26 septembre 2019

Psaume



Ma vie était vacante et tu l’as rendue pleine ;
Tous m’avaient rejeté et toi tu m’as nourri ;
Mes ennemis riaient et accroissaient ma peine,
Et tu les as fait taire en entendant mon cri.

Yahvé ! je chanterai ta puissance et ta gloire,
Toi qui même aux bergers fais signe d’approcher,
Toi qui promets à Sion descendance et victoire,
O mon unique Dieu, mon roc et mon rocher !

Et lorsqu’il me faudra repartir à la guerre
Pour chasser à jamais de ta fertile terre
Le profil insultant du guerrier philistin,

Je broierai ces impies comme un chien broie ses puces,
Et dresserai pour toi, au soleil du matin,
En pyramides d’or, leurs six mille prépuces.

12 septembre 2019

Antoine de Saint-Exupéry : Terre des hommes



Lu Terre des hommes, de Saint-Exupéry, avec intérêt. On y retrouve ce mélange de lyrisme et de confrontation directe avec la vie qu’il y a aussi chez Malraux et dans toute la littérature de cette époque. Le lyrisme appliqué aux réalités brutales du vingtième siècle : la technique, la guerre, la camaraderie, la mort. Ce n’est pas le genre de littérature que je préfère, mais il faut reconnaître à toute cette génération, Malraux, Hemingway, Montherlant, le mérite d’avoir vécu et écrit au cours d’une des périodes les plus troublées de l’histoire. Aucun n’en est sorti indemne : Hemingway et Montherlant se sont suicidés, Malraux était ravagé de tics nerveux, et Saint-Exupéry s’est abîmé en mer lors d’une sortie aérienne en juillet 1944.
Ce qui me frappe, dans Terre des hommes, c’est l’insistance constante de Saint-Exupéry sur les expériences extrêmes, au contact de la nature, du large, de l’infini. Infini du ciel étoilé, infini du désert, infini des montagnes. Expériences extrêmes de survie dans les conditions les plus hostiles, à la frontière de la mort. Ce que tout cela traduit, en creux, c’est un refus radical du quotidien, un refus de la trivialité et de la mesquinerie de la vie urbaine. Il y a un passage qui illustre parfaitement ceci. Avant son premier vol pour la ligne du courrier Toulouse-Dakar, Saint-Exupéry prend le bus à l’aube avec de modestes fonctionnaires de la ville. Il éprouve le sentiment invincible de ce qui le sépare de ces formes grises, anonymes : « Je surprenais (…) les confidences que l’on échangeait à voix basse. Elles portaient sur les maladies, l’argent, les tristes soucis domestiques. Elles montraient les murs de la prison terne dans laquelle ces hommes s’étaient enfermés. (…) Vieux bureaucrate, mon camarade ici présent, nul jamais ne t’a fait évader et tu n’en es point responsable. Tu as construit ta paix à force d’aveugler de ciment, comme le font les termites, toutes les échappées vers la lumière. Tu t’es roulé en boule dans ta sécurité bourgeoise, tes routines, les rites étouffants de ta vie provinciale, tu as élevé cet humble rempart contre les vents et les marées et les étoiles. Tu ne veux point t’inquiéter des grands problèmes, tu as eu bien assez de mal à oublier ta condition d’homme. Tu n’es point l’habitant d’une planète errante, tu ne te poses point de questions sans réponse : tu es un petit-bourgeois de Toulouse.  » Et tout l’ouvrage est marqué par ce choix originel : plutôt le danger, plutôt la mort qu’une vie médiocre. C’est en sacrifiant sa vie qu’on la justifie.
Ce que l’on devine, chez Saint-Exupéry, c’est un rejet complet de la vie moderne. Les cieux et la mer sont plus accueillants, malgré leurs dangers, que le bitume des villes. Sans doute Saint-Exupéry avait-il prévu et accepté son destin. Dans une lettre à un ami, envoyée juste avant sa disparition, il écrivait : « Si je suis descendu, je ne regretterai absolument rien. La termitière future m’épouvante. Et je hais leurs vertus de robots. Moi, j’étais fait pour être jardinier. »