régulation des émotions populaires. L’homme antique veut être libre, il est conscient de sa valeur, il jette un regard de mépris sur le monde, celui-ci n’est qu’un moyen d’assouvir ses désirs et de déployer l’ensemble de sa nature. L’homme moderne a honte de ses désirs. Alcibiade, l’élève de Socrate, « menait la vie la plus voluptueuse, et affectait le plus grand luxe : il passait les journées entières dans la débauche et dans les plaisirs les plus criminels ; il s'habillait d'une manière efféminée, paraissait dans la place publique traînant de longs manteaux de pourpre, et se livrait aux plus folles dépenses » (Plutarque, Vie d’Alcibiade, 16). L’homme moderne ne conçoit même plus la notion de noblesse. Il est assoiffé de plaisirs et de jouissance, mais il se cache, il rabaisse les aspirations de son cœur à la mesquinerie des plaisirs que la société veut bien lui allouer. L’homme antique était habité par la flamme de l’idéal, les jouissances mesquines ne l’intéressaient pas, à l’image d’Alexandre, qui, maître du monde, ne pensait qu’à se battre, dont le corps était couvert de cicatrices, qui admirait Homère, qui était chaste, fidèle à ses épouses légitimes et à son amant Héphaistion, et dont Plutarque nous dit : « Il fit connaître dès son enfance qu'il serait tempérant dans les plaisirs ; impétueux et ardent pour tout le reste, il était peu sensible aux voluptés et n'en usait qu'avec modération : au contraire, l'amour de la gloire éclatait déjà en lui avec une force et une élévation de sentiments bien supérieures à son âge » (Vie d’Alexandre, 6). L’homme antique ne se conforme pas à des notions prédéfinies du bien et du mal. Il est lui-même la mesure du bien et du mal.
Maintenant, qu’est-ce que l’homme moderne ? Sortons dans les rues d’une grande ville et examinons nos sentiments, notre ressenti. L’homme antique paradait sur le forum, à moitié nu, et son cœur se gonflait à la vue des temples scintillants, des autels fumant de la graisse des sacrifices, des parois de marbre recouvertes des dépouilles des armées vaincues. L’homme moderne se faufile piteusement entre des ombres, sur du goudron, dans le vacarme des voitures et des mobylettes. Pour analyser le ressenti de l’homme moderne, rien n’est plus éclairant que d’étudier l’œuvre de deux des plus grands romanciers de notre âge : Fiodor Dostoïevski et Philip K. Dick. Les personnages de Dostoïevski, de Dick, sont écrasés par leur environnement. Loin d’imprimer leur marque à leur entourage, ils sont complètement soumis à leurs émotions, hypersensibles, paranoïaques, épileptiques, etc. Ce sont des petits fonctionnaires, enfermés dans un environnement mesquin, en butte à l’hostilité de leurs supérieurs, à l’agressivité de leurs compagnes, à des soucis insolubles d’argent, de famille, de santé, etc. Le monde dans lequel ils vivent les rend fous, les fait basculer dans le délire, dans le crime.
Je lis beaucoup d’auteurs sur internet. À les en croire, notre société est en proie à un malaise généralisé, sur le point de basculer dans une révolte violente et légitime. Deux coupables : Emmanuel Macron et l’Union Européenne. Mais notre mal ne date pas d’hier. Je crois qu’il est même possible de déterminer assez précisément le point de basculement. Je me souviens que Roland Barthes avait intitulé une étude sur Voltaire : « Le dernier des écrivains heureux ». On connaît la phrase de Talleyrand : « Qui n'a pas vécu dans les années voisines de 1789 ne sait pas ce que c'est que le plaisir de vivre. » La génération où tout bascule, c’est la génération qui naît vers 1820. Par une étrange coïncidence, Dostoïevski, Flaubert et Baudelaire sont tous trois nés la même année, en 1821. On trouve chez tous les trois, à des degrés divers et selon les formes d’expression qui leur sont propres, un même rejet viscéral pour la société industrielle naissante, issue des ruines de l’Ancien Régime. En art, ils ont été les fossoyeurs du romantisme. Les premiers, ils ont compris que le monde avait changé, qu’un ver s’était glissé dans le fruit, que quelque chose de suspect couvait dorénavant sous la surface des bonnes mœurs et des bonnes manières. Un spectre hante le monde moderne. Tous sont atteints, nul n’est épargné. La candeur et la virilité de l’homme antique nous sont devenues aussi inaccessibles que les palais engloutis de l’Atlantide, et nous n’avons même plus la grandeur d’âme nécessaire pour les regretter.

24 octobre 2019

Ronald Reagan, Mohamed Ali et la fin de vie



Champions aren't made in gyms. Champions are made from something they have deep inside them – a desire, a dream, a vision.

Mohamed Ali

The future doesn't belong to the faint-hearted ; it belongs to the brave.

Ronald Reagan

Je discutais l’autre jour avec un vieil ami.
« Je ne comprends pas, lui dis-je, que l’on puisse accepter de mener une vie diminuée. Le jour où je ne pourrai plus communiquer avec mes proches, où je devrai cesser de faire tout ce qui compte pour moi dans la vie : rire, parler, lire, me promener librement – ce jour-là, à quoi bon continuer de vivre ? Je ne veux pas finir comme un légume. »
Mon ami soupira, garda le silence pendant un long moment, puis il me dit doucement :
« Ce n’est pas la première fois que j’entends ce genre de discours. Laisse-moi te parler de deux hommes – et même trois – qui ont beaucoup compté au vingtième siècle, qui ont vraiment marqué leur temps et changé le monde.
Tu as peut-être entendu parler de Ronald Reagan. Il a un bilan extraordinaire, dans tous les domaines. Un charisme rare et une volonté de fer. C’est le seul président des États-Unis après la Seconde Guerre mondiale qui a fait deux mandats et qui a transmis le pouvoir à son vice-président. « Not bad. Not bad at all », a-t-il commenté lors de son allocution de départ. On lui a tiré dessus en 1981, il a survécu. Il a redonné confiance à l’Amérique après plusieurs décennies noires : l’assassinat de Kennedy, la démission de Nixon, la défaite de Carter, etc. Il a insufflé un souffle d’optimisme et de volonté qui a nourri les films d’action culte de cette décennie : Rambo II, Rocky III, les films de Schwarzenegger, etc. C’était le plus vieux président des États-Unis jamais élu, et il avait soixante-dix-sept ans quand il a quitté le pouvoir, en 1989.
En 1994, on lui a diagnostiqué la maladie d’Alzheimer. Il écrit alors une lettre très simple au peuple américain, puis il cesse toute apparition publique. De fait, il avait eu quelques absences depuis un certain temps déjà, paraît-il.
À la fin sa vie, Ronald Reagan reconnaissait-il ses proches ? Il paraît que non. Il est mort à un âge très avancé, à quatre-vingt-treize ans, le 5 juin 2004.
Laisse-moi maintenant te parler de Mohamed Ali. C’était un boxeur du vingtième siècle. Il était même un peu plus que cela, à la vérité. C’était une véritable légende, qui a été élu « sportif du siècle » par plusieurs magazines spécialisés, et qui a largement transcendé son domaine d’origine. Il a refusé de participer à la guerre du Vietnam, ce qui lui vaudra de passer en justice. C’était un caractère fier, inflexible, connu pour son orgueil démesuré et ses outrances verbales. Il a laissé une trace indélébile, dans son sport et bien au-delà.
En 1984, on lui diagnostique la maladie de Parkinson. En 1996, il est le dernier porteur de la flamme aux Jeux Olympiques d’Atlanta. Ces images sont entrées dans l’Histoire. On le voit avancer d’une démarche rigide, l’œil fixe, la main tremblante, le visage figé. Tout le contraire de l’homme plein de vivacité que l’on connaissait jusqu’alors. Pendant des années, il continuera d’apparaître et de s’engager, notamment en faveur de la lutte contre la maladie de Parkinson. Il vivra pendant trente-deux années avec cette maladie, et il est mort le 3 juin 2016, à soixante-quatorze ans, vingt ans après les Jeux d’Atlanta.
Ronald Reagan et Mohamed Ali ont-ils vécu leurs dernières années en vain ? Aurait-il fallu accélérer leur fin de vie, sous prétexte qu’ils ne pouvaient plus communiquer de la même manière avec leurs proches ? Ce qu’il faut noter, c’est que l’un comme l’autre n’ont jamais placé l’intelligence ou les capacités de communication au premier plan de leurs valeurs, mais bien le courage, ce courage incroyable qui leur a permis de surmonter des épreuves terribles et d’être une source d’inspiration pour les âges futurs. Pour eux, qui avaient tout connu, qui avaient atteint les sommets, la vie gardait un sens, même après la perte de leurs capacités relationnelles ou cognitives, et ce pendant des années, des décennies. L’un et l’autre étaient très croyants, et la Bible ne fait jamais l’éloge de l’intelligence ou du charisme, mais du « cœur », cette faculté plus profonde, intérieure, d’où « jaillit la vie » (Pr, 4, 23).
Tu me dis que tu ne veux pas finir comme un légume. Laisse-moi te lire quelques lignes de l’encyclique Evangelium vitæ de Jean-Paul II, publiée en 1995 : « Il faut évoquer la logique qui tend à identifier la dignité personnelle avec la capacité de communication verbale explicite et, en tout cas, dont on fait l’expérience. Il est clair qu’avec de tels présupposés il n’y a pas de place dans le monde pour l’être qui, comme celui qui doit naître ou celui qui va mourir, est un sujet de faible constitution, qui semble totalement à la merci d’autres personnes, radicalement dépendant d’elles, et qui ne peut communiquer que par le langage muet d’une profonde symbiose de nature affective » (19).
Jean-Paul II était lui-même très diminué pendant de longues années, à la fin de sa vie. Tout le monde se souvient de ces images où on le voit courbé, presque incapable de se mouvoir, de s’exprimer. Il a pourtant continué son apostolat jusqu’au bout, et a publié une dernière encyclique en 2003, deux ans avant sa mort, Ecclesia de Eucharistia, dont les dernières lignes font précisément appel au cœur, contre l’intelligence : « Si, face à ce mystère, la raison éprouve ses limites, le cœur, illuminé par la grâce de l’Esprit Saint, comprend bien quelle doit être son attitude, s’abîmant dans l’adoration et dans un amour sans limites » (62).
Peut-être que mon intelligence s’éteindra. Peut-être que je ne pourrai plus communiquer avec mes proches. Mais je connais mon cœur. Et tant que mon cœur battra, tant qu’il me prêtera un souffle de vie, j’estime que celle-ci aura un sens. »

