13 juillet 2018

Mon plus beau jour

« Quel fut ton plus beau jour ? » fit sa voix d’or vivant.

Paul Verlaine, Poèmes saturniens

Si je devais décrire le jour le plus heureux de ma vie, d’un point de vue social, je dirais ceci : C’est en 1993 ou 1994. J’ai 12-13 ans. C’est un samedi. Je me lève tard. À midi, on va manger en famille au McDonald’s de Carrefour, à Monaco. Ensuite, je traîne tout seul au rayon librairie. J’achète un roman de Stephen King, Bazaar par exemple. J’achète aussi un jeu Game Boy, Choplifter II. Ensuite on rentre, j’écoute un peu de musique, je profite de mes achats, en sachant que je pourrai encore me plonger dedans tranquillement le lendemain. Le soir, je regarde un film à la télé, Ghost disons. Et je me couche, avec le sentiment que tous mes désirs fondamentaux ont été satisfaits.
Voilà la journée la plus heureuse de ma vie. C’est une somme de satisfactions sensorielles et esthétiques, purement individuelles. Je suis un vieil homme maintenant, et voilà ce que la société de mon époque a eu de mieux à m’offrir. Ce n’est pas sur le forum, au milieu de mes concitoyens, ou dans un stade à Olympie, ou sur le parvis du Temple de Jérusalem, au milieu des lévites, dans l’odeur de l’encens et de la chair brûlée des holocaustes, que j’ai trouvé un sens à ma vie. Ce que la société a mis à la disposition d’un homme de mon âge pour s’épanouir et se réaliser, c’est la consommation, rien de plus.
Quel sera le jugement des siècles futurs sur une société et une époque qui proposent un tel horizon à leurs enfants ?

2 commentaires:

  1. Je vous trouve bien nostalgique, cher Laconique ! Mais vous ouvrez les yeux à vos innombrables lecteurs, dans l'hypothèse évidemment où leurs capacités intellectuelles peuvent leur permettre d'avoir le recul nécessaire pour apercevoir la matrice de ce système consumériste.

    Et justement, cher Laconique, c'est un pouvoir que de réaliser que la société met "à la disposition d’un homme de vôtre âge pour s’épanouir et se réaliser" la seule consommation ! Cela nous élève au-dessus de tous les moutons et nos pouvons tendre vers d'autres joies, sans négliger parfois de consommer, mais avec une parcimonie intelligente et avec toute la lucidité nécessaire sur les rouages mis en œuvre.

    À nous dès lors de trouver notre bonheur ailleurs, comme dans le simple fait de nous balader et de regarder une jolie paire de nibards qui se trimbale à moitié à l'air en été. Ou, pour les plus innocents (dont je fais partie), d'apprécier la vue d'un bel arbre ou d'un beau paysage.

    Mais si vous voulez vous contenter de mater des culs, cher Laconique, vous pouvez aussi, personne ne vous en blâmera ! Et c'est gratuit.

    Sinon, concernant l'enfance, c'est dur de s'en remettre lorsqu'elle a été heureuse, quelle douce période ! Le chanteur Renaud ne s'en est jamais relevé...

    RépondreSupprimer
  2. Et oui, cher Marginal, c’est vrai que quand je pense à certaines années de ma jeunesse je suis nostalgique. Toutes les merveilles de l’existence me sont tombées dessus en même temps : Stephen King, la Game Boy, la Super Nintendo, Nirvana, Iron Maiden… Un plaisir pur, sans calculer, sans prétentions ni appréhensions. Et toutes ces choses étaient riches de promesses, ça nous faisait miroiter une vie intéressante, alors que ce n’était pas le point de départ mais le climax ! Il n’y a rien derrière, la société n’a aucun sens, aucune finalité. C’est à nous de le trouver, à nous de nous élever au-dessus des « moutons ». Du coup je suis ambivalent : d’un côté je ne renie pas tout ça, je l’ai vécu de façon pure ; d’un autre côté, avec le recul, je distingue le vrai visage de ces grands centres commerciaux : du clinquant sur du vide… Et il faut une certaine supériorité pour se contenter des bonheurs simples que vous évoquez, une disposition contemplative qui n’est pas donnée à tous et qui est difficilement conciliables avec les exigences de la vie sociale.

    Et puis nous sommes des privilégiés quant à notre enfance : nous l’avons pleinement vécue, avant toutes ces nouvelles technologies, une vie faite de sensations réelles et non pas le nez derrière des écrans. Quelle époque authentique ! Que tout cela paraît loin !

    RépondreSupprimer