13 mars 2024

Goku



Pastiche de Gérard de Nerval

Je suis Gokù, – le Blond, – le Volant, – l’Orphelin,
La Saïen justicier à la queue sectionnée ;
L’innocente Bulma et le chauve Krilin
Seuls virent les premiers chocs de ma destinée.

J’ai vaincu, tu le sais, Paï-Paï et Tenshinhan ;
Moi seul pus chevaucher le nuage magique ;
Mon épouse Chi-Chi me donna Songohan,
Fils maître comme moi du Kameha mystique.

J’ai rencontré Kaïo au Royaume des morts ;
J’ai conquis sur Namek le prix de ma souffrance ;
Demain je vaincrai Cell sans peine et sans remords…

Sache enfin, Végéta, que durant mon enfance
J’ai trois fois réuni les boules de cristal
Et du dragon Shenron crié le nom fatal.

28 février 2024

Considérations sur le déploiement historique du principe de singularité



La présente réflexion se propose d’étudier de façon purement a priori les modalités de manifestation du transcendant au sein d’un univers donné.
Il est bien évident que s’il n’y a pas de transcendant, si l’univers est la manifestation de son activité propre, d’un déploiement purement immanent de son essence propre, alors toutes les métaphysiques élaborées au sein de cet univers tendront à converger vers une doctrine unique, une doctrine de l’identité ultime de l’individu et du Tout. Au-delà des différences culturelles qui pourront affecter les multiples civilisations, les sages de tous les lieux et de toutes les époques se rejoindront sur ce constat immanentiste et métaphysique. Il n’y aura pas, en toute rigueur, de place, dans un tel univers, pour le singulier absolu, mais toutes les entités pourront être subsumées sous des catégories universelles dont elles tireront leur essence. En outre, une telle configuration impose nécessairement une disjonction entre la réalité perçue immédiatement (trivialement) et la réalité profonde et cachée du monde, d’où l’émergence, précisément, de doctrines de type « métaphysique ». Cette disjonction entre l’essence et la manifestation entraînera, chez ceux qui s’engageront dans cette voie de l’élucidation de la nature de l’univers, un type de comportement commun, visant à s’abstraire de la manifestation pour rejoindre l’essence, type de comportement qui impliquera un détachement de plus en plus radical à l’égard de la manifestation dans le but de réaliser l’unité primordiale, détachement universel que l’on peut désigner sous le terme générique d’« ascèse ». Dans cette hypothèse, toutes les entités individuelles, quels que soient leur culture d’origine ou leur milieu, qui aspireront à réaliser en elles cette unité métaphysique, devront s’engager dans ce comportement universel et normatif, dans cette ascèse.
Il est dès lors bien évident, si l’on envisage l’hypothèse opposée, celle d’un transcendant originel, que ce transcendant, s’il aspire à établir un dialogue avec sa création, ne pourra absolument pas s’engager dans la voie d’une métaphysique comparable aux innombrables métaphysiques naturelles, élaborées dans l’optique d’une immanence de l’univers. Il lui faudra, bien au contraire, s’il est vraiment le Transcendant, choisir la voie opposée, celle de l’arbitraire pur, de la pure liberté et de la complète gratuité. Or, la chose la plus arbitraire qui soit, la seule chose par conséquent propre à manifester une volonté extérieure à l’immanence de l’univers, c’est la législation. Dans cette hypothèse, la seule voie qui s’offre au transcendant est donc celle d’une législation révélée. Bien entendu, cette législation ne pourra jamais être purement individuelle, car dans ce cas l’arbitraire de l’entité individuelle ne pourrait en aucun cas être distingué de l’arbitraire du transcendant. Elle devra donc s’adresser à une communauté, à un « peuple », un peuple séparé des autres, qui sera porteur, au sein de l’immanence universelle et à travers l'histoire, de l’existence et de la volonté du transcendant. Nous aurons donc la mise en place d’une dialectique entre un peuple séparé, c’est-à-dire, étymologiquement, un « peuple saint », d’un côté, et les « nations » de l’autre. Cette dialectique entre le peuple saint et les nations sera génératrice d’une tension, d’une remise en cause de l’immanence et de toute métaphysique en général, qui témoignera de la présence du transcendant au sein de la création.
