19 décembre 2019

Philip K. Dick : Le Dieu venu du Centaure, Substance Mort



Lu Le Dieu venu du Centaure, de Philip K. Dick (1965). Sans doute le meilleur de ses romans que j’aie lu jusqu’à présent. Certains effets qui m’avaient paru renversants dans Matrix en 1999 figuraient déjà chez Dick, de manière bien plus profonde, plus de trente ans auparavant. La fin du roman est extraordinaire. Toute l’histoire est terriblement oppressante, et d’autant plus lorsqu’on lui attribue une signification métaphorique (la drogue introduite dans notre univers par Palmer Eldritch s’étend comme le Mal dans la Création divine). L’œuvre d’un auteur au sommet de ses facultés, totalement affranchi des codes de la science-fiction traditionnelle.
J’ai enchaîné avec Substance Mort (1977), œuvre plus autobiographique, publiée dans les dernières années de la vie de Dick, après sa « révélation mystique » de février 1974. Roman très sombre, sans doute un des plus sombres qu’il m’ait été donné de lire, sur l’absence totale d’issue que l’on peut trouver dans cette vie. Bob Actor n’a aucun moyen d’échapper à la drogue, à la schizophrénie, tout comme nous n’avons aucun moyen d’échapper aux contingences. Malgré cela, le roman n’est pas triste, du fait de la transposition fictionnelle dans un monde futuriste très cohérent, du fait également de l’incroyable lucidité de Dick, lucidité que l'on retrouve dans son opus magnum : SIVA. Comment peut-on être à la fois complètement dérangé mentalement et capable d’avoir un regard extérieur et lucide sur son état, c’est une chose que j’ai du mal à m’expliquer, bien que j’aie pu l’observer dans la vraie vie également. Roman difficile d’accès, à peu près privé d’intrigue, dépourvu d’un arc narratif appréhendable, reflétant la vision de la réalité d’un malade, un monde dans lequel ce sont les événements insignifiants du quotidien qui peuvent conduire à la folie et à la mort. La note finale de l’auteur est vraiment bouleversante, dans laquelle Dick énumère la liste de ses amis décédés ou rendus fous par leur consommation de drogue durant les années soixante : « Ce roman se proposait de parler de certaines personnes qui durent subir un châtiment entièrement disproportionné à leur faute. Ils voulaient prendre du bon temps, mais ils ressemblaient aux enfants qui jouent dans les rues ; ils voyaient leurs compagnons disparaître l’un après l’autre – écrasés, mutilés, détruits – mais n’en continuaient pas moins de jouer. Nous avons tous été heureux, vraiment, pendant quelque temps, coulant nos jours en douceur loin de la sphère du travail – mais tout ça fut si court… la punition qui suivit fut si terrible qu’elle dépassait l’entendement : même lorsque nous en étions les témoins, nous n’arrivions pas à y croire. »

7 commentaires:

  1. Bonne année et bonne santé à vous, cher Laconique !
    Non, je ne vous oublie pas, et j'espère que vous allez bien :) .

    Je suis désormais admirative des personnes qui continuent à s'adonner avec une passion conservée intacte à travers les années à la lecture et à l'écriture, sans doute parce que ce n'est plus mon cas – que je ne voudrais d'ailleurs pas prendre pour une généralité ; mais c'est un fait que, avec l'âge venant, on perd les illusions de sa jeunesse en tout ou partie, et les livres transportent bon nombre d'illusions intellectualistes et romanesques qui peuvent bercer l'esprit d'une personne pendant la majeure partie de son existence puis finir un jour par brutalement se briser contre l'écueil de l'empirisme cru du "quotidien", lequel est de toute façon à accepter qu'on le veuille ou non... Et justement, comment trouver le temps et l'énergie, au milieu du travail, des multiples et infinies préoccupations domestiques, et des nouvelles manières de s'informer (je pense aux réseaux sociaux, plus particulièrement aux vidéos) pour continuer à cultiver la flamme et "le goût des lettres" dans son ensemble ? C'est pour moi un quasi mystère à présent. En tout cas vous persistez et signez avec toujours autant de brio dans votre dilection et votre principe directeur, l'esprit des temps ne vous a pas découragé ni corrompu !

