17 août 2016

Stephen King : Joyland

      
       Lu Joyland de Stephen King, avec beaucoup de plaisir et d’intérêt. Jamais sans doute depuis mon adolescence je n’avais éprouvé un tel sentiment d’immersion à la lecture d’un roman de Stephen King. Il y a dans Joyland une grâce particulière, qui tient en partie à sa mince épaisseur par rapport aux autres romans du maître (quatre cents pages au lieu des huit cents habituelles), mais aussi à toute une alchimie savamment agencée par l’auteur : la tonalité un peu mélancolique du récit d’un homme mûr qui se retourne vers sa jeunesse et ses amours perdues, le cadre singulier d’un parc d’attraction de seconde zone en Caroline du Nord au début de la décennie la plus sordide du vingtième siècle, en 1973. On retrouve ici cette atmosphère d’abandon et de solitude qui imprègne si souvent les œuvres de Stephen King. Et la narration est menée avec un savoir-faire achevé, avec ce mélange d’improvisation et de rigueur qui est la marque des grands romanciers. Chaque page obéit parfaitement à la double fonction d’un texte romanesque : présenter suffisamment d’intérêt en lui-même pour captiver le lecteur ; s’intégrer avec précision dans un ensemble plus vaste par un jeu subtil d’anticipations et de résonances.
       Oui, lire un roman de Stephen King, lire Joyland en tout cas, procure ce doux sentiment de se débarrasser de tout ce qu’il y a de factice dans la vie sociale, d’envoyer tout le clinquant par-dessus bord, et de revenir à l’authenticité de ce que nous sommes tous, des êtres un peu paumés, qui boivent des bières et font des feux sur la plage en été, qui cherchent des boulots minables pour payer leurs études, et qui se retrouvent tout à coup confrontés à des forces qui les dépassent. Tout cela est à l’image de Stephen King, un type simple qui porte des lunettes de myope, des casquettes de baseball et des tee-shirts trop grands pour lui, qui n’a jamais quitté son Maine natal, qui est marié à la même femme depuis toujours, qui se sert de Twitter pour poster des photos de son chien ou pour traiter Donald Trump d’« asshole », et qui publie sans faillir huit cents pages infernales et traumatisantes tous les ans depuis quarante ans.