10 octobre 2019

Réminiscence



Je suis fatigué quand le soir
Je range mes vêtements dans l’armoire
Après toute une journée de travail
Toute une journée dans la grisaille.

Mais je sais
Que je suis
Autre chose.

J’ai pas envie de m’lever le matin
De m’lever pour aller au turbin
Et me faire engueuler par je ne sais quelle emmerdeuse
Parce qu’y a plus de papier dans la photocopieuse.

Mais je sais
Que je suis
Autre chose.

Tous les jours sur la route y a des embouteillages
Ça contribue aussi à renforcer mon surmenage
Le docteur me l’a dit faut qu’je prenne mes cachets
Et que j’me couche plus tôt au lieu de regarder la télé.

Mais je sais
Que je suis
Autre chose.

Pendant les vacances je reste à la maison
J’suis tout seul j’écoute des chansons
Les autres y partent avec leurs copines
Et moi je pleure en mangeant des sardines.

Mais je sais
Que je suis
Autre chose

Et je sens s’apaiser ma souffrance
Sous le souffle d’une douce réminiscence :

Je suis le Prince noir d’une terre sanglante,
Fils d’Antys, fils d’Omer, fils d’Anaxymaranthe,
Seigneur des Hauts Plateaux et Grand Duc d’Amarud,
Et lorsque sur le dos de ma jument Otrud
Je conduis au combat d’une allure souveraine
Mes trois cents légions vers la nordique plaine
Je sens les vents de l’aube embrasser mes cheveux
Et dans l’éther enfler la jalousie des dieux.

26 septembre 2019

Psaume



Ma vie était vacante et tu l’as rendue pleine ;
Tous m’avaient rejeté et toi tu m’as nourri ;
Mes ennemis riaient et accroissaient ma peine,
Et tu les as fait taire en entendant mon cri.

Yahvé ! je chanterai ta puissance et ta gloire,
Toi qui même aux bergers fais signe d’approcher,
Toi qui promets à Sion descendance et victoire,
O mon unique Dieu, mon roc et mon rocher !

Et lorsqu’il me faudra repartir à la guerre
Pour chasser à jamais de ta fertile terre
Le profil insultant du guerrier philistin,

Je broierai ces impies comme un chien broie ses puces,
Et dresserai pour toi, au soleil du matin,
En pyramides d’or, leurs six mille prépuces.

12 septembre 2019

Antoine de Saint-Exupéry : Terre des hommes



Lu Terre des hommes, de Saint-Exupéry, avec intérêt. On y retrouve ce mélange de lyrisme et de confrontation directe avec la vie qu’il y a aussi chez Malraux et dans toute la littérature de cette époque. Le lyrisme appliqué aux réalités brutales du vingtième siècle : la technique, la guerre, la camaraderie, la mort. Ce n’est pas le genre de littérature que je préfère, mais il faut reconnaître à toute cette génération, Malraux, Hemingway, Montherlant, le mérite d’avoir vécu et écrit au cours d’une des périodes les plus troublées de l’histoire. Aucun n’en est sorti indemne : Hemingway et Montherlant se sont suicidés, Malraux était ravagé de tics nerveux, et Saint-Exupéry s’est abîmé en mer lors d’une sortie aérienne en juillet 1944.
Ce qui me frappe, dans Terre des hommes, c’est l’insistance constante de Saint-Exupéry sur les expériences extrêmes, au contact de la nature, du large, de l’infini. Infini du ciel étoilé, infini du désert, infini des montagnes. Expériences extrêmes de survie dans les conditions les plus hostiles, à la frontière de la mort. Ce que tout cela traduit, en creux, c’est un refus radical du quotidien, un refus de la trivialité et de la mesquinerie de la vie urbaine. Il y a un passage qui illustre parfaitement ceci. Avant son premier vol pour la ligne du courrier Toulouse-Dakar, Saint-Exupéry prend le bus à l’aube avec de modestes fonctionnaires de la ville. Il éprouve le sentiment invincible de ce qui le sépare de ces formes grises, anonymes : « Je surprenais (…) les confidences que l’on échangeait à voix basse. Elles portaient sur les maladies, l’argent, les tristes soucis domestiques. Elles montraient les murs de la prison terne dans laquelle ces hommes s’étaient enfermés. (…) Vieux bureaucrate, mon camarade ici présent, nul jamais ne t’a fait évader et tu n’en es point responsable. Tu as construit ta paix à force d’aveugler de ciment, comme le font les termites, toutes les échappées vers la lumière. Tu t’es roulé en boule dans ta sécurité bourgeoise, tes routines, les rites étouffants de ta vie provinciale, tu as élevé cet humble rempart contre les vents et les marées et les étoiles. Tu ne veux point t’inquiéter des grands problèmes, tu as eu bien assez de mal à oublier ta condition d’homme. Tu n’es point l’habitant d’une planète errante, tu ne te poses point de questions sans réponse : tu es un petit-bourgeois de Toulouse.  » Et tout l’ouvrage est marqué par ce choix originel : plutôt le danger, plutôt la mort qu’une vie médiocre. C’est en sacrifiant sa vie qu’on la justifie.
Ce que l’on devine, chez Saint-Exupéry, c’est un rejet complet de la vie moderne. Les cieux et la mer sont plus accueillants, malgré leurs dangers, que le bitume des villes. Sans doute Saint-Exupéry avait-il prévu et accepté son destin. Dans une lettre à un ami, envoyée juste avant sa disparition, il écrivait : « Si je suis descendu, je ne regretterai absolument rien. La termitière future m’épouvante. Et je hais leurs vertus de robots. Moi, j’étais fait pour être jardinier. »

