Je pense souvent à Platon. Ce qu’il y a de frappant chez Platon, ce sont les zones d’ombre, de silence, dont son discours est enveloppé. Il y a deux domaines qu’il n’aborde jamais, deux territoires dans lesquels il refuse obstinément de s’aventurer, et bien saisir ces deux points aveugles de son œuvre me paraît la meilleure façon de définir précisément la nature du dialogue philosophique selon lui.
- Platon ne parle jamais de ce qu’il méprise. Plutôt que de critiquer, il passe sous silence. Dans les milliers de pages qu’il a laissées, il ne nomme pas une seule fois Démocrite, philosophe matérialiste célèbre et honni, pas une seule fois l’hédoniste Aristippe, pas une seule fois Denys de Syracuse, le tyran qui, après l’avoir invité en Sicile, s’est brouillé avec lui et l’a séquestré dans sa citadelle. De même, Platon n’évoque jamais les aspects vils ou dégradants de l’existence. Son univers est pur et éthéré, tous les interlocuteurs de ses dialogues se qualifient mutuellement de « divin », « admirable », etc., même quand il s’agit de sophistes obtus comme Hippias ou sans scrupules comme Calliclès.
- Parallèlement, Platon n’aborde jamais l’essentiel, ce qui fait la nourriture de son âme, les idées ultimes qui donnent un sens à l’existence. Selon la Lettre VII, « il s’agit là d’un savoir qui ne peut absolument pas être formulé de la même façon que les autres savoirs ». Plus prosaïquement, je crois surtout que Platon voulait préserver de la médisance, de l’incompréhension et de l’envie les pensées qui lui étaient les plus chères.
- Platon ne parle jamais de ce qu’il méprise. Plutôt que de critiquer, il passe sous silence. Dans les milliers de pages qu’il a laissées, il ne nomme pas une seule fois Démocrite, philosophe matérialiste célèbre et honni, pas une seule fois l’hédoniste Aristippe, pas une seule fois Denys de Syracuse, le tyran qui, après l’avoir invité en Sicile, s’est brouillé avec lui et l’a séquestré dans sa citadelle. De même, Platon n’évoque jamais les aspects vils ou dégradants de l’existence. Son univers est pur et éthéré, tous les interlocuteurs de ses dialogues se qualifient mutuellement de « divin », « admirable », etc., même quand il s’agit de sophistes obtus comme Hippias ou sans scrupules comme Calliclès.
- Parallèlement, Platon n’aborde jamais l’essentiel, ce qui fait la nourriture de son âme, les idées ultimes qui donnent un sens à l’existence. Selon la Lettre VII, « il s’agit là d’un savoir qui ne peut absolument pas être formulé de la même façon que les autres savoirs ». Plus prosaïquement, je crois surtout que Platon voulait préserver de la médisance, de l’incompréhension et de l’envie les pensées qui lui étaient les plus chères.
Que reste-t-il, dès lors, dans les dialogues, lesquels sont expurgés à la fois des éléments trop violemment polémiques et des considérations fondamentales sur l’essence des choses ? Eh bien, c’est Platon lui-même qui l’explique dans le Phèdre, il reste simplement la matière à un « divertissement » de haute tenue, préférable aux « beuveries et à toutes sortes de plaisirs qui sont frères de ceux-là ». Considérer l’écriture comme un divertissement, n’est-ce pas là la marque innée de la distinction et du détachement ?