Il est bien évident que cette tension dialectique, comme toute tension dialectique, tendra nécessairement, à un moment ou à un autre, à une résolution, à un dépassement dialectique, à une réconciliation des deux pôles de tension au sein d’une synthèse supérieure. Il est absolument impossible de déterminer de façon a priori la forme que pourrait prendre ce dépassement dialectique. Le cas le plus extrême, sans doute, qui pourrait être envisagé, serait, puisque toute la démarche de révélation de la part du transcendant implique une volonté d’alliance entre ce Transcendant et l’entité individuelle, que le transcendant pousse cette alliance à son terme le plus absolu en adoptant la nature de l’entité individuelle. Il s’agit là, bien sûr, d’une hypothèse vertigineuse, celle d’une sorte « d’incarnation » du transcendant. En ce transcendant incarné, la totalité du principe de singularité serait préservée (ce qui implique une continuité et non une rupture), la réconciliation entre le transcendant et sa création serait opérée, et la dialectique entre le peuple saint et les nations se résoudrait de façon définitive.
Néanmoins, une telle hypothèse ne signifierait nullement la disparition, sur le plan historique, du principe de singularité introduit par le transcendant lors de sa révélation au peuple séparé. Bien au contraire, tant que durera la création, ce peuple séparé continuera à jouer son rôle prophétique de dissolution de toute métaphysique naturelle et de témoignage du transcendant. Ce rôle historique ne sera nullement remis en cause par l’Incarnation. Mais la pointe aigüe de témoin du transcendant et de moteur de l’avènement eschatologique des promesses du transcendant résidera nécessairement dès lors chez ceux qui se réclameront du dépassement dialectique opéré par le transcendant. Ceux-ci devront être à la fois porteurs du principe de singularité posé par le transcendant (c’est-à-dire de la liberté, par opposition à toutes les déterminations immanentistes), et de la réintégration de l’ensemble de la Création dans l’Alliance, laquelle constitue l’objet propre de ce dépassement dialectique.
Il résulte de tout ceci une conséquence bien évidente, c’est qu’il est rigoureusement impossible, pour ceux qui se réclament du dépassement dialectique, de s’en prendre au principe de singularité posé par le transcendant, et plus précisément à sa manifestation historique et concrète, c’est-à-dire au peuple saint. Il y aurait là, en effet, une négation absolue du transcendant, de la part de ceux qui se réclameraient de son Incarnation. Le dépassement dialectique n’est en effet nullement un retour à l’universalisme métaphysique des conceptions immanentes de l’univers, mais au contraire une sorte d’« exhaussement » de tout cet univers au niveau du principe de singularité. C’est là un point qu’il est absolument essentiel de comprendre. D’un point de vue purement historique et contingent, néanmoins, il est très probable que cette prise de conscience ne s’effectue pas aussi clairement qu’il serait souhaitable chez ceux qui se réclament du dépassement dialectique (quel qu’il soit). Mais il est évident qu’un retournement de ceux-ci contre le principe de singularité dont ils sont issus offrirait le triste spectacle d’un contresens complet quant à leur être même et à leur rôle eschatologique, et d’une trahison de la volonté et du message du Transcendant.
Il me semble que c’est là ce que l’on peut avancer de plus clair et de moins sujet à caution quant à la question délicate de savoir si l’on peut établir de façon a priori les modalités de manifestation d’un éventuel transcendant par rapport à un univers donné.

15 février 2024

Fragments, février 2024

- Beau is afraid : le problème de ce film, c'est qu'il viole une des lois fondamentales du cinéma, à savoir le strict respect de la mimesis. Le cinéma est beaucoup moins libre que la littérature à cet égard. Le spectateur a besoin de savoir que c'est bien la réalité qui lui est représentée, une version de la réalité, même si elle est fantastique (science-fiction, horreur). À cet égard, le cinéma s'est très peu affranchi de la photographie dont il est issu. Et le problème de Beau is afraid, c'est qu'assez vite on se rend compte que ce à quoi on assiste est une pure fantasmagorie, le délire d'un cerveau malade. Dès lors tout l'intérêt s'évapore, on n'adhère plus aux images puisqu'on a saisi leur caractère gratuit, arbitraire, imaginaire et pathologique. Et le film s'effondre littéralement sur lui-même. C'est vraiment là une des règles d'or du cinéma, règle respectée de façon scrupuleuse par Kubrick par exemple (qui limitait les séquences de rêve et de délire à de courts flashs) : le cinéma doit représenter la réalité, une version de la réalité, il est l'art de la réalité (cf. Ellul, La Parole humiliée).