29 août 2019

Quentin Tarantino : Once upon a time in Hollywood



Vu Once upon a time in Hollywood, le dernier film de Quentin Tarantino. Le film a réalisé un très bon démarrage lors de sa première semaine d’exploitation en France, le meilleur à ce jour pour un Tarantino, après avoir très bien marché également aux États-Unis. Les critiques sont généralement bonnes, voire très bonnes, même si certains ont trouvé le film ennuyeux (2 h 40 tout de même). Autant le dire tout de suite, c’est mon cas. Avant de tenter d’expliquer la chose, un simple constat subjectif : je me suis ennuyé, je n’ai pas pris de plaisir, et l’on peut avancer tous les arguments que l’on voudra (splendeur de la reconstitution, jeu des acteurs, etc.), on peut dire ce qu’on veut, au cinéma c’est le plaisir qui compte et qui tranche la question.
Once upon a time in Hollywood se déroule en 1969, et l’on pourrait le qualifier de film « meta- », c’est-à-dire un film qui ne se suffit pas par lui-même, qui nécessite de connaître le contexte pour comprendre et apprécier. Par exemple, [spoiler] Charles Manson n’apparaît que dans une seule scène dans le film, il frappe à la porte de la maison de Sharon Tate, s’entretient brièvement avec Jay Sebring et s’en va, mais si on ne sait pas qui est Charles Manson on ne voit pas ce que vient faire là ce type bizarre qu’on ne reverra plus par la suite. [/spoiler] Et il y a plein de choses dans ce genre. C’est donc davantage l’évocation de l’ambiance d’une époque qu’un récit structuré et satisfaisant en lui-même. Raison pour laquelle les quinquagénaires et sexagénaires semblent davantage apprécier le film que les millennials.
Le vrai sujet du film, c’est 1969, époque fascinante, il est vrai, à tous égards. C’est le moment ou toute la charge de lyrisme et de beauté contenue dans la jeunesse des années 60 bascule dans le noir, dans le sérieux. Assassinat de Sharon Tate. Sortie d’Easy Rider. Publication de la Bible satanique d’Anton LaVey. Sortie, quelques mois plus tard, de Gorge profonde, de Massacre à la tronçonneuse. On ne rigole plus. Les baby boomers adolescents aimaient la romance. Ils arrivent à l’âge où ils veulent que toutes ces aspirations se concrétisent enfin. Ils veulent de la chair, du sang. Août 1969 est le moment du basculement, lorsque toute la poésie flower power, à son paroxysme, enclenche son mouvement vers les ténèbres. C’est très émouvant, c’est sublime, et la musique de cette époque a merveilleusement capté tout cela, avec la naïveté juvénile de Simon and Garfunkel ou des Mamas and the Papas. C’est cela que Tarantino a voulu retranscrire, et à certains égards il y parvient. La qualité de la reconstitution est étourdissante. Il y a tout : les voitures, les vêtements, les marques de magasin, les restaurants, les émissions de télé, les stations de radio, tout. Tout pour saisir le moment le plus triste de l’histoire du vingtième siècle, lorsque l’innocente hippie californienne avec sa fleur dans sa chevelure blonde et tout l’avenir devant elle décide d’envoyer balader ses parents et sa morale de WASP et de frayer avec le bad boy du coin. Au revoir Johnson, au revoir De Gaulle. Bonjour Nixon, bonjour Giscard. Le rêve de jeunesse est brisé. La vraie vie commence.
Il y a une scène qui symbolise ce soin névrotique, obsessionnel, apporté à la reconstitution. Au début du film, au cours du générique, un plan travelling monte un escalier et filme Sharon Tate qui se déhanche dans une salle avec d’autres personnes. Le plan est superbe, les coiffures, l’éclairage, les vêtements, tout. Il dure une seconde, il a à peine le temps de s’imprimer sur la rétine. On imagine aisément la quantité de travail, de recherches nécessaire pour offrir ce plan d’une seconde. Et tout le film est comme cela, chaque plan regorge de détails qui ne sont jamais soulignés, qui sont là, simplement. Les rues en particulier, les lampadaires, les fissures sur le macadam, les affiches publicitaires. C’est vraiment le film d’un monomaniaque de la sous-culture américaine, de ce que l’on appelle l’americana.
Rien que pour cela, Once upon a time in Hollywood mérite un respect immense et restera dans l’histoire, en ce qu’il aura contribué à définir l’imagerie d’une époque.
Hélas, hélas, il y avait tout pour faire un grand film, et c’est en définitive un échec, un échec total. Le problème, c’est le sujet du film, de l’histoire. C’est un film clos sur un sujet insipide, insignifiant, alors qu’il y avait tant à dire. Ce sujet, c’est la star de cinéma. [Spoiler] Si le fait de voir Leonardo DiCaprio, acteur sur le déclin dans le film, parler avec une petite fille actrice à propos du métier de comédien, de le voir ensuite jouer une longue scène de western au cours de laquelle il oublie son texte, puis une autre où, au contraire, il improvise à merveille, si c’est cela que vous aimez voir au cinéma, alors le film vous plaira. Mises bout à bout, ces trois scènes doivent durer plus d’une demi-heure. [/Spoiler] Et elles symbolisent parfaitement le postulat sous-jacent du film : quoi qu’une star fasse, quoi qu’elle dise, c’est toujours plus intéressant que ce que vous, vous pouvez faire. Voir une star en train de donner à manger à son chien, en train de faire les courses, en train de regarder la télé, c’est plus intéressant que de voir n’importe qui d’autre faire quoi que ce soit d’autre. Il y a une réplique dans le film qui exprime cela. Cliff Booth (Brad Pitt), la doublure, appelle Rick Dalton (DiCaprio) par la fenêtre de la voiture et lui dit, pour lui remonter le moral : « You’re Rick fucking Dalton. » Ce sont les mots que répètera DiCaprio après sa grande scène d’acting : « Rick fucking Dalton ». Mais ce qu’il faut entendre, ce que cela signifie, c’est : « Leonardo Di fucking Caprio ». « Je suis Leonardo DiCaprio, et donc le seul fait de me voir sur un grand écran constitue en soi une expérience cinématographique joussive.  » Et, de fait, les acteurs mangent complètement les personnages, on ne voit jamais Rick Dalton et Cliff Booth, mais bien toujours Brad Pitt et Leonardo DiCaprio, le film est vendu comme cela, c’est son postulat esthétique fondamental. En cela, Once upon a time in Hollywood est l’exact contraire de Pulp Fiction. Dans Pulp Fiction, Tarantino avait pris un acteur has been à l’époque, John Travolta, et lui avait fait jouer le rôle d’un malfrat pataud, gauche, très maladroit. C’était drôle, touchant. Ici, c’est le contraire : on prend des stars au sommet et on les sublime, on montre les abdominaux de Brad Pitt, la palette d’acteur de DiCaprio qui passe par tous les états, la démarche de Margot Robbie, et c’est cela qui constitue la matière même du plaisir cinématographique que l’on est censé prendre. Du coup, on n’entre jamais dans le film. On reste purement extérieur, spectateur, pauvre plouc de province qui va admirer trois idoles avant de repartir dans son existence insignifiante. Le film est une expérience idolâtrique, alors qu’on attend d’un film qu’il nous intègre dans son imaginaire à travers des émotions et des souffrances partagées (catharsis).
Il est d’ailleurs significatif de noter [spoiler] qu’il n’y a quasiment pas d’interaction entre les trois personnages principaux du film, ce qui, à ma connaissance, est sans précédent. De tout le film, Margot Robbie n’adresse pas une seule fois la parole à Brad Pitt ou Leonardo DiCaprio. Ces deux derniers parlent à peine ensemble, chacun est enfermé dans sa ligne : DiCaprio dans son autisme d’acteur (dans la dernière scène de carnage il a des écouteurs sur les oreilles et il flotte sur une bouée au milieu de sa piscine)  ; Brad Pitt est un peu plus vivant (ce n’est pas une star dans le film), il a plus d’interactions, notamment avec des hippies de la bande de Manson, et c’est la raison pour laquelle ses scènes sont les meilleures, et généralement les plus appréciées du public. Mais à aucun moment les trois personnages ne se rencontrent vraiment, et c’est pourquoi il y a si peu de tension narrative. [/spoiler] La conséquence de tout cela, c’est l’ennui, un ennui persistant qui fait qu’à presque chaque séance plusieurs personnes quittent la salle.
Once upon a time in Hollywood marque ainsi une évolution inquiétante dans la filmographie de Quentin Tarantino. C’est le moment où le cinéma cesse d’être magique par lui-même, par son scénario, sa mise en scène, ses scénographies, et où le fait de voir pendant des dizaines de minutes Leonardo DiCaprio en gros plan est supposé constituer en soi une source de plaisir infinie. C’est le moment où la star prend le pas sur l’imaginaire, où le cinéma n’est plus un moyen d’évasion mais au contraire d’enfermement dans les diktats de l’époque : la notoriété comme valeur ultime de notre temps. Le délire cinéphilique de Tarantino se clôt sur une prison dorée et scintillante, une coquille vide, une somme de solitudes étanches entre elles.
Il paraît que Tarantino a prévu de faire dix films dans sa carrière. Once upon a time in Hollywood est le neuvième. L’avenir dira ce que l’enfant terrible d’Hollywood nous réserve. Pour certains d’entre nous, cela fait plus de deux décennies que nous le suivons. Et les plus anciens, les plus fervents ont, de film en film, le sentiment douloureux que c’est bien fini, qu’il ne remontera plus la pente, que le meilleur est passé, derrière nous.
Paradoxalement, Once upon a time in Hollywood répond bien à son sujet : c’est le film des espérances déçues, le bonheur a été entrevu au terme d’un travelling, l’espace d’un instant, puis la réalité s’est refermée sur le déjà-vu, sur le trivial, sur l’ennui.