    Portez-vous bien, je vous souhaite tout le meilleur pour cette nouvelle année :) .

    A.

    RépondreSupprimer
  2. Bonne année à vous chère miss Flint ! Et bonne décennie, les choses changent si vite, pour tout le monde, que c’en est étourdissant… Puissiez-vous passer ces années heureuse, sereine et épanouie.

    Peut-être retrouverez-vous un appétit insatiable de lectures dans quelque temps, ces choses fluctuent, c’est normal. Pour ma part lire est toujours une des choses que je préfère au monde, c’est le temps qui manque, mais en effet ma passion dans ce domaine n’a pas diminué d’un iota, c’est même le contraire. Je ne chronique pas ici toutes mes lectures, c’est un choix dès le départ, je ne veux pas que ça fasse catalogue. Mais j’ai beaucoup lu ces derniers temps, surtout mes auteurs favoris, Dick, Stephen King, Dostoïevski, Lovecraft, Flaubert aussi que je connais mal, je ferai peut-être des articles sur ces lectures dans les prochaines semaines. Mais j’aime aussi aborder d’autres sujets, spirituels, philosophiques. La lecture peut être dangereuse en nous coupant du réel, mais en vieillissant je constate que la fiction, la mimesis, demeure le moyen le plus adéquat de décrire le monde et la réalité dans son infinie complexité. La théorie simplifie et dénature toujours les choses. Je suis rentré là-dedans dès que j’ai su lire et ça me suivra jusqu’au bout. Et je crois que j’écrirai toujours aussi, si ce n’est pas ce blog ce sera autre chose, mais j’aime le blog parce que c’est très souple.

    Oui, c’est vrai que la vidéo c’est peut-être ce qu’il y a de mieux pour s’exprimer sur internet. Il y a de très bonnes critiques de cinéma en particulier, récemment j’ai adoré les analyses de Rob Ager sur Shinning ou les vidéos de Chris Stuckmann, c’est vraiment le top de la critique.

    Jetez un œil ici de temps en temps chère miss Flint. Contrairement à ce que certains semblent croire, on ne résoudra pas tous les problèmes du monde en écrivant sur internet (sur les gilets jaune, Macron, le capitalisme ou que sais-je), mais partager des jugements esthétiques ou des théories personnelles par écrit sur un blog c’est déjà pas mal. Très bonne année à vous, soyez heureuse (au sens antique du terme) !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci de vos vœux, cher Laconique, cela me touche beaucoup !

      Vous avez raison de dire que "la lecture peut être dangereuse en nous coupant du réel", c'est d'ailleurs le sentiment qu'elle me donne depuis 2017/2018, et bien qu'en effet "ces choses fluctuent", jamais je ne me suis sentie aussi dégoûtée par l'acte de lire pour le moment. Mais vous avez aussi tout à fait raison de souligner la grande importance de la fiction. Les essais, la théorie, de quelque nature qu'ils soient, mettent un écran entre nous et la réalité brute du quotidien, et peuvent nous amener à détester inconsidérément cette dernière par le truchement du "c'était mieux avant". D'où la frustration et l'aigreur d'un bon nombre d'intellectuels... Mais le "c'était mieux avant" et "tous les gens qui m'entourent sont des moutons sauf moi qui suis génial" sont des illusions de l'esprit humain qui perdurent à travers les siècles, les générations et les civilisations, or nous vivons dans un monde qui a du mauvais, mais aussi du bon, et pas qu'un peu, et l'être humain n'est sans doute ni pire ni meilleur que ce qu'il a pu être en des époques antérieures. L’intellectualisme peut nous vraiment rendre mauvais et nous empêcher de voir que nous avons de la chance, malgré tout, de vivre au XXIème siècle. De fait, pour en revenir à la fiction, je suis d'accord avec vous : il n'y a que par elle que nous pouvons vraiment nous connaître, ainsi que le monde qui nous entoure, et en retirer du plaisir en même temps. Les élucubrations de la psychologie, du développement personnel et de la philosophie ne font pas le poids face à elle.