- Le cinéma est un art de voyeurs (Hitchcock, Kubrick). Il faut voir les choses. Le symbolisme, la métaphore ne lui sont pas permis (ou alors de façon subliminale, superposée au réel, comme chez Hitchcock, mais jamais à la place du réel).

- Ce qui s'est passé, entre Spinoza et Nietzsche, c'est la grande révolution musicale, illustrée en particulier par Mozart. Spinoza pense encore dans un monde de purs concepts, un monde simple et droit, un monde sans musique. La pensée chez lui se déploie purement et librement, nul tourment lyrique ne la trouble. Entre lui et Nietzsche, tout un univers musical s'est déployé, Mozart, Beethoven, Chopin, Wagner, etc. La pensée a perdu à la fois son innocence et sa simplicité. Elle est travaillée par quelque chose d'extérieur à elle, d'antérieur à elle, par l'inexprimable, par l'inquiétude. C'est ce qui explique l'accent de douleur rentrée qui émane de chaque phrase de Nietzsche. Le vieux Platon l'avait déjà vu de son temps : c'est la musique qui précède et qui détermine toute chose, et toute pensée de la sérénité, de la quiétude, de la certitude, ne peut être qu'une pensée amusicale, antimusicale (défiance de Platon à l'égard des artistes en général).

- Ce qui a totalement disparu du champ intellectuel contemporain, c'est la grande pensée métaphysique traditionnelle (grecque, allemande, indienne), cette immémoriale pensée holistique, spiritualiste, pessimiste, dont Platon, Schopenhauer et la Bhagavad-Gîtâ constituent sans doute les expressions les plus abouties. L'esprit libéral anglo-saxon a totalement triomphé de l'esprit païen germanique à cet égard. En dernier ressort, c'est la victoire de la conception biblique du monde (individualisme, anti-idéalisme, liberté) sur la métaphysique ancestrale.

- Ce qui a été si traumatisant dans le moment Sarkozy, c'est que ça a vraiment été le moment du triomphe assumé de l'irrationalité. C'était quelque chose d'inconcevable auparavant. Pour la première fois, et je l'ai vu dans mon entourage, les gens assumaient clairement de se prononcer, dans le domaine politique, sur des critères purement émotionnels. On préférait avoir tort avec Sarko qu'avoir raison avec Royal ou Bayrou. Parce que Sarko leur « donnait des émotions ». Et ce qui est vraiment tragique, c'est que c'est un fonctionnement qui n'a jamais cessé depuis, qui s'est révélé irréversible. La plupart des gens, la plupart des médias, ne sont jamais remontés dans le train de la rationalité, la réactivité émotionnelle s'est inscrite en eux comme leur posture de base face à l'existence.

