11 décembre 2013

La véritable fonction du dialogue chez Platon

          
      Il est difficile d’apprécier les dialogues de Platon à leur juste valeur tant que l’on n’a pas saisi leur fonction véritable. J’ai souvent été rebuté, pour ma part, par les développements interminables que l’on trouve chez lui, et qui semblent ne rien apporter d’éclairant sur l’objet même de la discussion. On aurait tort de croire que Platon, qui cite régulièrement les poètes et les tragiques à l’appui de ses argumentations, ait été dénué de tout sens des proportions et de l’harmonie. Il avait parfaitement conscience de l’effet produit par ses textes. Dans le Politique, un de ses dialogues tardifs, l’« Étranger », que l’on peut considérer comme le porte-parole de l’auteur, déclare, après un long et laborieux parallèle entre l’art politique et celui du tisserand, son indifférence quant à la nécessité « d’ajuster la longueur de nos discours au désir de plaire ». Ce qui compte, ce n’est même pas tant la définition du politique en tant que tel, c’est, pour ceux qui participent au dialogue, ainsi que pour les auditeurs, de « devenir meilleurs dialectitiens sur tous les sujets », et « plus ingénieux à démontrer la vérité par le raisonnement ».
      La production d’écrits philosophiques a donc, pour Platon, un statut tout à fait particulier. Dans une démarche sans doute sans équivalent dans toute la culture occidentale, le discours n’a pas pour but de transmettre un savoir ou une opinion, mais sa simple forme se suffit à elle-même. Il s’agit d’exercer l’esprit du lecteur au jeu subtil qui consiste à déterminer les caractères communs à un certain nombre de phénomènes et à les ranger sous une classe unique, afin de dégager l’essence immatérielle qui s’exprime à travers la multiplicité des objets singuliers.
       Ne nous lassons donc pas de lire et de relire Platon, car l’enjeu véritable de cette œuvre à nulle autre pareille, ce n’est ni l’agrément du lecteur, ni l’exposition de telle ou telle théorie, mais c’est l’activité même de notre esprit, de notre pensée, et de toute pensée.