22 août 2019

Christianisme, le grand secret



Je discutais l’autre jour avec un ami catholique.
« Ce que j’ai à te dire concerne les origines du christianisme. Je ne sais pas par où commencer. J’ai beaucoup travaillé sur la question, depuis des années, depuis 2004, et je vais tout te révéler aujourd’hui. Je te demande de ne pas m’interrompre, même si ce que je te dis te choque. Laisse-moi faire ma démonstration jusqu’au bout, et ensuite tu pourras me répondre.
Imagine un enfant qui naît, vers la fin de la République romaine, juste avant l’Empire. Ses initiales sont J.C. Il s’agit de Jules César. Son père naturel meurt rapidement, c’est un enfant sans père. Sa mère, Aurelia, est une femme d’une vertu distinguée, admirée par tous, et en particulier par l’enfant qui se tournera toute sa vie vers elle comme vers un modèle de pietas romaine. L’enfant grandit. Il se croît doté d’un destin exceptionnel. Il invoque sans cesse une puissance au-dessus de lui, la Fortune, qui lui vient en aide aux moments critiques. Il se dit descendant de la divinité, en l’occurrence de Vénus (« Vénus Victrix » était le cri de guerre des césariens à la bataille de Munda). César embrasse une carrière politique, il part mener des campagnes au cours desquelles, contre toute attente, il remporte des succès miraculeux. Par ailleurs, la clémence est un élément central de sa politique. Contrairement à ses adversaires et à ses prédécesseurs, il pardonne à ses ennemis, il leur octroie même des bienfaits, il nomme par exemple Brutus gouverneur de la Gaule cisalpine et préteur après la défaite des pompéiens à Pharsale. C’est la fameuse « clémence de César ». J.C. triomphe de toutes les forces terrestres. Sentant son heure venue, il rentre dans la ville sainte, Rome, et il offre librement sa vie pour ses semblables. Le sacrifice a lieu au début du printemps, au cœur du pouvoir politique, à la Curie. En mourant, J.C. pardonne à ses meurtriers. Et de fait on découvrira dans son testament qu’il lègue à la population de Rome une partie de sa fortune et de ses terres.
Immédiatement, un culte s’installe. Tu sais que le territoire de la ville de Rome était sacré, et que l’on n’avait le droit d’enterrer personne à l’intérieur du pomerium, l’enceinte sacrée. Eh bien pour J.C. on fait une exception. On dresse un bûcher en plein forum, puis l’on élève un temple à cet endroit, le long de la Voie sacrée, juste à côté de la Regia. Les ruines de ce petit temple existent encore, si tu vas à Rome tu peux les voir sur le Forum, et il paraît que les fascistes italiens viennent y déposer une gerbe de fleurs tous les 15 mars.
Après la mort de J.C., des phénomènes étranges se produisent. Ceux qui invoquent son Esprit sont invincibles. Le jeune Octave, frêle, craintif et maladif, prend son nom, et il vient à bout du terrible Marc Antoine, combattant-né et adulé des troupes. Une période inédite de paix commence, sous les auspices de César. Le culte impérial est instauré, et il gagne toute la terre, en moins d’une génération.
Ce que l’on n’avait jamais cru possible, après des siècles de luttes entre cités, puis de guerres civiles, est arrivé : la paix, l’opulence, la liberté de commerce et de circulation.
Pourquoi n’en est-on pas resté là ? me demanderas-tu. Eh bien, il y avait deux problèmes. Un problème moral tout d’abord. Jules César était un homme de guerre, il avait été directement responsable de la mort de millions d’individus, et puis il n’était pas irréprochable sur le plan des mœurs, il aimait le luxe, il avait eu une infinité de maîtresses et d’amants. Ensuite, le culte de César était avant tout un culte politique (tu sais qu’on tuait les martyrs chrétiens uniquement parce qu’ils refusaient de sacrifier à César, ils faisaient preuve en cela de sécession par rapport au corps social). Or, assez rapidement, cette articulation entre le culte et le pouvoir s’est avérée problématique, le pouvoir se salit toujours les mains, et l’on n’a pas forcément envie de confier ses aspirations spirituelles à une réalité bassement concrète.
Il fallait donc transférer toute la substance du culte de J.C. sur un tronc qui fût à la fois moral et apolitique. Ce n’était pas facile. Tous les peuples, des Égyptiens aux Perses en passant par les Grecs, avaient toujours confondu pouvoir sacerdotal et pouvoir politique. Le culte était partout le culte du souverain. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle tous ces peuples se sont finalement fondus sans trop de problème au sein de l’Empire. À la vérité, il n’y avait qu’un seul peuple qui refusait cette soumission du spirituel au pouvoir temporel, qui critiquait ses rois dans ses textes sacrés, qui remplissait la charge de son culte à l’écart, qui ne voulait pas se mélanger ni céder aux injonctions du temps. C’était un petit peuple oriental, qui avait fait preuve d’une grande résilience par le passé, qui avait survécu aux Babyloniens et aux Perses, et qui s’enorgueillissait d’une mystérieuse promesse et d’un mystérieux héritage : c’était le peuple juif.
Dès lors, la marche à suivre était toute trouvée : il fallait greffer le culte de J.C., la paix et la puissance qui l’accompagnaient, la solution qu’il avait apportée à l’antique désordre et à l’antique souffrance humaine, il fallait greffer ce culte sur le tronc de l’arbre juif, seul exempt de compromission avec les puissances terrestres. Pour ce faire, il fallait trouver un homme de génie. Il fallait qu’il connût parfaitement les Écritures juives, qu’il fût un authentique docteur de la Loi. Mais il fallait aussi qu’il fût membre du corps social, qu’il fût citoyen romain. Ainsi la jonction pourrait s’opérer. Or il y avait à Jérusalem un nommé Saul, originaire de Tarse. Saul étudiait la Loi depuis son plus jeune âge. Ce Saul était citoyen romain, il n’hésitait pas à s’en targuer, comme il le fera plus tard en exigeant d’être jugé selon la justice impériale devant le procurateur de Judée Antonius Felix. Et Saul avait pu constater les indéniables bienfaits de l’empire romain : exerçant le métier de fabriquant de tentes, il pouvait circuler et commercer en toute sécurité avec le monde entier. Alors, un événement mystérieux se produit. Saul prend conscience de sa vocation. Il constate les impasses du pharisaïsme, d’un peuple juif replié sur lui-même alors que le monde est entré dans une ère nouvelle. Il décide de débarrasser le culte impérial de son impureté temporelle, et d’apporter à tous à la fois la paix de J.C. et la pureté de la Loi mosaïque. Il va bâtir une grande tente, l’Église, que chaque homme aura vocation à intégrer. Le christianisme est né. »
Il se tut un instant, et reprit d’une voix grave. :
« Tu penses peut-être qu’en disant cela je discrédite le christianisme. Mais c’est tout le contraire. Le christianisme est la vérité, la seule vérité, la seule voie vers le salut et la paix, et l’histoire que je viens de te raconter le prouve. Un seul homme a sacrifié le repos de sa vie pour le bien de tous, il a vécu dans les tribulations, il a fait des miracles, et après sa mort il a laissé sa paix à ses disciples. Mais cet homme, c’est Jules César. Sans César, pas de christianisme. C’est lui et lui seul qui a changé la face du monde. Le reste est une épuration nécessaire, voilà tout. »
Après une pause, il reprit fébrilement :
« Depuis que j’ai fait cette découverte, je ne dors plus. J’ai écrit au nonce apostolique, j’attends sa réponse. Il y a là cinq enveloppes, dans lesquelles j’ai déposé cinq dossiers qui recoupent et appuient toutes les assertions que je viens de faire devant toi. Si je décide d’envoyer ces dossiers aux cinq plus grands quotidiens français, en une génération c’en est fait du christianisme. Il suffit que quelques philologues, exégètes, spécialistes des processus cognitifs humains se penchent sérieusement dessus pour entériner définitivement la vérité de ce que je viens de te dire. Tout cela est entre mes mains, et ne dépend que de moi.
Je ne suis pas un athée. Je ne suis pas un agnostique. Je suis un catholique romain. C’est pourquoi j’ai pu voir si clair dans ce problème. Et je ne compte pas renoncer à ma foi, je ne compte pas rompre après tant d’autres l’Alliance avec le Dieu des douze tribus.
Je ne sais pas quoi faire. Tu peux me donner ton opinion. Je t’écoute. Mais je te demande solennellement, je te supplie de garder un silence éternel sur tout cela, et de ne jamais le révéler à qui que ce soit. »

