31 mars 2012

Bad taste

      Il se dégage dans cette campagne électorale des relents nauséabonds. Le candidat que l’on ne doit pas nommer a bien compris que, chez les Français, la passion était plus puissante que la raison et, dans une hypothèse cauchemardesque chaque jour plus probable, il croit de plus en plus à sa réélection. Ce n’est qu’en atteignant le fond du gouffre que les Français trouveront la lucidité nécessaire pour voter pour François Bayrou. Tant que le fond du gouffre n’est pas atteint, les illusions, les beaux discours et les énergiques coups de mentons conserveront leur pouvoir hypnotique. Ô France, nation prédestinée pour les malheurs exemplaires et les sursauts héroïques !

23 mars 2012

Esther

      Relu Esther de Racine avec beaucoup de plaisir. Racine est notre seul vrai classique : Corneille est baroque, La Fontaine est épicurien, Molière est anarchiste. Seul Racine a vraiment structuré son univers mental sur ces deux piliers que sont la religion et la monarchie. En ce qui concerne Esther, le premier acte est sans doute le meilleur. Ensuite, c’est surtout une paraphrase linéaire de l’épisode biblique, dans laquelle les personnages se révèlent assez peu. On sent que ce n’est pas un sujet tragique, il n’y a pas ces dilemmes, ces nœuds, ces retournements qui caractérisent le genre. Tout le charme de la pièce tient dans sa tonalité.

13 mars 2012

Woody Allen et le cliché

      Vu Minuit à Paris de Woody Allen. Une série de clichés. Et pourtant le film est agréable à voir, très réussi même dans son genre. Peu importe si le Paris de Woody Allen n’a rien à voir avec le Paris réel : sa vision idéalisée fait partie de son art, et c’est son art qui nous intéresse, pas Paris. Et puis, en cette époque troublée, le cliché a quelque chose de rassurant : il est ce qui nous relie au passé, ce qui nous relie aux autres. Malgré tout, ceci illustre à quel point le cinéma est un art inférieur à la littérature, un art manipulateur : un film fondé sur le cliché peut être un bon film, alors qu’un roman bourré de clichés serait tout simplement illisible.

8 mars 2012

L'insoutenable légèreté de l'être

      Fini L’insoutenable légèreté de l’être de Kundera. Impression mitigée. Bien écrit, plaisant à lire, intelligent. Une description assez marquante de l’horreur qui s’est abattue sur la Tchécoslovaquie après le Printemps de Prague, et des réflexions justes et émouvantes sur l’amour, les animaux, les destinées humaines. Une belle tonalité, lucide et mélancolique. Mais certains passages un peu maniérés. Et cette façon de mêler constamment la forme romanesque et les dissertations d’ordre philosophique ne me convainc pas. Un grand roman n’a pas besoin de ça, ça relève un peu du procédé.
       Devant chaque ouvrage, je me pose la question suivante : aurait-on pu dire la même chose en moins de pages ? Dans ce cas, je crois que la réponse est oui.

3 mars 2012

La Voie et la distraction

      Le but de la vie est de trouver sa Voie et d’y progresser toujours davantage. Bien entendu, la Voie, par définition, s’oppose à tout le reste, qu’il s’agit dès lors d’écarter. Comme l’écrit l’auteur de l’Hagakure : « Il ne faut jamais se laisser distraire de la Voie du samouraï. Il en va de même pour tout ce qui porte le nom de Voie. » Mais c’est précisément en cette multiplicité de Voies possibles que réside toute la difficulté. Lorsque l’on s’engage dans une Voie, au bout d’un certain temps elle devient insipide, elle adhère tellement à notre personne et à notre quotidien qu’on ne la sent plus, et dès lors toutes les autres, toutes celles que l’on a rejetées pour se consacrer à la sienne, deviennent plus séduisantes. Or dès que le désir s’instille dans notre âme, c’est fini, on a quitté sa Voie.
       Il y a là une vraie difficulté, et je ne trouve qu’une seule façon de la résoudre : En réalité il ne peut pas y avoir plusieurs Voies. Il n’y a qu’une seule Voie, comme il n’y a qu’un seul âtman. Dès que l’on est convaincu que sa Voie est la Voie, et que les autres sont illusoires, alors on atteint l’unité, et il n’y a plus rien à poursuivre.