18 novembre 2021

Carnet de lecture : novembre 2021



Lu L'Invasion divine de Philip K. Dick, avec plaisir et intérêt. Il s'agit de l'avant-dernier roman de Dick, publié un an avant sa mort. Impressionné par l'austérité et la persévérance de Dick, qui livre un roman presque abstrait, constitué en grande partie de réflexions érudites et personnelles sur la Torah. On ne sent chez lui aucun désir de séduire ou de manipuler le lecteur, il suit son obsession de façon rectiligne, complètement imperméable à tout ce qui pourrait l'en détourner. Il y a chez Dick une vraie compréhension de l'essence du message biblique, ce qui est rare. Il a parfaitement compris que, contrairement à ce que tout le monde dit dans notre société subjectiviste, la foi n'est pas une affaire intérieure, personnelle, privée, mais que le Dieu biblique, tout au contraire, s'inscrit de façon décisive et objective dans l'histoire, dans l'histoire de tous les hommes, que c'est un élément extérieur à l'homme qui vient bouleverser sa vie de façon concrète. Très profondes réflexions sur l'origine du mal et sur le combat eschatologique entre Yahvé et Bélial au sein de la Création. Dick ignore à peu près complètement le rôle du Christ, il affirme explicitement que sa mission a échoué, et s'en tient pour la majeure partie à l'Ancien Testament – ce qui est un courant assez répandu chez ceux qui s'intéressent à ces questions (tout le courant kabbalistique). Grande admiration pour l’œuvre de Dick malgré ses limites (absence quasi complète de psychologie). C'est sans doute un de mes romanciers préférés.
Lu L'Affaire Jésus d'Henri Guillemin, historien bien connu pour ses ouvrages sur le dix-neuvième siècle et la Révolution, et surtout pour les enregistrements de ses conférences, qui font un tabac sur Youtube. Désaccord global avec l'ouvrage, plaisant au demeurant. Guillemin, qui se dit chrétien, a un point de vue qui me semble naïf, un pur point de vue d'historien, très répandu à notre époque : ce qui l'intéresse, c'est le Christ historique, le vrai Jésus de l'histoire, dont les évangiles seraient une sorte de recension documentaire. Il s'appuie peu sur les épîtres de Paul, presque pas sur l'Ancien Testament. Nous avons donc ici le cas inverse de Dick, pour qui seul l'Ancien Testament comptait. Le problème, c'est que ce postulat (Jésus photographié par les évangélistes) aboutit à un pur contresens quant à l'appréhension de la figure et du rôle du Christ. Le Christ est avant tout un événement scripturaire, explicité en premier lieu par les épîtres, – et les évangiles sont une sorte de développement théologique postérieur, de grand prix assurément, mais sans grande visée documentaire au sens où nous entendons ce mot. Ce n'était tout simplement pas la façon dont les « auteurs » bibliques concevaient leur tâche. Il faut appréhender la totalité de l'Écriture – Ancien Testament inclus – pour comprendre le Christ, et le fait d'opérer des sélections dans le texte sacré porte un nom très précis, cela s'appelle une hérésie. La conséquence de cela dans le cas de Guillemin, de la minceur théologique de son approche, c'est qu'il aboutit, comme Hugo, comme tant d'autres, à une vision avant tout morale de Jésus. On en revient, comme toujours, à la morale, non pas la morale étriquée du catholicisme bourgeois, mais la morale généreuse et altruiste de la gauche humaniste – laquelle n'en reste pas moins une morale, c'est-à-dire un singulier rétrécissement par rapport à la perspective biblique. J'éprouve donc de la sympathie pour Guillemin, pour son enthousiasme lyrique si communicatif, mais dans ces matières je préfère Ellul, qui me semble bien plus informé quant aux modalités fondamentales de l’exégèse biblique.