9 août 2019

Il y a cinquante ans, Charles Manson



Je vivais avec mon chien, dans un appartement, avec mon chien et ma vie c’était aller au travail, rentrer à la maison, aller faire des courses. Une vie de routine, d’un ennui total. Et ça me pesait. Quand il est apparu, j’ai décidé de tout laisser tomber, quoi qu’il advienne.

Mary Brunner, citée dans Vincent Clark, Il était une fois Charles Manson

Je discutais l’autre jour avec un vieil ami.
« J’ai lu récemment un livre très intéressant, me dit-il. C’est une biographie de Charles Manson, sortie cette année, et signée d’un certain Vincent Clark. (Tu sais que les événements qui ont rendu Manson tristement célèbre ont eu lieu il y a cinquante ans tout juste, et que le film de Tarantino sort dans quelques jours). Un passage a retenu mon attention, des propos de Mary Brunner, la première jeune fille tombée sous la coupe de Manson, la toute première membre de ce qui deviendra la « Family ». Elle déclare : « Je vivais avec mon chien, dans un appartement, avec mon chien et ma vie c’était aller au travail, rentrer à la maison, aller faire des courses. Une vie de routine, d’un ennui total. Et ça me pesait. Quand il est apparu, j’ai décidé de tout laisser tomber, quoi qu’il advienne. » Mary Brunner était assistante à la bibliothèque du département des sciences humaines de l’université de Berkeley. Manson l’a rencontrée alors qu’il jouait de la guitare sur le campus, en 1967. Elle tombera rapidement enceinte, et son fils sera le premier des nombreux enfants qui verront le jour au sein de la Family.
On croit parfois que Manson n’a attiré à lui que des junkies, des filles paumées, ce que l’on appelle communément des white trash. Mais ce n’est pas le cas. Dans la Family, il y avait aussi des filles éduquées, diplômées. Par exemple une certaine Sandra Good, qui a fait des études de littérature anglaise, d’espagnol et de biologie marine, et qui était politisée. Comment des jeunes filles comme cela, venues souvent de milieux rangés et bourgeois (l’auteur le souligne), ont-elles pu succomber à un tel monstre ? Eh bien cela me semble très clair, très cohérent. La clé de l’énigme, c’est que Manson leur parlait exactement le langage que toute leur époque leur avait appris à comprendre, à aimer. Manson a déclaré ceci lors de son procès (je cite toujours le livre) : « Vous pouvez faire ce que vous voulez de moi mais vous ne pouvez pas m’atteindre parce que je ne suis que mon amour. » Si Manson exerçait une telle emprise sur ses interlocuteurs, c’est parce qu’il se situait, exclusivement, au niveau des émotions. Il parlait d’amour, de partage, il chantait des chansons, il disait qu’il fallait vivre dans le présent, ne pas se soucier de l’avenir. Il ne faisait pas appel à leur raison. Il avait instinctivement compris que dans le monde de 1967, dans lequel il débarquait après avoir passé sa jeunesse dans différents centres de détention, ce n’étaient pas des idées, des convictions, des vérités qui faisaient agir les gens, mais ce qu’ils ressentaient, tout simplement. C’est très exactement le monde dans lequel nous vivons. Nous n’acceptons plus de souffrir pour une cause qui nous dépasse, pour le devoir, la vertu, pour Dieu, pas plus pour l’avenir, ni pour les autres (les baby boomers ont placé leurs parents dans des EHPAD et ont laissé des dettes monumentales à leurs enfants). Ce qui compte, c’est de se sentir bien, d’où le succès des stars de rock et de pop qui sont les vrais maîtres des cœurs et des corps à notre époque (qui peut rivaliser avec Mick Jagger ?). Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, ce n’est plus un principe abstrait qui nous domine, mais nos affects, quelles qu’en soient les conséquences. Pas de logique, pas de raison. Pas de religion surtout. De la musique, des sensations.
Je comprends Mary Brunner comme si je l’avais faite. Elle était en prison au moment des meurtres de Cielo Drive et n’a donc pas commis d’homicide. Après 1977 elle a changé de nom, elle a disparu des radars. Mais si elle pouvait parler de son expérience aujourd’hui, elle te dirait ceci : « Oui, c’est vrai, j’ai suivi Charles Manson, j’ai même été la première à le faire. Mais c’était irrésistible, c’était plus fort que moi, voilà la vérité toute nue. Charles disait que toute la société n’est que mensonge et hypocrisie, que rien ne doit être propriété privée, qu’il faut tout partager, vivre dans l’amour. Il avait une vision si nette de ce qu’il voulait, un tel pouvoir de persuasion, et je m’ennuyais tellement dans mon quotidien, que je l’aurais suivi au bout du monde, sans hésiter. Il y avait un type qui me faisait des avances à la bibliothèque de la fac, un certain Brad. Un gars sérieux, fiable, attentionné. Si je m’étais mise avec lui, j’étais assurée d’avoir une vie réglée, sans surprises. Mais je n’en voulais pas. Charlie m’offrait le frisson de l’aventure, et cela n’avait pas de prix. Je préférais vivre dans la misère avec Charlie et son harem (nous n’avions pas de quoi manger, nous faisions les poubelles des grandes surfaces), plutôt que de m’installer avec ce type terne. Dès le début, dès le premier jour j’ai senti qu’il y avait quelque chose de mauvais dans le regard de Charlie. Mais c’est justement cela qui m’attirait. Je vivais dans une société de consommation, sans Dieu, sans transcendance, sans sacré, et seul ce que je ressentais m’importait. Je ne voulais pas faire le bien, « donner de bons fruits » comme dit la Bible. Je voulais du plaisir, me sentir vivante, me sentir bien. Et je sais que si c’était à refaire, placée dans les mêmes circonstances, je le referais, sans la moindre hésitation. »

2 août 2019

Voltaire, Schopenhauer et la haine des juifs



À présent, chacun aspire à séparer sa personnalité des autres, chacun veut goûter lui-même la plénitude de la vie ; cependant, loin d’atteindre le but, tous les efforts des hommes n’aboutissent qu’à un suicide total, car, au lieu d’affirmer pleinement leur personnalité, ils tombent dans une solitude complète. En effet, en ce siècle, tous se sont fractionnés en unités. Chacun s’isole dans son trou, s’écarte des autres, se cache, lui et son bien, s’éloigne de ses semblables et les éloigne de lui. Il amasse de la richesse tout seul, se félicite de sa puissance, de son opulence ; il ignore, l’insensé, que plus il amasse plus il s’enlise dans une impuissance fatale.

