30 décembre 2010

L'intelligence et la volonté

      Il y a une réflexion de François Mitterrand qui m’a toujours semblé très juste : « L’intelligence ? C’est la chose du monde la mieux partagée. La volonté, ça, c’est plus rare. »
      Tout le monde voit ce qui est bien et ce qui est mal, ce qu’il faudrait faire et ce qu’il faudrait éviter. Une des caractéristiques de l’âme humaine, c’est sa parfaite lucidité, sa parfaite transparence, même chez les individus les plus misérables et les plus dépravés. Etre intelligent, cela ne veut rien dire, car tout le monde l’est. Ce qui distingue vraiment quelqu’un, c’est la force de sa volonté. Savoir vaincre les multiples sollicitations sensibles, toutes les petites faiblesses de l’instant, et persévérer dans la voie juste, c’est beaucoup plus difficile, et infiniment plus rare.
      Platon, dans les Lois, a écrit que l’existence était un combat contre soi-même. Je suis de son avis. Ce n’est pas par la pensée que l’esprit triomphe de la matière, c’est par l’effort.

17 décembre 2010

Les temps contraires

      Lorsque j’avais vingt ans, je croyais que le tempérament déterminait tout, et qu’il n’y avait pas de circonstances si pénibles qui ne pliassent devant la force de la volonté. Je dois admettre aujourd’hui que je me suis trompé.
      On apprend toujours beaucoup de choses de la nature. Depuis quelques mois, je cultive des plantes. Au printemps, en été, il suffisait que je les arrose pour qu’elles poussent. Mais, dans la nature, tout obéit à des cycles. C’est à présent l’hiver, il fait froid, il fait sombre, et mes plantes ne poussent plus. C’est ainsi, mes plantes n’y sont pour rien, elles ne font que se soumettre à une loi qui les dépasse.
       Rien, depuis deux ou trois ans, ne semble possible en France. La peur, la violence et le désespoir règnent. Lorsque je m’examine moi-même, je constate que mes facultés d’action ont singulièrement baissé aussi. Ce qui, autrefois, me paraissait facile, naturel, me semble presque impossible aujourd’hui, comme si mes mouvements étaient bloqués par une inertie funeste. Je le constate, mais je sais que ce n’est pas de ma faute, que je ne suis pas à blâmer dans cette histoire. Les temps sont contraires, et rien n’est possible, pour personne. Mais, après le grand réveil des peuples et le sursaut inévitable de la France, ils reviendront, ces jours après lesquels je soupire tant.

13 décembre 2010

Une ambiance suicidaire

      Un parfum de suicide flotte dans les airs. Il ne se passe pas un jour sans que je découvre la mention d’un suicide dans les faits divers. Le dernier en date est le fils de Bernard Madoff qu’on a retrouvé pendu dans son appartement de Manhattan. Mais, la plupart du temps, ce sont de tout jeunes gens qui se suicident, parfois dans leur collège ou dans leur lycée. Je serais curieux de connaître les statistiques exactes du nombre de suicidés. Je suis absolument certain que celui-ci n’a fait que croître ces dernières années. Et, d’une manière plus générale, j’observe très nettement autour de moi et chez la population une tendance au découragement, à l’abdication, au désespoir.
       Tout cela n’est pas le fruit du hasard, mais reflète l’état d’esprit actuel de notre société. Les gens pensent, avec raison d’ailleurs, que le futur est sombre, que l’avenir immédiat s’annonce pire que le présent, pire que le passé. Tout ce qui se fait actuellement, tout ce qui se dit, ne débouchera sur rien, et les gens en ont l’obscur pressentiment. Il faudra atteindre la catastrophe, ou du moins une crise majeure, pour que tout ce que la société a de pourri disparaisse et pour pouvoir poser les bases d’un système meilleur, centré sur l’homme, et non plus sur le profit.
       Dans cette situation, le comportement naturel de ceux qui se calquent sur l’air du temps, c’est le suicide. Notre monde est en train de se suicider, et pour continuer à vivre, il faut donc aller contre la marche du monde. C’est possible, mais cela demande des efforts, une certaine force intérieure. Et c’est lorsque l’on est jeune que l’on est le plus sensible à l’influence de l’époque, comme en témoigne le fait que ce sont toujours les jeunes qui adoptent toutes les modes. Quel triste destin que d’être jeune dans les années 2010 !
      En ce mois de décembre, nous approchons chaque jour davantage du solstice, et il y a là une grande leçon à méditer : le déclin des jours et le triomphe de la nuit ne sont pas irréversibles. La lumière diminue chaque jour davantage, jusqu’au jour où le globe bascule et où le soleil, enfin, retrouve le chemin de son éclat maximal.