11 octobre 2023

Conversation au bord de la rivière



Je discutais l’autre jour avec un vieil ami paysan. Nous étions tous les deux assis au bord de la rivière, sous les ombrages, dans une belle fin d'après-midi d'octobre. Au bout d'un moment, il raffermit sa canne à pêche dans sa main droite, ôta sa pipe de sa bouche, puis : « Cela fait vingt ans que je te connais, me dit-il. Tu réfléchis trop. Sais-tu quel est le premier verset du Yoga-Sutras de Patanjali ? « Le Yoga est l'arrêt de l'activité automatique du mental. » « L'arrêt de l'activité automatique du mental. » Tu entends ? Voilà en quoi consiste la quintessence de la sagesse selon la plus ancienne et la plus noble tradition spirituelle du monde. Toutes tes grandes pensées ne sont que des flux pathologiques, parasites, comparées à la grande quiétude du sage véritable. On trouve la même injonction, mille fois répétée, chez Tchouang-tseu : « Pour connaître le Tao, dit-il, on ne doit ni penser ni réfléchir. »
« Tu ne connais pas la nature, tu es un homme de bibliothèques. L'intelligence a son rôle dans la nature, bien sûr, mais elle n'apparaît que très tardivement, pour des tâches périphériques, subalternes, ce n'est pas du tout le noyau de l'être. Un être vivant peut vivre sans cerveau, c'est un organe secondaire, qui est apparu très tard dans l'évolution, et qui cause souvent beaucoup plus de problèmes et de dysfonctionnements qu'il n'en résout. Il consomme énormément d'énergie, demande de longues heures de sommeil pour récupérer, son développement prolonge la durée de la grossesse sur des mois, celle de l'enfance sur des années entières. À tous égards, du point de vue de la nature, c'est un outil extrêmement coûteux. C'est la fleur de l'être, son produit ultime, mais l'essence de la vie se situe ailleurs.
« J'ai fait des études avant de me retirer à la campagne, et j'ai pu constater que la grande majorité des troubles qui rendent certaines personnes insupportables provient uniquement d'un usage excessif du cerveau et de l'intelligence. Les gens pensent trop, et mal. Ils s'imaginent que c'est gratuit de penser, que cela ne coûte rien, que cela n'engage à rien. Ils se trompent. La pensée est le portail de toutes les calamités, de tous les malheurs du monde. « La pensée précède toutes choses, déclare le Bouddha dans le Dhammapada. Elle les gouverne, elle en est la cause. Qui parle ou agit avec une pensée mauvaise, la souffrance le suit pas à pas, comme la roue suit le sabot du bœuf. »
« Arrête de penser, arrête de réfléchir. Tu t'en trouveras mieux, je t'assure.
« Tu aurais d'ailleurs tort de t'imaginer que tout ce que je te dis là est uniquement issu de la sagesse orientale. On trouve le même enseignement dans la Bible. Pour la Bible, l'homme est centré autour de ce qu'elle appelle le « cœur », qui est le noyau de l'être. C'est de lui qu'il faut prendre soin avant tout. « Plus que sur toutes choses, veille sur ton cœur, c'est de lui que jaillit la vie », déclare l'auteur du prologue du livre des Proverbes (Pr 4, 23). À de nombreuses reprises l'Écriture fait l'éloge de « l'esprit d'enfance » : « Seigneur, je n'ai pas pris un chemin de grandeurs, ni de prodiges qui me dépassent. Non, je tiens mon âme en paix et en silence, comme un petit enfant contre sa mère. Comme un petit enfant, telle est mon âme en moi » (Psaume 131). Et Jésus enseigne à ses disciples qu'à moins de devenir semblables à des petits enfants, ils ne pourront pas entrer dans le Royaume des cieux (Lc 18, 16).
« Arrête donc de te creuser autant la tête. Moi aussi, lorsque j'étais jeune, j'ai beaucoup réfléchi sur la question de la réalité des Idées platoniciennes, ou sur celle de l'objectivité de la loi morale. Toutes ces grandes questions métaphysiques ne font que t'éloigner de ta nature véritable, que tu n'accompliras pas à travers la réflexion, mais par la juste subordination de toutes tes facultés à ton centre véritable, qui se situe dans le silence du cœur. »

