
– La musique de Philip Glass : il est significatif que cette musique, la première de l'ère véritablement technicienne, possède toutes les caractéristiques de la technique : le côté répétitif, prévisible, impersonnel, mécanique, etc. Ses contemporains lui ont fait un triomphe, parce qu'ils ont instinctivement reconnu en elle l'univers dans lequel ils évoluent de leur naissance à leur mort.
– Ce qui est fascinant avec Thaïs d'Escufon, c'est que c'est un cas exemplaire d'immoralisme de droite parfaitement assumé. – Il y a toujours une certaine tendance moralisatrice du langage, les gens qui ont beaucoup lu savent qu'il est très rare de voir loués par écrit l'appétit des richesses, la superficialité, l'égoïsme, etc. On peut le penser, on peut le dire même, mais le langage écrit répugne généralement à de tels aveux (pour des raisons constitutives : le langage renvoie à la généralité, à l'abstraction, à la logique, etc.). Eh bien avec Thaïs d'Escufon tout cela est assumé : elle écrit à longueur de tweets que les femmes doivent avant tout soigner leur apparence pour attirer des hommes riches, que l'argent est le facteur central dans une relation, que le couple est une espèce de troc (argent et sécurité contre jeunesse et attractivité). En cela elle s'oppose frontalement à tout le patrimoine de la sagesse humaine, à toute la tradition écrite, montrant par là qu'elle se moque éperdument de cette tradition et de ce patrimoine. C'est donc à droite que l'on trouve – et cela peut sembler paradoxal – le plus grand mépris pour la tradition, et l'assentiment le plus franc aux tendances animales spontanées. C'est vraiment la droite (une certaine droite) qui a cédé le plus facilement aux multiples régressions de ce début de siècle.
– Le style de Jacques Ellul est complètement antiphilosophique. Dans les énoncés philosophiques, il y a toujours des termes chargés d'une puissance propre, autonome, des pôles sémantiques qui irradient sur tout le reste et autour desquels tout s'articule. C'est par exemple le cas du « devoir » ou de la « raison » chez Kant, de l’« âme » chez Platon, etc. Cela facilite la lecture, la rend plus agréable, car on sait qu'on retombe toujours périodiquement sur ces jalons. Mais on ne trouve rien de tel chez Ellul, il n'y a aucun terme saillant chez lui, pas même les mots « Dieu », « Christ », « Loi », etc. Il a une autre appréhension du monde et du langage, une appréhension synthétique pourrait-on dire, dans laquelle tout est lié à quelque chose d'autre, interdépendant, et où tout est mouvant, dynamique, susceptible d'évolution ou de régression, différent selon la perspective d'où on l'envisage. C'est vraiment une autre vision du monde, basée sur le refus de charger certains éléments de la réalité d'une valeur en quelque sorte sacrée, comme les intellectuels ont toujours tendance à le faire, sur le refus d'isoler arbitrairement quelque élément que ce soit (concret ou abstrait) du reste de la trame de la vie, et, en définitive, sur le refus de se fixer de façon idolâtrique sur quelque concept ou idée que ce soit. Cela donne un style particulier, un peu ingrat, très antiphilosophique, antibiblique même à certains égards, mais très approprié pour saisir synthétiquement la complexité des choses.
Je ne suis pas sûr de souscrire à votre philosophie du langage. Les mots ont certes une tendance à la généralisation, ils peinent à capter les nuances émotionnelles les plus fines (dixit Bergson). Pour autant, la tendance à l'abstraction ne me semble pas en soi moralisatrice, sauf à identifier la morale avec un éloignement d'avec les émotions, ce qui semble assez simpliste et "rationaliste". On peut au contraire soutenir qu'être moral exige des réactions émotionnelles appropriées aux circonstances (par exemple, ressentir de la colère face à l'injustice) -ne serait-ce que pour avoir une motivation suffisante pour agir moralement. Je pense d'ailleurs qu'une telle perspective ne serait pas incompatible avec une éthique perfectionniste chrétienne : Jésus ne s'est-il pas mis en colère face aux marchands du temple ?
RépondreSupprimerOn notera que Mlle Thaïs rejette dans le dernier cercle de l'enfer les demoiselles qui s'exhibent sur Onlyfans, mais qu'elle n'a elle-même aucun scrupule à exploiter la naïveté ou la détresse sentimentale masculine en vendant des pseudo-formations ou des appels privés avec son auguste personne, pour des sommes faramineuses. Autrement dit, il serait immoral de prostituer son corps, mais il n'y aurait rien d'immoral à exploiter économiquement la crédulité d'autrui... Je pense que les authentiques prostituées méprisent beaucoup moins de leur clientèle que ne le fait Mlle Thaïs avec son public...
C’est un vaste sujet que vous soulevez là, cher Johnathan Razorback. Je ne pensais pas vraiment aux émotions – qui est à vrai dire une notion assez absente des textes classiques en philosophie. J’avais plutôt en tête le fait que le langage, dans le corpus classique (Platon, la Bible, Epicure, l’humanisme, etc.) est très majoritairement utilisé pour prôner des conduites « normatives » (par opposition à la spontanéité des affects), et cela répond à la normativité même du langage. On trouve des énoncés exactement similaires dans les livres sapientaux de la Bible, dans les textes bouddhistes, taoïstes, etc. Textes que Thaïs d’Escufon ne me semble pas avoir beaucoup pratiqués…
SupprimerÀ vrai dire tout le propos de Th. d’Escufon me semble relever de la crypto-prostitution. C’est d’ailleurs pour cela qu’elle s’attaque aux modèles d’Only fans, elle sent inconsciemment la concurrence. Les trois quarts de ses posts sont des photos d’elle, et son propos finit toujours par rejoindre une conception vénale de la relation amoureuse. C’est cela qui est fascinant chez elle, c’est cette adhésion ingénue aux tendances les plus primaires de l’être humain, cette absence complète de scrupules. Elle se réclame sans cesse de la tradition, mais pour elle toute la tradition sapientielle de l’occident (et de l’orient aussi d’ailleurs) n’existe tout simplement pas.