30 novembre 2010

Les années 90

      Je pense aux jeunes, à ceux qui sont nés entre 1990 et 2000. Ces jeunes n’ont pas connu les années 1980 et 1990. Ils ne savent pas ce que c’est que de vivre dans un pays où les dirigeants disent la vérité, où le présent semble préparer l’avenir, où le lendemain est appelé à être meilleur que le présent. Sans doute, à travers des films, des livres, peuvent-ils se faire une idée de cette époque, une époque de courage, de confiance et d’optimisme. Aujourd’hui, nous sommes plongés dans les ténèbres, par la faute de leurs parents et de leurs grands-parents qui ont voté contre l’intérêt général. Sans doute y a-t-il là aussi une détermination métaphysique : la vie fonctionne par cycles, et une période de déclin doit nécessairement suivre une période de croissance et préparer une nouvelle phase de ressaisissement. Ce n’est pas encore l’aube, c’est la nuit noire. Mais plus la nuit avance, plus les ténèbres s’épaississent, plus le moment du basculement vers un jour nouveau approche.

22 novembre 2010

Zola n'est pas un classique

      Je lis en ce moment, sur la suggestion d’un ami, Thérèse Raquin, un roman de jeunesse d’Emile Zola. Je n’ai jamais pu renter dans l’œuvre de Zola. J’avais lu L’Œuvre au lycée, sans enthousiasme. Quelques années plus tard, j’ai tenté de lire Germinal, mais j’ai abandonné après quelques dizaines de pages, ce qui est très rare chez moi. Je ne pouvais pas aller plus loin, l’envie n’y était pas, cela m’ennuyait. Je me suis dit alors que décidément Zola n’était pas fait pour moi, que je devais me résigner à ignorer à jamais ce grand classique de notre littérature. Et puis, il y a quelques semaines, je me suis donc lancé dans Thérèse Raquin. Et, à nouveau, je ressens un blocage, presque de la répulsion face à ce livre. Quel est donc mon problème avec Zola ? Je vais tenter d’expliquer la cause de ce rejet.
       Ma conception de la littérature est une conception classique. Par « classique », j’entends la conception suivante : exprimer ce que l’on a à dire de manière brève, élégante si possible, en s’attachant toujours à la propriété des termes, dans le double dessein de plaire au lecteur et de le faire réfléchir. Il s’agit d’un idéal de concision, de clarté, d’équilibre et d’harmonie. Un tel idéal, en raison de sa nature même, requiert des sujets empreints d’une certaine noblesse. La Fontaine, Racine, Voltaire sont des auteurs classiques par excellence. Or, l’esthétique de Zola est aux antipodes de celle-ci. En ce qui concerne les sujets, ce qui lui plaît, c’est de représenter non pas des choses belles ou piquantes, mais des chose vraies. Il met une certaine complaisance à décrire des endroits insalubres, sales et malodorants, ainsi que des êtres maladifs et pervers. En ce qui concerne la forme, il n’a aucun souci d’harmonie ou de concision. Il s’étale longuement sur ce qui lui semble significatif, alors que le classique passe outre dès que son lecteur a compris de quoi il s’agissait. Oh, je ne nie ni l’intelligence de Zola, ni ses dons d’observation, ni les qualités de son style, toujours ferme et assuré. Je ne nie surtout pas son énergie et sa formidable capacité de travail. Mais il y a dans le naturalisme quelque chose qui s’oppose directement à l’idéal classique, et je dirais même au génie de la nation française, lequel est directement relié à la simplicité et au rationalisme de l’Antiquité. Zola est sans aucun doute une grande conscience de son époque, il est peut-être un grand écrivain, mais il n’est sûrement pas un classique.

