27 mars 2024

Fragments, mars 2024

- Rochedy représente la plus grande trahison qui soit à l'égard de Nietzsche : il le « naturalise ». S'il y a bien une école de pensée que Nietzsche n'a cessé de dénigrer tout au long de son œuvre, c'est bien le scientisme naturaliste. Ses jugements sur Darwin sont à cet égard éloquents : il considérait la pensée de Darwin comme une pensée mesquine, une doctrine de boutiquier anglais. Rien n'est plus éloigné de la pensée de Nietzsche qu'une théorie naturaliste du surhomme, de la supériorité des forts sur les faibles, etc. Contrairement à Schopenhauer, Nietzsche n'a rien d'un dogmatique de la nature. Il se situe dans la sphère culturelle, exclusivement. Mais Rochedy offre à une certaine droite ce qu'elle aimerait trouver chez Nietzsche : une doctrine darwinienne de la légitimité des forts, le lion contre la gazelle, etc. C'est l'horizon intellectuel indépassable de cette extrême-droite des réseaux sociaux, enfermée, on se demande bien pourquoi (et sur ce plan-là ils se valent tous), dans une obsession du biologique, dans un matérialisme borné, dans une inculture crasse sur les plans littéraire, philosophique et philologique. Et Rochedy effectue cette opération vraiment méprisable sur le plan intellectuel : il naturalise Nietzsche, il le rabougrit au niveau des obsessions de l'extrême-droite, il offre à l'extrême-droite, au prix d'une malhonnêteté intellectuelle dont on trouve peu d'équivalents, le Nietzsche dont elle rêve. Nietzsche qui aurait instantanément décelé chez Rochedy ce qu'il est vraiment : un béotien, un homme à courte vue, un symptôme de la décadence européenne, un spécimen achevé du « dernier homme ». Et bien entendu cela fait du clic, cela fait des vues. Cet exemple illustre à lui seul la misère du débat intellectuel sur les grandes plateformes du Net (YouTube et Twitter en particulier).

- Nietzsche accuse Wagner d'être un décadent. Mais Nietzsche lui-même est un décadent. Tout le dix-neuvième siècle est décadent. La ligne fine, nette et ferme de l'esprit européen est morte à la Révolution, et tout est plongé dans la confusion depuis.

- Dragon Ball : Ce qui rend ce manga unique, c'est que l'on a toujours impression que l'accroissement de la puissance de Goku est retranscrite, conquise sur le papier, devant nos yeux. Ce n'est nullement quelque chose de gratuit, de simplement montré, mais l'on sent presque charnellement que l'auteur a dû personnellement en passer par là, par toute cette ascèse, par tous ces efforts, et que la transcription sur le papier n'est au fond que la traduction de processus internes parfaitement authentiques (et vraiment héroïques pour le coup). Le lecteur a vraiment l'impression de sentir dans ses veines cet accroissement de puissance, cette patiente accession au statut de super Sayan. C'est une expérience quasi interactive, qui porte ses fruits dans la vie du lecteur (en termes de confiance en soi, de soif de dépassement, etc.). Il me semble que c'est là la clé de la réussite des très grands raconteurs d'histoire : il faut vivre au plus profond de soi ce que l'on raconte. C'est exactement ce que l'on ressent à la lecture des meilleurs Stephen King : ce n'est pas une terreur fictive à laquelle il nous donne accès, mais une terreur vécue, dépassée par l'auteur certes, mais vécue néanmoins, et dont on sent au plus profond de ses tripes la parfaite authenticité.

- Du point de vue de la langue, Voltaire est l'opposé de Baudelaire. Chez Baudelaire, chaque mot est un coup de massue, on ne peut jamais prévoir sur quoi on va tomber, et il prend plaisir à maltraiter son lecteur en choisissant régulièrement des termes exotiques, inattendus. D'où cette tension permanente lorsqu'on lit Baudelaire, cette impression de lourdeur, de densité minérale. Voltaire est quant à lui d'une modestie extraordinaire dans son usage de la langue. Il ne dévie jamais, ne cherche jamais à se distinguer, à se faire remarquer. Il choisit toujours le terme le plus propre, à la fois exact et neutre, et sa prose se déroule comme le clair filet d'un ruisseau de montagne. On le lit comme on respire, sans y prendre garde.

- Rigoletto de Verdi (d'après Victor Hugo) : il est fascinant de voir comme le romantisme (et Shakespeare avant lui), en s'affranchissant complètement du christianisme, retombe précisément sur ce dont le christianisme avait libéré l'humanité : la malédiction du déterminisme familial.

13 mars 2024

Goku



Pastiche de Gérard de Nerval

Je suis Gokù, – le Blond, – le Volant, – l’Orphelin,
La Saïen justicier à la queue sectionnée ;
L’innocente Bulma et le chauve Krilin
Seuls virent les premiers chocs de ma destinée.

J’ai vaincu, tu le sais, Paï-Paï et Tenshinhan ;
Moi seul pus chevaucher le nuage magique ;
Mon épouse Chi-Chi me donna Songohan,
Fils maître comme moi du Kameha mystique.

J’ai rencontré Kaïo au Royaume des morts ;
J’ai conquis sur Namek le prix de ma souffrance ;
Demain je vaincrai Cell sans peine et sans remords…

Sache enfin, Végéta, que durant mon enfance
J’ai trois fois réuni les boules de cristal
Et du dragon Shenron crié le nom fatal.