22 juillet 2021

Epître aux Français



Frères, c’est par sollicitude et dans l’angoisse que je vous écris. La nation sainte, la fille aînée de l’Église a perdu ses repères. Elle se complaît dans des luttes stériles, dans des propos sans fin, emplis de rancœur. Pour vous, recherchez la vérité, attendez le Seigneur, méditez la Parole de Dieu, nourrissez-vous des exemples des saints de votre époque, en particulier de celui de saint Jean-Paul II qui a laissé un trésor d’enseignements à son Église. Alors vous retrouverez la bienveillance envers votre prochain, une bienveillance fondée non pas sur des émotions fugitives, mais sur la vérité qui ne passe pas.
Je vous le dis, frères, la France a noué avec le Christ un lien que rien ne pourra briser. Souvenez-vous de ces journées de 2013, lorsque les manifestations contre le mariage pour tous ont pris une telle ampleur. Jamais, de mémoire d'homme, on n'avait vu de telles marées humaines emplir les rues. Si une simple loi a pu générer de telles manifestations de ferveur, alors que verrons-nous lorsque le Fils de l'homme, notre Seigneur, fera son retour promis ? En vérité je vous le dis, il suffira que son talon effleure le sol de la terre, et des croyants sortiront de chaque rue, de chaque maison.
Ne vous figurez pas être sans péchés. En vérité je vous le dis, celui qui croit être sans péché s'illusionne et se ferme le chemin de la guérison.
Enseignez l’humilité à vos filles et à vos sœurs. Autrefois, c’étaient les princes du monde qui opprimaient leurs peuples. Une nouvelle guerre est en cours, mes frères, et c’est la femme qui est au centre de toutes les luttes et de toutes les convoitises. En vérité je vous le dis, le diable a choisi son terrain de combat pour ce siècle nouveau, et c’est la femme qu’il a choisie. Que rien ne détourne votre cœur de Dieu, à qui seul vous rendrez un culte. Les conditions de la société ont changé, la force et l’intelligence sont dévaluées, seules les qualités relationnelles comptent, la technique atomise tout, que ces conditions nouvelles qui donnent à la femme un pouvoir accru ne gonflent pas son cœur d’une vaine gloire. En vérité ce monde passera. C’est un ciel nouveau et une terre nouvelle qui nous sont promis. La femme au cœur gonflé d’amour de soi-même noue ses propres chaînes, elle sera l’objet de la violence de l’homme, il ne faut pas qu’il en soit ainsi.
Certaines femmes ont pris chez vous une assurance démesurée. Elles parlent comme des docteurs, elles méprisent et insultent leurs contradicteurs, leurs discours sont sans bornes, sans discernement, sans la moindre tenue. Mes frères, il ne faut pas qu'il en soit ainsi. La parole doit être rare, pour les femmes comme pour les hommes, et la dignité doit être la couronne de tous les croyants, et pour les femmes plus encore que pour les hommes, car pour la femme le jugement est sans mansuétude, sans miséricorde chez les fils d'Adam. Gardez toujours la réserve qui sied à des frères et sœurs en Christ.
Frères, ils sont nombreux ceux qui proclament avoir découvert les mystères de Dieu. Leurs propos sont des filets et des pièges, ne vous y laissez pas prendre. Méfiez-vous surtout des élucidations  de type historique, archéologique, et de tout ce dont se repaît la vaine gloire des hommes. Ils pensent avoir mis la main sur le passé, et voyez avec quelle assurance ils font parler les pierres et les parchemins ! Ils se rangent du côté des adorateurs de pierres sculptées et dénigrent ceux qui ont mis leur confiance dans la Parole de vie. Ce qu'ils veulent, c'est détruire votre foi. Mais la vérité de Dieu ne se trouve pas dans le passé, ses fruits appartiennent à l'avenir et c'est à vous qu'il revient de les faire germer, puisque c'est vous qui êtes le temple de l'Esprit.
Ne vous laissez pas séduire par les discours trompeurs de ceux qui prétendent avoir percé les derniers secrets de la nature. Ils ramènent tout le mystère à une formule unique, à une force prétendument universelle, et ils entourent leurs théories de tout le prestige de la science. Ce qu'ils révèlent surtout, c'est leur propre inquiétude, leur doute, leur angoisse existentielle, et leur recherche désespérée d'un principe matériel sur lequel ils pourront s'appuyer. Pour vous, soyez humbles, espérez dans le Christ qui peut seul vous conduire vers le Père, vous les simples, vous les pauvres de cœur, vous qui ne défigurez pas la vérité par des discours savants.
Méfiez-vous aussi de celles et de ceux qui se sont lancés dans la quête d'une vaine glose, de symboles occultes et de signes astrologiques. Ils rejettent le Christ notre Seigneur de tout leur être. Ils se disent en quête de lumière, mais ils tâtonnent dans les ténèbres et la confusion. Leur cœur est rempli d'orgueil, ils rendent un culte à la créature et oublient le Créateur.
Frères, surveillez votre langue, modérez vos paroles, ne les employez pas pour heurter votre prochain. Nous serons jugés plus sévèrement sur nos paroles que sur nos actes. En tant que croyants, vous avez une responsabilité supplémentaire à cet égard, car à travers votre bouche c'est l'Esprit lui-même qui doit parler. Les nations font profession de nous mépriser, mais en réalité elles scrutent chacune de nos paroles avec angoisse, car elles savent que c'est le chrétien, et lui seul, qui est le dépositaire de l'espérance en ce monde. Ne donnez pas au monde motif à vous juger, mais guidez-le vers la justice et la vérité avec l'autorité qui vous a été conférée par notre Père commun.
Respectez les autorités et priez pour elles, suivant en cela l'enseignement de mon frère bien-aimé Paul. J'ai malheureusement pu observer chez certains d'entre vous une attitude de rancœur et d'hostilité à l'égard de nos gouvernants, et des mots empreints de violence et de colère. Frères, ce n'est pas ainsi que vous devez agir. Nos gouvernants ont fait de bonnes choses en ces circonstances terribles, ils ont souffert avec les souffrants, ils n'ont pas économisé leur temps ni leurs efforts. Ils ont besoin de vos prières. Alors le Seigneur sera à même de vous agréer, en voyant que vous aussi vous avez apporté votre pierre à l'édifice.
Veillez sans cesse pour ne pas être surpris, car vous ne connaissez ni le jour ni l'heure.
Les frères qui sont dans la grande ville vous saluent.

