30 janvier 2015

Michel Houellebecq : Soumission


       Lu Soumission, de Michel Houellebecq. Je n’ai pas vraiment envie de revenir sur le contenu, assez pauvre et schématique en fin de compte, malgré quelques pointes d’humour toujours appréciables. Ce qui me gêne davantage, c’est un certain flottement du style, qui s’amollit et se dilate en maints endroits. Pour vérifier, je reprends tout de suite après Plateforme (2001). Le choc est grand. Je passe sur le contenu glauque et malsain de Plateforme (à quatorze ans je lisais Dragon Ball et je regardais François Mitterrand à la télévision ; à vingt-quatre ans je lisais Partouz de Yann Moix et Plateforme de Michel Houellebecq. Que s’est-il passé dans ce pays ? Que s’est-il passé ?), c’est sur le plan du style que le relâchement est flagrant. La règle de base de l’écriture littéraire, c’est de considérer chaque phrase comme une entité close. Dans Plateforme, le style est impeccable, chaque phrase a la rigueur d’une démonstration. Dans Soumission, le discours se perd régulièrement dans une logorrhée verbeuse et vulgaire, il n’y a plus de points, seulement des virgules à n’en plus finir, toute l’architecture du texte s’est effondrée. S’il y avait une critique littéraire digne de ce nom dans ce pays, c’eût été la première chose que l’on aurait soulevée à propos de ce roman. A vrai dire, le déclin a commencé dès La Possibilité d’une île (2005), et je l’avais remarqué à l’époque. Enivré par son argent et ses groupies, on sentait déjà que l’auteur ne tendait plus autant qu’auparavant les cordes de son instrument. Dans ce domaine comme dans tant d’autres, la plongée dans le vingt-et-unième siècle n’aura été que la manifestation d’un délitement.
       (Le soin porté à la langue est le seul critère qui distingue le véritable écrivain du reste de la population. Quelques jours avant la mort de Gide, Maria Van Rysselberghe notait à son propos dans ses carnets : « Il ne laisse plus passer la moindre irrégularité de langage, comme si toute son attention se réfugiait là. »)

14 janvier 2015

Éloge de Zénon de Citium


       
       Si l’on me demandait quel philosophe de l’Antiquité me paraît le  plus sage, je crois que je citerais Zénon de Citium, le fondateur du stoïcisme. C’est le moins extravagant de tous. La sagesse de Pythagore est empreinte d’ésotérisme ; celle de Diogène et de Socrate est trop ostentatoire ; celle de Platon trop volubile. Épicure et Pyrrhon seraient parfaits, s’ils ne restreignaient pas leur regard dans des limites si étroites et si prosaïques. La voie du sévère Zénon semble être la plus droite et la plus directe. Pas de grands discours, de la vertu, de la sobriété, et une grande confiance en la Providence. C’est avec ces ingrédients tout simples que le stoïcisme a pu conquérir Rome, pourtant si rétive aux influences étrangères.
       Toute l’œuvre de Zénon a disparu. Il n’en reste rien. Je dois avouer que cette perte ne m’afflige pas trop. Si nous avions les textes de Zénon, nous serions sans doute rebutés par des classifications arbitraires, des démonstrations laborieuses. Au lieu de cela, sa figure nous est parvenue dans toute sa pureté. À vrai dire, cinq lignes suffisent pour assurer l’immortalité de sa mémoire, ce sont celles que la cité d’Athènes a fait graver après sa mort sur une stèle placée à l’Académie, où elle le loue d’avoir prôné la tempérance et la vertu, et d’avoir mené une vie conforme à sa doctrine. Un tel éloge vaut bien tous les traités du monde.