22 octobre 2010

Les vrais responsables

      Mon intention, en créant ce blog, était de parler avant tout de littérature. Mais toute l’atmosphère intellectuelle en France est envahie par la politique, il est devenu impossible de se préoccuper d’autre chose. Je vais donc donner mon opinion sur la situation actuelle.
       Je pense que la politique menée actuellement par le président de la République est honteuse, inefficace et criminelle. Je ne rentre pas dans les détails. Je crois que la situation va continuer à se détériorer, les tensions vont atteindre un degré explosif, des gens vont mourir. Puis, il y aura sans doute une révolution, et les choses, peu à peu, vont finir par rentrer dans l’ordre. Tout cela est écrit, inéluctable, ce n’est pas la peine d’insister. Mais la question qu’il faudra bien se poser, un jour ou l’autre, est la suivante : qui est le responsable de cet immense gâchis ? La réponse, que personne n’ose formuler, est la suivante : le vrai responsable, c’est le peuple français. Je soutiens qu’en 2007 les Français ont délibérément choisi le candidat le plus vulgaire et le plus populiste, parce qu’ils avaient soif de cela, de vulgarité et de populisme. Après cinq présidents raffinés et cultivés, les Français se sont lassés de l’intelligence qu’ils ont assimilée à l’immobilisme, ils ont sincèrement cru qu’un président plus primaire, plus bête, changerait davantage les choses. Mus par de vils instincts matérialistes, ils ont accepté, en pleine conscience, de sacrifier une partie des valeurs de la France contre un accroissement escompté de leur prospérité, de leur « pouvoir d’achat » comme on disait alors. Bien entendu, cet accroissement n’est pas venu, et comme à chaque fois qu’on renonce à ses valeurs, c’est le contraire qui s’est produit. Les Français se sont alors réveillés (ou se réveilleront, pour les plus lents d’entre eux), non seulement plus pauvres, mais avec un exécutif d’une indignité jusqu’alors inédite. On serait tenté de dire : bien fait pour eux. Comme toujours, la colère succède aux pulsions frustrées, et c’est le spectacle de l’épanouissement de cette colère que nous réservent les mois à venir. Tout cela est triste, bien triste.

8 octobre 2010

Terminator

      Terminator de James Cameron (1984) est, selon moi, le meilleur film de tous les temps. Je le dis sans ironie. C’est un film proprement sublime. Jamais l’héroïsme n’avait été représenté à un tel degré dans la production artistique occidentale. Kyle Reese, ce jeune homme venu d’un futur apocalyptique, dans lequel il a vécu l’enfer (il était chargé de ramasser les cadavres dans les camps d’extermination mis en place par les Machines pour éradiquer la race humaine), débarque en 1984 dans un monde inconnu pour lui, et doit faire face à un robot littéralement invincible pour sauver le dernier espoir de survie de notre espèce, à savoir Sarah Connor, qui devra un jour donner naissance à John Connor, le futur vainqueur de la guerre contre les Machines. Sa vie n’est que devoir, lutte, souffrance. Et là, au milieu du film d’action le plus palpitant, le plus noir, comme l’unique lueur d’espoir dans un monde condamné, surgit tout à coup l’histoire d’amour la plus sublime qui soit, un amour fulgurant (une seule nuit) entre deux êtres au bord du précipice, entre Sarah et Kyle. J’en ai des frissons rien qu’en l’écrivant. C’est de cette unique étreinte que naîtra John.
       Tout est parfait dans ce film : la mise en scène sombre et nerveuse de James Cameron, la présence incroyable d’Arnold Schwarzenegger, la musique, tout. Ce que Cameron a retrouvé, à partir d’une histoire de science-fiction comme tant d’autres, c’est le mythe. Terminator est le mythe du vingtième siècle. L’amour, la peur, la volonté de survivre, tout dans Terminator est présent à son paroxysme, sous sa forme la plus viscérale et la plus intense. Et il se dégage de tout cela, du combat désespéré de Kyle et de Sarah, une noblesse infinie. C’est qu’ils ne se battent pas seulement pour eux, mais pour l’humanité tout entière, et que la menace qui pèse sur eux prend de ce fait des proportions mythiques.
       Je crois que je pourrais écrire sans fin sur Terminator. Il n’y a pas deux films comme celui-là.

