18 novembre 2015

Francis Scott Fitzgerald : Gatsby le magnifique



       - Je ne lui en demanderais pas trop, risquai-je. On ne peut pas revivre le passé.
       - Pas revivre le passé ? s’écria-t-il, incrédule. Mais si, bien sûr qu’on le peut !

        Lu, il y a quelques semaines déjà, Gatsby le magnifique, le roman culte de Francis Scott Fitzgerald. Roman déliquescent et décadent, jusque dans son style, mais qui m’a laissé une impression profonde, et dont certains passages m’ont frappé par leur grande acuité psychologique. Fitzgerald a parfaitement saisi, et dépeint avec une grande lucidité, l’impasse absolue que représente le fait d’idolâtrer quelqu’un d’autre. Qu’est-ce qui caractérise Gatsby ? C’est « une prodigieuse disposition à l’espoir, une aptitude au romantisme dont je n’ai jamais rencontré l’équivalent chez personne, et que je ne retrouverai sans doute jamais. » Or, d’après Fitzgerald, de telles dispositions ne peuvent avoir qu’une seule issue : la mort. Nous rejoignons ici l’enseignement de toutes les spiritualités, pour lesquelles l’adoration de la créature, et non du créateur, constitue la voie royale vers la damnation. Cette élégance désabusée m’a fait songer à La Prisonnière de Proust : même obsession pour la femme aimée, même enfermement mental, même désespoir foncier. Et la grande finesse de Fitzgerald consiste à avoir rendu son Gatsby parfaitement conscient des limites de Daisy : Daisy n’est au fond qu’une pleurnicheuse égoïste, tout comme Albertine n’est qu’une gamine un peu vicieuse. Ce qui joue dans la genèse du sentiment amoureux, ce sont des riens, une mèche de cheveux, une inflexion de voix, la manière de s’étendre sur un sofa…
       Tout cela pose de manière aiguë la question de la nocivité potentielle de l’œuvre d’art. Pour Platon, la représentation des passions néfastes renforce ces mêmes penchants chez le spectateur, d’où la nécessité d’expulser les poètes de la cité idéale. On pourrait soutenir au contraire que lire un tel roman revient à assister, bien à l’abri sur la terre ferme, au naufrage du navire des illusions, et permet ainsi de mieux se garder des écueils inhérents à notre faible nature humaine. Roméo et Juliette ont-ils fait plus de passionnés ou de continents ? J’ai ma petite idée sur la réponse…