30 juillet 2012

Chateaubriand et le doux sommeil de l'enflure

     
      L’autre jour, je feuilletais l’Itinéraire de Paris à Jérusalem de Chateaubriand. Je suis tombé sur la dernière phrase de l’ouvrage : « Dans tous les cas, j’ai assez écrit, si mon nom doit vivre ; beaucoup trop, s’il doit mourir. » Et je me suis dit que l’homme qui avait écrit cette phrase était un homme heureux, ou du moins en paix avec lui-même. Quel doux breuvage que ce mélange de mélancolie, d’ego et de mysticisme ! Pour des âmes telles que celle de Chateaubriand, la solitude et la misère mêmes sont des aliments qui nourrissent leur moi hypertrophié. Ce qu’on perd du côté du monde, on le regagne du côté du Ciel. Et la vie s’écoule tranquillement pour ceux qui se sont ainsi lovés dans des rêveries de grandeur et de cimetières… La formule a fait ses preuves, et deux des plus illustres admirateurs de Chateaubriand, Victor Hugo et Julien Gracq, ont atteint respectivement les âges avancés de quatre-vingt-trois et quatre-vingt-dix-sept ans. A l’opposé, l’écrivain le plus humble et le plus lucide de notre littérature, l’ennemi juré de l’emphase, Charles Baudelaire, est mort à quaranre-six ans, après de longs mois de paralysie complète. Qui sait quelle eût été sa destinée s’il avait cultivé davantage son narcissisme et multiplié les tête-à-tête avec l’infini ! Qui peut douter qu’une admiration inconditionnelle pour soi-même ne soit un élément extrêmement bénéfique pour la santé ? Peut-être que la méthode de Chateaubriand, face aux souffrances très aiguës qui ont commencé et continueront à s’abattre sur les peuples pour châtier leur aveuglement coupable lors des élections, est une bonne méthode, la meilleure des méthodes. Au sein du désordre et des tempêtes, s’enivrer de son propre moi et élever ses petits malheurs à des proportions bibliques, n’est-ce pas la moins douloureuse des attitudes à adopter ? Mais non ! Imitons plutôt la ferme lucidité des Romains et convaiquons-nous avec le sévère Salluste que la vertu vient à bout de toutes choses.

18 juillet 2012

Bayrou et Bukowski

           

      Il y a quelques mois, dans une émission de télé, on interrogeait François Bayrou sur ses lectures. J’ai été surpris de l’entendre citer le nom de Bukowski. A première vue, rien de plus opposé que François Bayrou, le fervent catholique, l’homme politique dont la probité touche parfois à l’austérité, et Charles Bukowski, l’écrivain alcoolique, obsédé sexuel et compagnon de misère des « damnés de la terre ». Sur le coup, j’ai apprécié l’ouverture d’esprit de François Bayrou, et puis je suis passé à autre chose.
      Les semaines ont passé. François Bayrou ne s’est pas qualifié pour le second tour de l’élection présidentielle, il est arrivé en cinquième position avec 9 % des voix. Puis ce furent les élections législatives, avec une nouvelle défaite pour Bayrou qui a perdu son siège de député des Pyrénées-Atlantiques. Dans tous les cas, Bayrou a fait bonne figure, il est monté à la tribune pour déclarer qu’il acceptait la décision des électeurs et continuerait à l’avenir à œuvrer à la constitution d’un centre indépendant, pivot d’une future union nationale qu’il juge inéluctable. Et puis il a quitté les écrans de télévision, la tête droite et la conscience nette.
      Alors j’ai repensé à Bukowski, et je me suis dit que, finalement, Bayrou lui ressemblait assez. Voilà deux hommes de caractère qui se sont pris des coups toute leur vie (« Il est indéniable que j’aurai passé la majeure partie de mon existence à trimer comme un esclave » écrit Bukowski dans son dernier livre), et qui, pourtant, avec une obstination et une ténacité rares, n’auront jamais cessé de poursuivre un objectif unique, obsessionnel : écrire pour l’un, rassembler les Français pour l’autre. Deux hommes trop francs, trop entiers, victimes d’une société avide de circonvolutions hypocrites. Deux solitaires épris de liberté et d’idéal, et prêts à tout sacrifier pour cela. Deux héros en somme.
      Et maintenant, quel avenir pour Bayrou ? Eh bien il continuera à dire la vérité aux Français, qui ne l’écouteront pas et voteront pour Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon. Il dira la vérité et poursuivra son chemin, sans dévier. Car, comme l’a écrit Bukowski, dans un monde comme le nôtre « le simple fait de rester en vie est une victoire ».