4 octobre 2010

Pas de pardon pour d'Ormesson

      Lorsque j’avais quinze ans, j’aimais bien Jean d’Ormesson. Son Autre histoire de la littérature française m’avait tenu compagnie à la fin de mon adolescence, et avait accru ma familiarité avec nos grands auteurs. Avec son œil bleu pétillant de malice et sa verve inépuisable, il me séduisait. Je trouvais en lui un certain raffinement un peu suranné qui contrastait avec la vulgarité de l’époque. Pendant toutes ces années, il m’est resté sympathique, et je le suivais avec plaisir chaque fois (et c’était souvent) qu’il passait à la télé.
       Puis, à mon grand désappointement, il a soutenu Nicolas Sarkozy en 2007. Quelque chose s’est alors déchiré entre lui et moi. Lorsque j’ai constaté que ce soutien a depuis été réitéré, malgré tout ce que l’on a vu, je me suis dit que j’avais dû me tromper sur Jean d’Ormesson, et que les valeurs humanistes fondamentales, en lui, ne primaient pas sur des considérations partisanes. Tout ce que Jean d’Ormesson représentait à mes yeux s’oppose tellement à ce qu’est Nicolas Sarkozy, que j’ai dû me rendre à l’évidence, et reconnaître mon erreur. Depuis, je n’ai pas de haine envers Jean d’Ormesson, mais je n’ai plus d’estime pour lui. C’est un auteur charmant, mais mineur. L’essentiel lui manque. Je ne pourrai pas lui pardonner d’avoir sombré, lui aussi, dans la médiocrité et l’aveuglement de la majorité des électeurs.

1 octobre 2010

Alexandre Jollien

      J’ai lu le dernier ouvrage d’Alexandre Jollien, Le Philosophe nu, et je dois dire que je n’ai pas trop aimé. Alexandre Jollien est certainement un individu attachant, plein de qualités, et sachant manier la plume, mais sa philosophie, fondée sur la joie, l’acceptation du réel, me semble totalement inopérante. Lui-même en fait d’ailleurs l’aveu dans cette sorte de journal, où, avec franchise, il relate ses tourments, et dévoile une existence à mille lieues du détachement tant espéré.
      C’est qu’on ne peut pas prôner à la fois un mode de vie philosophique et chercher son bonheur dans la vie familiale, dans les rencontres, etc. Un philosophe marié, avec des enfants, ce n’est déjà pas très sérieux… Au fond, il n’y a qu’une seule voie vers la sagesse, défendue par tous les grands philosophes de l’Antiquité, en Grèce, en Inde, en Chine, partout, et que personne n’ose promouvoir aujourd’hui : c’est le détachement, l’indifférence, la maîtrise de soi, l’étouffement des passions, le repli sur ce qui dépend de nous, la contemplation des réalités éternelles et intangibles. Dès lors que l’on se compromet avec le monde concret, avec la société, dès lors que l’on accepte de jouer un rôle dans la comédie humaine, il n’y a plus de pureté, il n’y a plus de bonheur possible.

23 septembre 2010

La Carte et le territoire

      J’ai donc fini La Carte et le territoire, et je suis assez déçu. Houellebecq n’a plus rien à dire sur le monde, il se contente de le photographier platement, dans sa dimension la plus matérielle, la plus aride. On a alors droit à des descriptions, à des narrations objectives et désincarnées, à des digressions scientifiques, etc. Quel ennui ! Dans le fond, Houellebecq est bien ce que l’on soupçonnait depuis longtemps : un réactionnaire. La question sociale ne l’agite pas, l’accroissement des inégalités ne le trouble pas, sa position face au monde est une acceptation apathique. On se rend compte à présent que ce qui constituait le seul moteur de son écriture durant sa bonne période, c’était la frustration sexuelle. Maintenant que ce problème est réglé pour lui, et qu’il est délivré de l’aliénation du travail, il n’a plus rien à dire. Reste seulement la précision du style, et l’acuité du regard, c’est-à-dire une conception extrêmement pauvre de la littérature.