      Si un jour je reprends la lecture, ce sera par quelque chose de léger, la saga du Sorceleur d'Andrzej Sapkowski, qui a rencontré un succès international avec son adaptation vidéoludique par le studio polonais CD Projekt, surtout avec The Witcher 3, qui est un bijou du jeu vidéo. Comme beaucoup, j'ai découvert l'existence de l'œuvre de Sapkowski par ce biais, j'ai aussi vu la série qu'en a faite Netflix récemment ; elle est assez "cheap" mais se laisse regarder avec plaisir (et puis bon, pour une fille, mater un Henry Cavill sous les traits du flamboyant Geralt de Riv, ça ne se refuse pas :) ). Les livres ont l'air d'être mal écrits, mais je n'ai fait pour le moment qu'y jeter un rapide coup d’œil, et puis cela reste une traduction. Il reste que c'est un univers très bien fait qui m'intrigue, et ce sera sans doute la première saga de fantasy que je lirai de toute ma vie. Le jeu vidéo doit aussi sa renommée à ses superbes musiques assurées par le groupe polonais Percival, qui reprend des chants folkloriques slaves avec un grand talent. Sous le nom de Percival Schuttenbach, il reprennent les mêmes chants, mais en version folk metal. Vous devriez écouter, je suis sûre que cela vous plairait. Toute cette frivolité fait du bien au moral et n'empêche en rien l'exercice personnel du bien. Il faut constamment avoir en tête Matthieu 15:11...

      Je reviens à peine d'une très longue période de mutisme, et tâcherai de prendre le temps de venir à nouveau lire et commenter vos chroniques :) .

      En tout cas, je vous remercie chaleureusement pour votre accueil après tout ce temps ! Soyez heureux également.

      Supprimer
    2. L’époque est très dure, chère amie, et je peux comprendre ceux qui disent « c’était mieux avant ». C’est comme si la folie était maintenant un état normal, officiel, la façon normale de communiquer. Il n’y a qu’à voir les tweets de Donald Trump. Dans toute communication il faut avoir l’air un peu cinglé pour que les gens vous écoutent, comme Jack Nicholson dans Shining, un propos neutre et mesuré n’atteint tout simplement pas l’interlocuteur, c’est épuisant. Mais déverser sa « frustration » et son « aigreur » à longueur de pages sur internet n’a aucun intérêt, je vous le concède bien volontiers.

      Je ne regarde jamais de série, je ne connais donc pas The Witcher. Mais il y avait un entretien de Lauren Schmidt Hissrich, la « showrunneuse » comme on dit, dans le « Mad Movies » de décembre. Elle dit qu’elle ne s’est pas du tout inspirée des jeux vidéo, juste des romans, et qu’elle a longuement rencontré l’auteur en Pologne. La Pologne est un pays qui marche bien, bonne économie, pas de blocages, l’esprit d’un grand homme du siècle dernier continue à les habiter d’une certaine façon. Je vais regarder le groupe que vous m’avez conseillé, je suis sûr que c’est bon, j’avais vraiment apprécié les groupes que vous m’aviez conseillé il trois ans.

      Supprimer
    3. Vous nous sucez pour 2020, chère Miss Flint ?

      Supprimer
    4. Désolée, cher Marginal, mais tromper mon mari n'a jamais fait et ne fera jamais partie de mes "bonnes résolutions". Bonne année quand même !

      Supprimer
    5. C'est moi qui suis désolé, chère Miss Flint, je me suis dit qu'on ne sait jamais, sur un malentendu, ça peut passer... Bonne année à vous !

      Supprimer