16 juillet 2012

Pastorale américaine

      Laissé tomber Pastorale américaine de Philip Roth. Des personnages intéressants, une bonne histoire, mais tout ça est beaucoup trop dilué, avec des longueurs qui rendent la lecture très pénible. Rien ne m’ennuie davantage, en littérature, que les interminables descriptions techniques à la Balzac. On sent que Roth a ajouté cela de manière un peu artificielle, pour donner du poids à son livre, pour donner le jour à un « grand roman ». Et puis, outre cela, c’est surtout cette absence de tenue dans le domaine moral qui m’insupporte – lacune d’autant plus grave qu’elle se traduit par un style souvent lâche et profus, par des phrases interminables destinées à retranscrire les méandres fangeux des pensées du narrateur. Ca m’avait déjà gêné dans La Bête qui meurt. Mais La Bête qui meurt ne fait que deux cents pages, tandis que Pastorale américaine en fait six cents. Que tout ceci est éloigné de la concision classique ! On devrait obliger tous les écrivains à lire un peu de latin avant de se mettre à leur table de travail, histoire de leur rappeler les vertus de l’économie du langage… Bref, c’est cette alliance du naturalisme et de l’immoralisme qui me rend la lecture des œuvres de Roth totalement impossible.


14 juillet 2012

L'homme et la Voie

     
     

      On trouve chez Confucius une affirmation surprenante : « L’homme peut développer la Voie, dit-il, mais ce n’est pas la Voie qui développe l’homme » (Entretiens, XV, 28). Pour l’humanisme confucéen, l’homme est la réalité première, à partir de laquelle la Voie peut ensuite se manifester. Bien entendu, tel n’est pas l’avis de Lao-tseu, pour qui la Voie était déjà là « avant la naissance de l’univers » (Tao-tö king, 25). Même chose dans la Bible, où la sagesse est établie « dès le principe, avant l’origine de la terre » (Proverbes, VIII, 23).
       Confucius est mort il y a deux mille cinq cents ans, et il est resté dans les mémoires comme le plus grand sage de la Chine. Lao-tseu, lui, était si proche de la Voie qu’il n’est pas mort, et qu’il vit encore de nos jours, caché quelque part au fin fond de l’Inde ou de la Chine. Quoi qu’il en soit, voilà une question qui mérite qu’on y réfléchisse : soit il n’y a que la Voie qui existe et l’homme est un phénomène contingent et éphémère, soit la Voie n’est qu’une création de l’esprit humain, et l’homme est seul dans l’univers, sans réalité extérieure sur laquelle il puisse modeler son action. Deux perspectives qui, chacune à sa manière, devraient nous inviter à une certaine humilité quant à notre nature.
       Selon moi, c’est la Voie qui crée l’homme et non l’inverse. Je tire cette conviction du phénomène de l’universalité de la vertu : un acte vertueux sera reconnu comme tel par tous les hommes, indépendamment de l’époque, de la culture, du caractère. C’est donc la Voie qui s’impose aux hommes, et non les hommes qui inventent la Voie. Consolons-nous dès lors de notre statut de simples émanations en considérant la majesté et la pérennité de l’antique Voie qui nous soutient !

4 juillet 2012

Bossuet, le conformiste radical

     
     
      Je lis depuis quelque temps le Discours sur l’histoire universelle de Bossuet. J’ai de l’estime pour Bossuet. Voilà un homme qui n’a jamais aspiré à avoir une seule idée personnelle de toute sa vie, qui, malgré ses dons évidents, est toujours resté parfaitement soumis à la structure à laquelle il appartenait : l’Église. Dans l’étude qu’il lui consacre, le toujours pertinent et trop oublié Émile Faguet relève avec justesse ce mépris de l’évêque de Meaux pour les « opinions particulières », fruits de l’orgueil et de l’égarement. Pour Bossuet, le monde était simple, et tous ses talents d’orateur devaient servir à propager cette vision du monde, ordonné et immuable.
      Le grand paradoxe de Bossuet, c’est que ce conformiste absolu est devenu, par la simple évolution des mentalités, un auteur complètement sulfureux. Ses propos sur les homosexuels, sur les juifs, sur les protestants, sur une infinité de sujets à la vérité, suffiraient de nos jours à envoyer devant les tribunaux quiconque oserait en proférer ne serait-ce que le dixième. Avec Bossuet nous avons donc, couchées sur le prestigieux papier bible de la pléiade, des formules qui, extraites de leur contexte, sembleraient tout droit issues d’un cerveau ravagé par la haine et la paranoïa. Lire Bossuet, c’est donc lire à la fois le classicisme le plus orthodoxe et la subversion la plus insoutenable. Quels tours malicieux joue le destin, qui émousse au fil du temps les aspérités des artistes les plus provocateurs, et qui transforme l’auteur le plus conformiste de toute notre littérature en pamphlétaire déchaîné et délirant !