13 septembre 2010

Le nouveau Houellebecq

      J’ai donc commencé le nouveau Houellebecq, La Carte et le territoire, et je suis atterré par l’unanimité critique autour de ce roman. Oui, Houellebecq est le plus grand écrivain français vivant, et de loin. Mais son dernier roman, que l’on présente comme son meilleur, comme un chef-d’œuvre de la littérature mondiale, est bien moins bon que les précédents. Houellebecq ne s’intéresse plus à la société, et tandis que l’on trouvait auparavant dans ses ouvrages des thèses très aiguës sur la mal-être contemporain, il ne décrit plus à présent que les errances apathiques d’artistes millionnaires, entourés d’écrivains people et d’attachées de presse. On sentait déjà cette inflexion dans son précédent roman, La Possibilité d’une île : il y était beaucoup question de voitures de luxe, de villas somptueuses, etc.
       Certes, Michel Houellebecq reste un très bon écrivain, souvent très drôle (par exemple lorsqu’il parle de lui-même). Son écriture, à la fois impersonnelle et toujours à la limite de l’ironie, possède un timbre unique dans notre littérature, malgré un certain relâchement perceptible à l’allongement des phrases. Mais il se dégage de La Carte et le territoire une terrible impression de vacuité, de gratuité, d’ineptie même parfois, qui appellent à modérer largement le jugement que l’on peut porter sur cette œuvre.
       D’où vient cette unanimité dans la louange de la part de la critique alors ? Tout d’abord, la critique est versatile, et après le bide de son film, elle était davantage disposée à se montrer positive. Mais, surtout, ce qui lui a donné cette impression de « chef-d’œuvre », c’est que, pour la première fois, Houellebecq a écrit un livre sans réelle nécessité intérieure. Il est plus ou moins heureux maintenant, et aurait pu écrire sans effort quelque chose de tout à fait différent. C’est précisément cette gratuité, qui, pour la critique, est le propre du littéraire, et qui, associée à l’application habituelle de Houellebecq, lui a semblé être la marque d’un grand livre. Houellebecq était inclassable, maintenant il rentre dans les clous, il rassure. Pauvre critique, aveugle au déclin d’un style, et sensible seulement à des formes de beauté qui ne choquent pas trop son conformisme…

6 septembre 2010

La Bible

      J’éprouve vraiment un plaisir infini à lire la Bible. Ou, plus précisément, l’Ancien Testament. Il y a quelque chose de proprement miraculeux dans l’histoire du peuple juif qui, en suivant sa voie, et sa la moindre volonté de prosélytisme, a conquis, par son livre saint, le monde entier. Il y a peu de textes plus épris de pureté et qui parlent plus intimement au cœur de l’homme que ceux que l’on trouve dans l’Ancien Testament. La morale qui s’en dégage est à la fois sublime et familière : il faut suivre sa voie (et sa loi) sans se préoccuper des autres ; il faut s’abandonner à la volonté divine, qui agit toujours avec justice.

5 septembre 2010

François Bayrou

      J’ai vu François Bayrou hier soir à la télé. Cet homme a un destin. Je l’ai toujours su. J’ai voté pour lui en 2007 et je revoterai pour lui en 2012. Il suit sa voie, quand tous les autres se soumettent aux circonstances. Or, qui se soumet aux circonstances sera brisé par les circonstances. Il est juste dommage qu’il faille passer par la honte présente pour que les Français ouvrent enfin les yeux. Mais cela a toujours été ainsi ; comme disait François Mitterrand : « Les Français doivent mesurer concrètement l’impossible pour évoluer vers le souhaitable. »