Fiodor Dostoïevski, Les Frères Karamazov

Je discutais l’autre jour avec un ami catholique.
« J’ai beaucoup lu dans ma jeunesse, me dit-il. Aujourd’hui encore, quand je retourne dans ma famille, que je passe devant ma bibliothèque, je ne peux pas revoir certains volumes sans émotion. Deux auteurs en particulier : Schopenhauer et Voltaire. Je ne suis pas du tout bibliophile, mais le beau volume du Monde comme volonté et comme représentation aux P.U.F., avec la couverture cartonnée, que j’ai dû acheter vers 2002, ou les deux volumes des Contes de Voltaire chez Folio m’attirent irrésistiblement, j’ai toujours envie de les toucher, de les ouvrir. Il suffit d’ouvrir Voltaire pour percevoir toutes les qualités de son intelligence : ces phrases parfaites, ni trop longues ni trop courtes, cette pensée nette, précise, lumineuse, cette foi dans le progrès et la civilisation qui surmonte le constat de toutes les horreurs du monde. J’aspirais à avoir précisément les mêmes qualités d’équilibre et de lucidité. Je lisais beaucoup Platon aussi, qui ressemble tellement à Voltaire et Schopenhauer par certains côtés : l’ironie, l’intelligence, le refus des jouissances vulgaires et des passions fortes. Je me souviens en particulier d’un de ses dialogues de jeunesse, Alcibiade, qui me ravissait et que j’ai lu plusieurs fois. J’avais vraiment le sentiment d’avoir trouvé ma famille intellectuelle, d’être chez moi chez ces auteurs. Il me semblait qu’ils me conduiraient tout naturellement vers un avenir radieux, loin des inepties frénétiques du monde moderne.
Il y beaucoup de points communs entre Voltaire et Schopenhauer. Ce sont deux rentiers qui ont vécu à l’abri des tempêtes du monde, vingt ans à Ferney pour Voltaire, près de trente ans à Francfort pour Schopenhauer, dans des ermitages où ils ont pu polir des œuvres magistrales. Des solitaires, pas de femmes, pas d’enfants, des êtres totalement voués à l’aventure intellectuelle où ils se sont illustrés avec éclat. L’attirance irrésistible que ces deux auteurs ont exercée sur moi, je pense qu’ils peuvent l’exercer sur tous les êtres avides d’accomplissement intellectuel. Leur séduction est souveraine, et c’est, je te le dis comme je le pense à présent, avec l’expérience de la vie et du monde, c’est la séduction du diable. L’essence la plus pure du péché se trouve chez Voltaire et Schopenhauer, c’est pourquoi il est si difficile de leur résister. Il y a tout : le culte de l’intelligence, la volonté de se créer son petit bonheur à part (le fameux « il faut cultiver son jardin »), la déification des œuvres de l’homme (pense au statut des arts chez ces deux auteurs), la prétention de réaliser son salut soi-même, sans aide extérieure. Il y a tout, et précisément ce que veut par-dessus tout l’homme moderne : se sauver du monde, briller par ses qualités propres. Le péché d’orgueil dans toute sa pureté. Laisse-moi te lire un passage de Dostoïevski, il avait tout prévu. »
Il se leva, saisit un volume sur sa table de travail et me lut le passage suivant : « À présent, chacun aspire à séparer sa personnalité des autres, chacun veut goûter lui-même la plénitude de la vie… »
Il se tut un instant, et reprit sur un ton soucieux : « Cette influence si forte de Voltaire et Schopenhauer, j’estime qu’elle a été funeste entre toutes. C’est de Voltaire que viennent en grande partie toutes les horreurs de la Révolution : le massacre des ecclésiastiques, la profanation des lieux de culte et des tombes des rois, tout cela vient du travail de sape de Voltaire qui a tourné la liturgie catholique en ridicule pendant des décennies, sur des milliers de pages. Toute la substance spirituelle avait été détruite, il ne restait plus qu’à abattre des corps déjà considérés comme morts. Quant à Schopenhauer, tout le nihilisme du début du vingtième siècle en découle : Hitler avait son buste sur son bureau et avait emporté Le Monde comme volonté et comme représentation dans les tranchées de la Première Guerre mondiale. Quelle valeur accorder à la vie humaine quand on pense que tout n’est qu’illusion, voile de Maya, que notre substance profonde est indestructible ? L’homme voltairien, schopenhauerien, se coupe des autres, méprise la charité chrétienne. Mais lorsque ces influences s’emparent de peuples entiers, c’est la porte ouverte à toutes les rages destructrices, au nom du Bien évidemment.
Sais-tu ce qui est très révélateur chez ces deux auteurs ? C’est leur haine du juif, de la Bible. C’est plus que de la haine, c’est de l’obsession, chez chacun d’eux. Voltaire y revient sans cesse, sans cesse. Je te cite quelques phrases, mais tu peux ouvrir le Dictionnaire philosophique ou l’Essai sur les mœurs, cela revient à chaque page, vraiment : « On ne voit au contraire, dans toutes les annales du peuple hébreu, aucune action généreuse. Ils ne connaissent ni l'hospitalité, ni la libéralité, ni la clémence. Leur souverain bonheur est d'exercer l'usure avec les étrangers ; et cet esprit d'usure, principe de toute lâcheté, est tellement enraciné dans leurs cœurs, que c'est l'objet continuel des figures qu'ils emploient dans l'espèce d'éloquence qui leur est propre. Leur gloire est de mettre à feu et à sang les petits villages dont ils peuvent s'emparer. Ils égorgent les vieillards et les enfants ; ils ne réservent que les filles nubiles ; ils assassinent leurs maîtres quand ils sont esclaves ; ils ne savent jamais pardonner quand ils sont vainqueurs : ils sont ennemis du genre humain. Nulle politesse, nulle science, nul art perfectionné dans aucun temps, chez cette nation atroce » (Essai sur les mœurs, VI). « Nous ne croirions pas qu’un peuple si abominable eût pu exister sur la terre : mais, comme cette nation elle-même nous rapporte tous ces faits dans ses livres saints, il faut la croire » (Essai sur les mœurs, introduction). « Les Juifs seuls sont en horreur à tous les peuples chez lesquels ils sont admis » (Essai sur les mœurs, CII).
Et chez Schopenhauer c’est à peine plus léger, il en parle moins, mais à chaque fois qu’il le fait c’est avec une hargne étonnante : « Un petit peuple de rien du tout, isolé, bizarre, gouverné sacerdotalement c’est-à-dire par la folie, parfaitement méprisé d’ailleurs de toutes les grandes nations de l’Orient et de l’Occident, ses contemporaines, je veux parler du peuple juif » (Le Monde comme volonté et comme représentation, II, 49). Houellebecq, qui connaît bien Schopenhauer, déclare très justement : « Le monothéisme est le seul sujet qui lui fasse réellement perdre son calme » (entretien au Point, octobre 2016).
Cette haine du juif, ce dégoût pour l’Ancien Testament, est très caractéristique, j’y vois la clé de leur vision du monde. Il faut constater, entre parenthèses, que ce sentiment est très partagé chez les agitateurs intellectuels de notre époque : les écologistes ne pardonnent pas à l’Ancien Testament son anti-panthéisme et la prééminence de l’homme sur la création, les féministes vomissent le patriarcat, les démocrates – la verticalité du pouvoir, l’homme moyen – l’anti-sentimentalisme et le ritualisme, etc. Mais ce que Voltaire et Schopenhauer n’acceptent pas, ce qui ne passe pas, en fin de compte, c’est la transcendance radicale du Dieu biblique. Yahvé est un Dieu qui intervient dans l’histoire, qui dépouille l’homme de son aspiration à forger son propre destin, à édifier son propre bonheur. Et cela, c’est inacceptable. L’intelligence se cabre : quand on est Voltaire ou Schopenhauer, on n’accepte pas de voir sa destinée remise entre les mains d’un Dieu qui parle à des bergères, à des gardeurs de moutons. On tient à ses prérogatives, on se hausse de toute la hauteur de l’intelligence humaine, seule capable d’amener la fin de l’histoire chez Voltaire, de prendre conscience d’elle-même et de déchirer le voile de Maya chez Schopenhauer.
J’ai beaucoup aimé Voltaire et Schopenhauer. J’avais entrepris des études de lettres, j’avais même commencé la rédaction d’une thèse de doctorat en littérature française et histoire des idées. J’aurais pu continuer dans cette voie, je serais peut-être professeur d’université à l’heure actuelle. Comme beaucoup, j’ai été sensible au chant des sirènes. Mais j’ai changé de voie, radicalement, le Seigneur ne m’a pas abandonné. Je ne me suis pas enfoncé dans cette solitude orgueilleuse de Voltaire et Schopenhauer, j’ai quitté Ferney, j’ai quitté Francfort. Je n’ai pas fermé la porte au Dieu de la Bible, je laisse ma vie se faire transformer et féconder par l’imprévu, par le transcendant, par l’autre. J’ai fait des rencontres, j’ai rencontré des trésors d’humanité dissimulés chez les personnes les plus simples, et de chacun j’essaie humblement d’apprendre quelque chose. Le Dieu de la Bible m’engage à partir sur les routes, à ne pas avoir peur, et même si le monde entier me pousse dans la direction contraire, vers mon confort, mes livres et mes écrans, je veux écouter la voix du Dieu de Jacob, pour ne plus rencontrer seulement l’image de la vie, bien propre, bien nette, bien voltairienne, mais la vie elle-même, enfin. »

