J’écoute un disque de Chopin et mes yeux, en feuilletant le livret, tombent sur la date de l’enregistrement : 1977. Je pense à 1977. Voilà une année réelle, chargée d’une coloration particulière, de cette teinte un peu mélancolique de la fin des années soixante-dix. Je pense à 1993 et à 1994, deux années un peu mortifères également (Bérégovoy, Kurt Cobain, Ayrton Senna), deux années si contrastées, si fécondes en chefs-d’œuvre artistiques (Ace of Base, True Romance, Pulp fiction). Je pense à 1998, une explosion de joie et de puissance, une grande confiance en l’avenir. Je pense à toutes ces années qui chacune ont une signification pour moi. Jusqu’à une époque récente, chacune avait sa singularité, son identité particulière, sombre ou éclatante. Maintenant, je pense à 2003, à 2006, à 2009, et je ne vois rien. Le vide. Une longue étendue indéterminée, faite de téléréalité, de vulgarité, de gens qui mangent, qui dorment, qui cherchent à faire de l’argent. Rien, aucun souvenir saillant, à part peut-être la mort de Jean-Paul II en 2005 et celle de Michael Jackson en 2009. Que s’est-il donc passé ? Dans quelle ère sommes-nous entrés ? Comment avons-nous fait pour disparaître des radars du temps ?
Oh ! je t’entends, voix de la raison ! Tu me dis : « Tout ceci n’est qu’illusion. La vie n’a jamais quitté le présent. Tes propos reflètent l’égarement de celui qui introduit sa propre subjectivité là où elle n’a pas lieu d’être. » Et pourtant, je ne puis me défaire du sentiment que l’immédiat, le court terme, a pris la place de ce qui autrefois s’inscrivait dans une durée. Le sens, si unifié naguère (et je pense à François Mitterrand, l’homme de l’unité et des grands desseins) a disparu. La sensation fugace a tout recouvert. Toi-même, ami lecteur, tu lis ces mots, mais dans cinq minutes où sera-tu ? Où étais-tu il y a cinq minutes ? Ô technologie ! fille bâtarde de l’intelligence et de la cupidité ! grâce à toi je m’exprime, tu m’as donné la parole, mais tu m’as pris le temps !
Oh ! je t’entends, voix de la raison ! Tu me dis : « Tout ceci n’est qu’illusion. La vie n’a jamais quitté le présent. Tes propos reflètent l’égarement de celui qui introduit sa propre subjectivité là où elle n’a pas lieu d’être. » Et pourtant, je ne puis me défaire du sentiment que l’immédiat, le court terme, a pris la place de ce qui autrefois s’inscrivait dans une durée. Le sens, si unifié naguère (et je pense à François Mitterrand, l’homme de l’unité et des grands desseins) a disparu. La sensation fugace a tout recouvert. Toi-même, ami lecteur, tu lis ces mots, mais dans cinq minutes où sera-tu ? Où étais-tu il y a cinq minutes ? Ô technologie ! fille bâtarde de l’intelligence et de la cupidité ! grâce à toi je m’exprime, tu m’as donné la parole, mais tu m’as pris le temps !