3 septembre 2010

Voltaire

      Voltaire m’exaspère, et pourtant c’est sans doute mon écrivain français préféré. Je ne me lasse pas de le lire et de le relire, et je reviens toujours à lui. Ce que j’apprécie chez lui, c’est sa concision. Il dit ce qu’il a à dire, emploie toujours le mot juste, et « passe outre », comme dirait Gide. En cela, c’est un vrai classique, ce qui est d’ailleurs conforme à ses propres goûts littéraires, puisqu’il plaçait Racine plus haut que tout. Tant que la langue française existera, l’œuvre de Voltaire en sera l’une des expressions les plus parfaites, à n’en pas douter.
      Quel dommage que cet esprit si clair, cette intelligence si vaste (tout l’intéressait, et en particulier l’histoire des hommes) se montre si souvent mesquin ! Il ne peut pas s’empêcher d’attaquer ses adversaires (pour la plupart des jésuites aujourd’hui totalement oubliés), de s’embarquer dans des controverses mineures sur lesquelles il revient ouvrage après ouvrage. Sa passion pour la polémique envahit tout, sa correspondance, ses traités philosophiques, et même ses contes. Et avec quelle légèreté il envoie valser ce qu’il ne comprend pas, comme la religion… La Bible n’est pour lui qu’un fatras d’incohérences et de monstruosités. Il est resté complètement insensible au charme de La Nouvelle Héloïse, qu’il a attaquée de manière à la fois méchante et puérile. Non, vraiment, j’ai souvent envie de jeter le volume par la fenêtre de dépit lorsque je le lis. Et pourtant, tout cela doit être lié. Un Voltaire nuancé, un Voltaire détaché serait sans doute plus fade et, en définitive, moins bon écrivain.

1 septembre 2010

La voie

      L’important, c’est de trouver sa voie. Quoi qu’on fasse, on sera toujours confronté au mépris et à l’indifférence. C’est une erreur de croire qu’en se conformant à un modèle donné, on suscitera tout d’un coup l’adhésion universelle. Il n’est pas dans la nature humaine d’estimer spontanément ses semblables, de toute façon. Il faut trouver sa voie, et s’y tenir. C’est la seule façon d’obtenir la paix intérieure, et d’avancer vers la réalisation de soi-même. 

29 août 2010

Sagesse et littérature

      L’homme inspiré est sans œuvre ; l’homme saint ne laisse pas de nom.
                                                                                                          
      Tchouang-tseu.
 
      Je me demande si la sagesse ne s’oppose pas à la création littéraire. Dans toutes les traditions, le silence est l’apanage du sage. Le moteur de l’écriture, c’est le déséquilibre, l’insatisfaction. Le fanatisme excite la verve de Voltaire comme Napoléon III celle de Hugo. J’aspire à devenir sage, mais je ne peux me résigner à être totalement silencieux. Renoncer à la parole, c’est renoncer à son identité, et je ne suis pas encore assez asiatique pour ça. Gide disait que c’est en assumant autant que possible ses particularités que l’on pouvait produire une œuvre intéressante. Peut-être avait-il raison. Mais c’est dans la direction inverse qui je tends de toutes mes forces : écrire en me détachant le moins possible de la vie telle qu’elle est, de la vie qui me précède et m’ignore.

17 août 2010

Woody Allen et la morale

      Cet homme n’avait aucun respect pour ce qui était sacré à mes yeux : Dieu, l’âme, la famille et mes objectifs les plus intimes.

      Mia Farrow.

      Il n’y a aucune morale chez Woody Allen. C’est même là le message explicite de tous ses films, et en particulier de certains de ses derniers opus comme Match point ou Whatever works. Pour lui, la vie n’a pas de sens, tous les idéaux spirituels ne sont que des chimères.
       En théorie, un tel point de vue m’est très antipathique. Et pourtant, c’est justement ce côté nihiliste, corrosif, qui me plaît dans ses films. Je crois que cela tient – outre à son talent – à la nature de son art : le cinéma est un art objectif, un peu froid, extérieur, qui s’accommode mal en général des bons sentiments. Dès que l’on y cherche à émouvoir, la mièvrerie et le ridicule menacent. En revanche, il se prête très bien à la critique et à la satire, ainsi qu’à l’ironie. Rien ne lui est plus aisé que d’établir une certaine distance avec ce qu’il représente. C’est même là que son art à proprement parler commence – en deçà, il ne s’agit que d’illustration. Ainsi, le cas de Woody Allen confirme une vieille leçon : que l’art doit s’affranchir de la morale et n’obéir qu’à ses propres règles.

15 août 2010

La Voie du ciel

       Le ciel, cette grande urne, adorable et profonde, /Où l’on puise le calme et la sérénité. 
                     