13 septembre 2023

Considérations sur la notion de concept

Il semble que la capacité à former des concepts soit la principale caractéristique de la pensée abstraite. Le concept occupe de ce fait une place centrale dans toute théorie de la connaissance. Mais cette notion peut prêter à équivoque.
En considérant les choses de près, on peut distinguer deux sortes de concepts :
- Les concepts post res. C’est la forme la plus commune de concepts, celle qui subsume la multiplicité issue du donné sensible sous l’unité du concept intelligible. Par exemple, toutes les chaises du monde peuvent être subsumées sous le concept unique de « chaise », qui en contient toutes les caractéristiques « essentielles ».
- Les concepts ante res. Ce sont les abstractions pures. Par exemple, la « justice », la « vertu », la « charité », ne correspondent à aucune entité sensible, isolable matériellement. Elles renvoient à des notions purement intelligibles.
La pensée conceptuelle, à son niveau le plus élémentaire, semble apparaître très tôt, dès les stades les plus précoces de la vie intellectuelle. Un bébé peut former le concept de « biberon », puisque ses réactions physiologiques d’anticipation seront identiques quel que soit le biberon qui lui sera présenté, indépendamment de la singularité matérielle de ce dernier. De même, un chat saura reconnaître le concept de « sachet de croquettes pour chat », puisqu’il réagira de façon identique face aux différents sachets de croquettes pour chat qu’il pourra appréhender.
La question fondamentale concerne la réalité effective des concepts, des concepts ante res mais aussi des concepts post res. En effet, rien ne prouve que la multiplicité des « chiens » présents dans le monde soit subsumable sous le concept unique de « chien ». En réalité nous pouvons avoir affaire à autant d’individus uniques, non superposables, et le vocable de « chien » ne serait alors rien d’autre qu’une convention de langage ne renvoyant à rien de réel.
On déduit aisément les risques qui peuvent découler de tout ceci pour la pensée abstraite. Celle-ci, tributaire du concept, risque fort d’être inapte à saisir la réalité de l’expérience vécue, et de n’être par conséquent qu’une mécanique arbitraire mettant en jeu de pures conventions de langage, vides de contenu ; c’est-à-dire que toute la pensée, considérée dans son rapport effectif au monde en soi, risque fort de n’être que pure vanité, pure illusion. De fait, nous l’avons dit en commençant, le concept se trouve au fondement de toute pensée abstraite, il en est inséparable, au point que « concept » et « pensée abstraite » sont proprement des synonymes.
Le concept semble même indispensable pour s’orienter dans la vie considérée dans ses manifestations les plus concrètes, les plus immédiates. Il est évident qu’il faut bien former le concept de « porte » pour franchir une porte !
Ceci ne vaut pas que pour les concepts post res (empiriques). La capacité à former des concepts ante res (abstraits) et à y conformer son comportement, en dépit des sollicitations sensibles, semble indissociable de la faculté que nous nommons « liberté ». Dans une situation de colère, d’irritation extrême, pouvant déboucher sur de la violence physique, la représentation, au sein de la conscience du sujet, du concept de « vertu », ou de « maîtrise de soi », ou de « crainte du Seigneur », ou de « répercussions pénales », peut amener le sujet à modifier son comportement, c’est-à-dire qu’un concept purement abstrait entraîne un changement matériellement constatable dans la chaîne des déterminations causales, envisagée sous son aspect le plus sensible.
Si l’on considère que le concept est une pure convention ne renvoyant à rien de réel, cela signifie que c’est bien l’illusion qui détermine tous les aspects de notre vie, des plus basiques aux plus élaborés. En particulier, cela veut dire que toute forme de discours abstrait n’est que pure gratuité, pure vanité, arbitraire pur, ne renvoyant à rien de correspondant dans le monde en soi.
Et si l’on considère, au contraire, que le concept est quelque chose de réel, alors cela signifie que toute notre vie sensible n’est pas d’une autre texture que celle des rêves, puisque nous passons notre existence à nous déterminer en fonction d’objets sensibles et particuliers, lesquels, sous cette hypothèse, n’ont à leur tour rien de réel, puisque leur essence se trouve entièrement comprise dans le concept qui les subsume. Dans ce cas, ce sont bien les platoniciens qui ont raison, et l’attitude la plus sensée consisterait à se dégager de la multiplicité sensible pour ne considérer que la pure unité essentielle des choses. On pourrait alors envisager une sorte de gradation des concepts, orientée dans le sens d’une essentialisation ascendante, avec au sommet une sorte de « Bien » platonicien ou d’« Un » plotinien. Il va de soi qu’une telle conception de l’existence s’oppose en tous points à toutes les expressions de la vie contemporaine, sous quelque forme qu’on l’envisage.
La notion de concept pose donc un gigantesque point d’interrogation sur toute notre appréhension de la réalité. C’est une grande marque de la miséricorde divine d’avoir fait en sorte que si peu de gens se sentent concernés par ce problème, car celui-ci, envisagé dans toute sa pureté et en toute lucidité, remet radicalement en cause toute la conception que nous pouvons nous faire de la pensée et de la vie.