1 juillet 2021

André Gide : Les Faux-Monnayeurs



Relu Les Faux-Monnayeurs d’André Gide. Impression globale assez négative, je dois le reconnaître. Bien sûr, cela se lit bien, on retrouve la langue parfaite de Gide, son style si correct, si précis, qui ne pèse jamais. Le génie français dans sa quintessence, fait d’intelligence, de clarté, d’ironie irrévérencieuse. Mais des côtés très agaçants malgré tout. Tout l’ouvrage est tourné contre le personnage de Passavant, le rival d’Edouard, rival à la fois littéraire et auprès des jeunes garçons. Passavant, c’est bien sûr Cocteau, l’étoile littéraire des années vingt, brillant, superficiel, vaniteux, couronné de succès, homosexuel de surcroît. La ficelle est vraiment grosse, et très insistante. D’une manière générale, tout le traitement des personnages m’a déplu. On sent que Gide a voulu rivaliser avec Dostoïevski, et il échoue précisément là où celui-ci excellait, dans le domaine des personnages. C’est même surprenant chez un homme aussi avisé que Gide, et qui a écrit plusieurs études de qualité sur Dostoïevski. Chez Dostoïevski, les personnages n’agissent jamais comme on s’y attendrait, tout en restant parfaitement cohérents avec eux-mêmes. C’est là son tour de force, presque miraculeux. Ivan Karamazov ne parle jamais de façon à révéler le fond de son être, et il n’en est que plus inquiétant. Stravoguine est toujours extraordinairement correct, sensé, maître de soi, dévoué même, mais il reste d’un bout à l’autre du roman ce personnage machiavélique et malfaisant. C’est cette disjonction entre ce que l’on est et ce que l’on fait, que nous connaissons tous au quotidien, qui rend ces personnages vivants. Chez Gide, et dans le roman même qu’il a voulu complexe, ténébreux, polyphonique, les personnages sont tout d’une pièce, c’en est désolant : Molinier est un fat, Profitendieu est faible, le pasteur Vedel est un prêcheur abominable coupé des réalités, le vieux La Pérouse est gâteux, etc. Chacun de leurs propos est redondant par rapport à ce qu’ils sont. En face de ces marionnettes, Edouard (c’est-à-dire Gide) apparaît comme un modèle de subtilité, de souplesse, d’ouverture d’esprit. Les personnages féminins sont toujours nobles, élevés, victimes de la société, bien plus intelligentes que les hommes falots qui les accompagnent et les font souffrir. Comme tout ceci me déplaît…
On sent déjà la pensée existentialiste qui pointe : apologie de l’individu, de la sexualité, de la rébellion, contre la bigoterie, l’hypocrisie, etc. Et bien entendu, tout cela reste au niveau de la liberté individuelle, comme si les choix s’opéraient hors de toute détermination sociale, comme si l’individu flottait dans la pure liberté.
Au fond, c’est un roman très parisien, et c’est ce qui me gêne. On sent Gide sans cesse désireux de se frotter à Dostoïevski, de sonder les profondeurs de la nature humaine. Le problème c’est que cela paraît gratuit, léger, un pur exercice formel, dénué de poids ou d’enjeu réel. Dostoïevski a vécu, il a été au bagne, s’est marié plusieurs fois, a eu des enfants, a eu des dettes, a été alcoolique, etc. Il ne plaisante pas. Il sait que la vie n’est pas drôle. Il a parfaitement perçu la dimension existentielle de la Bible, sa vérité, au-delà des postures bigotes. Gide, malgré toute son intelligence, reste un intellectuel de Saint-Germain-des-Prés, un homme de salons, de coteries littéraires, et cela se sent dans Les Faux-Monnayeurs. Ce roman reste pour lui un exercice, détaché de lui-même, comme en témoigne le Journal des Faux-Monnayeurs, comme en témoigne le fait qu’il n’a pas eu de véritable suite dans sa carrière. Le Gide que je préfère, c’est celui des récits brefs et impeccables, cristallins, gonflés d’idéal, comme Les Nourritures terrestres, La Porte étroite ou Thésée. Au fond, et malgré tous ses efforts, Gide n’est pas russe, il est terriblement français.