      Victor Hugo, Les Rayons et les ombres.

      Le ciel est l’image fidèle du mental. En surface, il change tout le temps. Mais en profondeur, il est immuable et immaculé.

13 août 2010

Philosophie de vie

      Il y a un point commun entre tous les gens malheureux que je connais : ils ont une mauvaise philosophie de vie, ou pas de philosophie du tout. Le pire est de n’en pas avoir du tout : on flotte alors au gré des circonstances, complètement soumis aux données sensibles, et l’on cause à la fois son propre malheur et celui de son entourage.
       Un autre cas, moins fréquent, est celui de ceux qui se sont construit une philosophie face à l’existence, mais une philosophie fausse. En se raccrochant à leurs certitudes comme à une bouée, ces personnes arrivent plus ou moins à tenir le coup sur la distance. Mais elles sont sans arrêt confrontées aux démentis que leur oppose la réalité, réalité qu’elles occultent ou qu’elles arrangent à leur convenance, ce qui rend leur compagnie assez lassante.
       La vie n’est pas une chose difficile si on sait la prendre par le bon bout. Il est assez désespérant de constater à quel point les gens se soucient peu en général de comprendre les grandes lois de l’existence et de s’y conformer. Tous les bons livres de philosophie, toutes les sagesses et toutes les spiritualités disent pourtant la même chose : réfrénez vos désirs, soyez sans égoïsme, apprenez à vous connaître et à devenir maître de vous-même. C’est si simple – mais on cherche toujours les complications.

11 août 2010

Voltaire ou Lao-tseu ?

      Dans L’Homme aux quarante écus de Voltaire, je lis la phrase suivante : « Lisez, éclairez-vous ; ce n’est que par la lecture qu’on fortifie son âme. » Or, dans le Tao-tö king de Lao-tseu, on peut lire ceci : « Abandonner l’étude c’est se délivrer des soucis. »
       Longtemps j’ai cru que seule la quantité de lecture effectuée par une personne déterminait sa qualité intellectuelle et même morale. L’expérience m’a appris que je me trompais. Certes, il y a de fortes chances pour qu’une personne qui ne lit jamais soit imbécile et sans intérêt. La lecture ouvre l’esprit et détache l’individu de ses préoccupations primaires. Un peu (et même beaucoup) de lecture est donc indispensable pour former une personnalité riche et épanouie.
       Mais il y a un danger de la lecture : celui de se perdre dans les livres, et de ne plus penser par soi-même. L’âme a besoin de silence pour se connaître. Elle a besoin d’activité pour mesurer ses forces. Il lui faut donc s’écarter des livres, pour mieux les retrouver ensuite.
       Au fond, tout, dans la vie, est une question d’équilibre. C’est pourquoi la vie est un combat perpétuel : on ne peut jamais se reposer dans une attitude particulière pour en exiger l’épanouissement. Saisir l’injonction de chaque instant, et savoir mesurer ses efforts, voilà tout l’art.

9 août 2010

La pitié

       Dans L’Art de la méditation de Matthieu Ricard, je lis la phrase suivante :

      L’amour altruiste et la compassion sont les fondements du bonheur authentique.

       Or, dans la Bhagavad-Gita, on peut lire :

       Tu t’apitoies là où la pitié n’a que faire, et tu prétends parler raison. Mais les sages ne s’apitoient ni sur qui meurt ni sur qui vit.

       Et dans le fameux Tao-tö king de Lao-tseu :

       Le saint n’a point d’affections humaines ; le peuple lui est comme chien de paille.
         
       Et, de fait, le bouddhisme primitif ne prônait aucunement la compassion, et ne prétendait pas être autre chose qu’une voie de salut individuelle. C’est le bouddhisme dit du Grand Véhicule, apparu plus tard, qui a placé la compassion au centre de son éthique. C’est que la pitié, loin d’être reconnue comme un principe spirituel authentique, était condamnée par toutes les religions et toutes les sagesses de l’Antiquité. Platon, les stoïciens, Cicéron, Epictète, tous nos philosophes antiques condamnaient fermement la pitié, la considéraient comme une faiblesse et un danger pour l’individu. Ils estimaient que le premier devoir de chacun, envers soi-même comme envers les autres, était d’être sain, et assimilaient la pitié à une maladie de l’âme. Puis le christianisme est arrivé, qui a changé la donne…
       Faut-il promouvoir la pitié et la compassion ? Il est bon de savoir, en tout cas, qu’il ne s’agit nullement là d’une valeur universelle, reconnue par toutes les voies de sagesse qui se sont offertes aux hommes au cours des âges.