26 juillet 2019

Les docteurs de l'Église sont-ils chrétiens ?



Je discutais l’autre jour avec un ami catholique.
« Je me suis toujours efforcé d’être un bon chrétien, me dit-il. J’ai suivi les recommandations du Magistère en matière d’autorités intellectuelles, et j’ai étudié les deux plus grands docteurs de la Tradition, saint Augustin et saint Thomas d’Aquin. Je n’oublie pas que Jean-Paul II a vivement recommandé, dans son encyclique Fides et ratio (1998), l’étude de saint Thomas d’Aquin, qualifié de « maître de pensée et [de] modèle d’une façon correcte de faire de la théologie » (43), ou que Léon XIII, dans son encyclique Æterni Patris (1879), le qualifiant « d’homme incomparable », exhorte le peuple chrétien, pour échapper à « l'immense péril dans lequel la contagion des fausses opinions a jeté la famille et la société civile », « à remettre en vigueur et à propager le plus possible la précieuse doctrine de saint Thomas ».
Je reconnais, chez Augustin, chez Thomas, une pensée ferme, abondante, un amour sincère de la vertu, une recherche ardente de la vérité. Mais tout ceci, précisément, me semble plus grec, plus philosophique, que véritablement chrétien. Dans sa Somme théologique, Thomas d’Aquin professe par exemple que « la volonté de Dieu est immuable » (I, 19, 7). Mais ce n’est pas du tout ce que nous dit la Bible ! Dieu change tout le temps d’avis dans la Bible, il change d’avis sur le sort de Sodome et Gomorrhe quand Abraham plaide en faveur des « dix justes » (Gn, 18, 32), il renonce à exterminer les Hébreux dans le désert après le veau d’or lorsque Moïse intercède pour eux (Ex, 32, 10), il change tout le temps d’avis chez les prophètes, frappant et bénissant tour à tour son peuple. Mais on comprend bien d’où saint Thomas a tiré sa proposition d’une « volonté immuable » : il était habité par l’idéal platonicien, néoplatonicien, plotinien, de l’Un, immuable, éternel, intangible, etc. C’est très grec, mais ce n’est pas du tout biblique.
Même chose chez Augustin. Augustin parle tout le temps d’« éternité », de « vertu », de « bien », de « mal », de « substances corruptibles », « incorruptibles », etc. Là aussi c’est un vocabulaire philosophique, qui ne figure presque pas dans la Bible.
À vrai dire, c’est la notion même de Dieu de ces penseurs qui me gêne. Leur Dieu est une abstraction, c’est le Dieu universel des philosophes. Or le Dieu biblique est un Dieu concret, personnel, inscrit dans l’histoire. C’est ainsi que Yahvé se révèle dans le buisson ardent : « Je suis le Dieu de ton père, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob » (Ex, 3, 6). Ou encore : « Je suis le Seigneur ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison de servitude » (Ex, 20, 2). C’est ainsi que Dieu se définit dans la Bible, le Dieu d’un petit peuple, de certains hommes choisis, et pas une abstraction universelle.
Il en est de même pour le Nouveau Testament. Là aussi, c’est à partir du concret, de l’historique, que Dieu se révèle. Il n’y a pas de Dieu ineffable trônant dans les nuages dans le Nouveau Testament, il n’y a que le Fils, le Saint-Esprit et le Père. Le Fils qui est le seul chemin vers le Père et le seul dispensateur du Saint-Esprit. Si l’on va au-delà, si l’on conçoit un Dieu absolu, monolithique, immuable, on tombe dans le Dieu unique de l’islam, dans la substance de Spinoza, dans le Dieu horloger de Voltaire. Ce n’est plus du tout chrétien.
Encore une fois, je ne veux pas du tout faire preuve de subversion. Je reste et je resterai toujours humblement soumis à notre sainte Mère l’Église. Mais comprends-moi bien : c’est le Dieu d’Abraham, de David et de Jésus-Christ que je prétends suivre, et pas celui d’Aristote et de Platon. »

19 juillet 2019

André Gide : Corydon



Lu Corydon, d’André Gide, avec beaucoup d’intérêt. Cela faisait longtemps que je voulais le lire. Toute la partie biologique me semble très renseignée et très pertinente. Gide voit dans la nature mâle une « surabondance de matière procréatrice », « plus de semence, infiniment plus de semence que de champ à ensemencer », ce qui explique à la fois la sublimation d’ordre artistique et ce qu’il appelle « l’uranisme ». Et pourtant Gide ne s’enferme pas dans un biologisme étroit, selon lui l’individu ne cherche pas tant la perpétuation de l’espèce (thèse de Schopenhauer) que la volupté, tout simplement, et par tous les moyens, ce qui explique là encore l’uranisme.
L’exposé de Gide est très clair, mais on sent que l’essai n’est pas son genre de prédilection. Il est poète avant tout, et considère avant tout le langage sous sa dimension poétique, littéraire, esthétique. D’où certaines préciosités parfois, une tendance à l’ellipse, à la concision, le contraire de ce style dense et remâché qui caractérise les penseurs et philosophes de profession.
La seconde partie est tout aussi intéressante que la première. Gide soutient que les époques de plus grand rayonnement artistique et intellectuel sont précisément celles où l’homosexualité s’est le plus librement manifestée : l’Antiquité grecque, la Renaissance italienne, l’époque élisabéthaine, etc. Au contraire, l’« exaltation de la femme » est un « indice de décadence ». Ici encore, je ne peux m’empêcher de partager l’avis de Gide. La vulgarité n’est jamais loin chez la femme, et elle est même souvent proportionnelle à la distinction de la forme. La femme nous entraîne vers le monde naturel, pulsionnel, foncièrement inharmonique, et cela n’a rien à voir avec les trésors de raffinement et d’intelligence que peuvent mettre au jour des hommes habités par l’idéal humain qui se dégage d’un amour masculin (Platon, Michel-Ange, etc.). D’ailleurs, cela explique beaucoup de choses quant à notre époque : le cinéma est l’art hégémonique, or la femme est souveraine au cinéma, d’où le prosaïsme et l’amertume profonde de notre temps, l’oubli foncier de l’art que nous connaissons. Ce n’est pas un hasard non plus, sans doute, si notre président actuel – homosexuel notoire – est le meilleur président que nous ayons eu depuis des années : la nature de ses inclinations explique la dignité et le sérieux qui émanent de lui, en comparaison des comportements d’adolescents attardés de ses prédécesseurs, fascinés par la biologie féminine. – Et pourtant, tous les trésors artistiques que les hommes sont à même de produire ne valent pas une seule vie, et c’est la femme qui donne la vie !