7 août 2010

Les circonstances contraires

      Les circonstances contraires sont l’état naturel de la vie. Quiconque s’intéresse à l’histoire des hommes sait que pour l’immense majorité d’entre eux l’existence n’a été qu’une longue lutte contre les circonstances. Pourquoi ceci devrait-il être différent à notre époque ? Si l’on part dans la vie avec l’idée que les choses doivent nous sourire, que le bonheur nous est dû, l’on se condamne au malheur. Plus on croyait au bonheur, plus on est malheureux, et moins on a de ressources pour faire face.
       La nature, pourtant, n’a pas mal fait les choses. En dotant chaque individu d’une subjectivité autonome, elle a donné à chacun la possibilité de maîtriser sa propre expérience. Il ne tient qu’à nous de mettre de l’ordre, de la probité et même de la beauté dans notre manière de gérer notre mental. Si le bonheur dépend des faveurs de la fortune, la liberté, elle, est entre nos mains.

5 août 2010

L'oubli de la littérature

      Ils reviendront, ces dieux que tu pleures toujours.

      Nous vivons une époque extraordinairement peu littéraire. Dans un pays comme la France, c’est une situation à peu près sans précédent. Il faut sans doute remonter jusqu’au Premier Empire pour retrouver une telle indifférence envers la chose littéraire. La raison en est simple : l’idéologie qui domine actuellement a fait de l’instantané sa valeur suprême. Tout doit être immédiat, et tout doit être tangible. Or la littérature s’épanouit dans le temps. Dans une époque sans mémoire et sans perspective, il n’y a pas de place pour elle.

       Mais je ne m’en fais pas. Cette situation ne durera pas. Le désir de la vérité et le besoin d’exprimer les choses de manière adéquate sont trop profondément ancrés au cœur de l’homme pour disparaître. Comme disait Nerval : « Le temps va ramener l’ordre des anciens jours. »

3 août 2010

Le Rivage des Syrtes

      Je lis Le Rivage des Syrtes. Ce n’est pas là la littérature que je préfère, ou plutôt cela ne correspond pas à la conception que je me fais de ce que devrait être la littérature Le style parfait, pour moi, ne doit présenter aucun apport par rapport à la pensée : il est l’expression la plus juste et la plus concise possible de ce que l’on à a dire. C’est en cela que réside son harmonie, et en rien de plus. Le style de Gracq, lui, apporte quelque chose de plus. Le texte affiche ostensiblement son caractère littéraire. L’idée n’est plus pure, il s’y ajoute de la matière.
       Et certes, c’est sans doute moi qui ai tort : c’est sans doute la matérialité des mots, leur choix en fonction de cette matérialité, qui confère à un texte une qualité spécifiquement littéraire. C’est en cela que Flaubert, Hugo, Mallarmé font de la littérature. Mais j’ai une vision plus archaïque des choses, celle des époques (le dix-huitième siècle de Voltaire entre autres) où la distinction entre le message et l’expression n’était pas encore faite, ou, plus exactement, où l’expression était totalement subordonnée au message. Gracq, au bout de quelques pages, m’ennuie et me tombe des mains. Je ne suis pas insensible à son travail stylistique, je le distingue, il agit sur moi lors de la lecture, – mais tout cela ne me cause aucun plaisir, je n’arrive pas à en nourrir mon appétit littéraire.
       Je touche sans doute là du doigt la nature de la distinction entre les « classiques » et les – disons – « avant-gardistes ». Les avant-gardistes cherchent sans cesse à renouveler le langage, à lui imposer leur empreinte, tandis que les classiques tendent à faire oublier le langage, qui se dissout dans un parfaite adéquation avec ce qu’il veut exprimer.