12 juillet 2019

Woody Allen : Wonder Wheel



Vu Wonder Wheel, le dernier film de Woody Allen, avec beaucoup de plaisir. Woody Allen avait plus de quatre-vingts ans quand il a réalisé ce film, il pourrait rester chez lui devant sa télé à regarder des matchs de baseball et à siroter des cocktails, comme Michel Houellebecq qui sort un livre tous les cinq ans. Au lieu de cela, il continue à écrire des scénarios, à organiser des castings, à s’occuper des décors, des costumes, à tourner, à monter, etc. On sent chez lui une vraie passion pour la dramaturgie, les histoires complexes : dans Wonder Wheel il cite Shakespeare, Sophocle, Eugene O’Neill, Tchekhov, etc. Quel autre cinéaste pourrait en dire autant, à son âge ? Et il y a toujours chez lui cette concision, cette cruauté chirurgicale de l’intrigue, qui alterne avec des monologues plus amples où s’exprime le désarroi devant le temps qui passe et les promesses non tenues de l’existence. Élégance, intelligence, maîtrise totale de son sujet.
Il est très intéressant de comparer les réactions suscitées par Wonder Wheel à celles qui avaient accompagné la sortie de Blue Jasmine, quatre ans plus tôt. Tout le monde s’était pâmé devant Blue Jasmine, Cate Blanchett a eu l’Oscar, etc., et j’étais pour ma part resté plutôt froid devant ce film que j’avais trouvé sec et anxiogène. Whonder Wheel reprend à peu près la même thématique (les affres d’une femme dans la quarantaine), en y ajoutant un cadre poétique, l’ambiance des années cinquante, la musique, des éclairages presque oniriques, et le film fait un four. « Me too » est passé par là. Ingratitude et inconséquence de tout ce milieu, des actrices en particulier, que Woody Allen a fait vivre et a sublimé pendant des décennies, et qui jurent maintenant qu’elles ne tourneront plus jamais avec lui. Le milieu du cinéma : milieu de l’instantané, de l’éphémère, de l’émotionnel, du vice dans ce qu’il a de plus substantiel. Woody Allen est suffisamment détaché et intelligent pour s’en remettre, il tourne déjà son prochain film en Espagne, mais on mesure dans cette affaire que, selon la Parole biblique, tout ce qui est offert aux idoles, si séduisantes soient-elles, est finalement voué à la perdition.
Woody Allen est décidément mon réalisateur vivant préféré. Je retrouve chez lui ce rapport vraiment juif à l’existence, rapport distancié, caustique, jamais dupe. Au fond, les réalisateurs non juifs retombent toujours dans le panthéisme (Terrence Malick) ou dans les expériences extrêmes, l’idolâtrie de la femme, du plaisir, etc. (Nicolas Winding Refn, Gaspar Noé, etc.). Tous les travers déjà dénoncés par la Bible il y a des siècles. Seul le rapport biblique à l’existence, avec une transcendance radicale de Dieu, et un univers abandonné à sa propre misère, rend possible cette lucidité, cette ironie, cette netteté des contours que l’on retrouve également chez Kubrick, autre réalisateur juif. Stanley Kubrick, Woody Allen, qui d’autre placer au-dessus ? Qui d’autre pour prendre la relève ?

5 juillet 2019

Goodbye Gotama



Ne te figure pas être sage.

Proverbes, 3, 7

Je discutais l’autre jour avec un ami catholique.
« J’ai longtemps adhéré à la spiritualité bouddhiste, me dit-il. Je méditais. Je lisais le Dhammapada. Laisse-moi te dire, en quelques mots, ce que j’en pense aujourd’hui.
Je ne vais pas aborder l’aspect historique. D’après Etienne Couvert, dans son ouvrage Visages et masques de la gnose, le bouddhisme ne serait né qu’au IIIe siècle de notre ère dans le royaume de Bactriane. Il n’aurait aucune origine indienne, mais serait issu de l’hérésie manichéenne. Il n’y aurait aucune trace matérielle du bouddhisme antérieure à cette époque, tout ce qui concerne le Bouddha historique ne serait que pure légende. Je ne me prononce pas sur ces questions. J’observe juste que l’existence du Christ est avérée, elle, et que, sur ce point au moins, c’est bien le christianisme qui offre les garanties d’authenticité les plus sûres.
Mais cela est accessoire. Le cœur de mon propos, c’est la méditation. J’ai longtemps médité, pendant des années. Aussi étrange que cela puisse paraître, je n’ai jamais remis en cause cette pratique. Je voyais des articles partout, des ouvrages en librairie qui prônaient tous la méditation, ne serait-ce qu’au strict point de vue de la santé psychique et du bien-être. La méditation est censée améliorer la capacité de concentration, le calme, la confiance en soi, etc. C’est presque par hasard que je suis ensuite tombé sur des articles et des études scientifiques qui disaient le contraire. Et là, en cherchant, on trouve beaucoup de choses. Soumettant ma propre pratique à un examen critique, j’y ai retrouvé certains effets négatifs de la méditation : distanciation par rapport à soi-même et aux événements, position de pur spectateur par rapport à l’existence, frontière accrue entre soi et les autres, etc. Aujourd’hui, je considère la méditation comme une pratique clairement néfaste. Dans la méditation, on se concentre uniquement sur ses émotions, on les observe naître, se développer et mourir. Dès lors, ce qui devient primordial dans l’existence, ce sont les émotions, et la manière dont on les gère. Cette vue, très répandue de nos jours, est radicalement fausse, pernicieuse. Elle enferme l’individu dans la bulle de sa subjectivité. Paradoxalement, c’est au contraire en acceptant l’objectivité des événements que l’on s’affranchit : on s’engage dans l’existence, on vainc sa peur, et on remplit pleinement sa vocation de personne libre et responsable. Ce n’est pas toujours facile. Mais des chemins s’ouvrent toujours dans cette voie, tandis que l’entase bouddhiste, plus confortable au début, ne débouche en réalité sur rien du tout.
C’est en approfondissant ma connaissance de la doctrine chrétienne que j’ai découvert la véritable nature du bouddhisme. Dans le bouddhisme, comme dans la gnose, l’homme se suffit à lui-même pour parvenir au salut. Il n’y a pas besoin de Rédempteur. Chaque homme recèle en lui une graine de bouddhéité (ou de divinité chez les gnostiques), qu’il s’agit de faire émerger au moyen de pratiques ascétiques. L’homme recèle l’absolu en lui-même, il peut se passer de Dieu. C’est une pure hérésie. Il est d’ailleurs intéressant de constater que toutes les spiritualités orientales reposent sur des hérésies chrétiennes : on a le Père sans le Fils (l’islam), le Fils sans le Père (le bouddhisme), etc. Diviniser l’homme, faire son salut par soi-même, cela rejoint les tendances les plus fondamentales de la société contemporaine, et c’est vraiment la voie de la perdition.
Aujourd’hui, tout l’investissement de temps et d’énergie que j’ai consacré à la pratique et à la spiritualité bouddhistes me semble avoir été dépensé en pure perte. Tout cela n’a donné aucun fruit, sinon me couper de Dieu et de mes semblables. Rien de bon ne peut sortir du bouddhisme. Dans l’histoire, le bouddhisme n’a rien produit, et il n’y a jamais eu de société bouddhiste florissante. Le bouddhisme est en revanche très adapté à nos sociétés individualistes, car il rejoint parfaitement nos valeurs d’autonomie, d’immanence, notre quête perpétuelle d’auto-accomplissement et d’autojustification. Rien à voir avec l’accueil de l’Esprit Saint, qui surmonte tous les obstacles et qui ouvre sur la vraie vie, la vie de liberté, d’espérance et de charité, la vraie béatitude, promise et déjà connue.
Le bouddhisme correspondait parfaitement à mes tendances les plus profondes, et à celles de mon époque. Mais aujourd’hui j’y vois une impasse totale, une résurgence moderne de la gnose, et une des pires voies qui s’offrent à l’homme. »