29 octobre 2015

L'oubli tragique de l'humanisme antique


       Quand je songe à Plutarque, mon cœur se gonfle de reconnaissance. A travers son regard, tous les sentiments bas sont calcinés, la vue se purifie, les lignes d’action apparaissent avec netteté, le cours des événements devient intelligible, prévisible. Ce que Plutarque nous enseigne, c’est que la nature humaine est véritablement la clé de la compréhension de l’histoire. Qui connaît les hommes peut prévoir leur destin. Et, à cette lumière, c’est vraiment un gâchis sans nom, digne de susciter la commisération horrifiée des générations futures, que la politique française de ces huit dernières années. Comment le peuple se serait-il comporté devant les urnes si l’humanisme antique, cette connaissance si fine des ressorts de la nature humaine, lui avait été familier ? si Plutarque avait occupé dans la conscience collective la place qui était la sienne jadis (que l’on songe à ce qu’il représentait pour Montaigne, pour Rousseau), avant que la perte de repères de notre époque ne nous eût plongés dans un présent sans mémoire et sans perspectives ? Essayons de lire la politique française de ces dernières années à travers le prisme de ce savoir oublié.
       Et tout d’abord, comment penser qu’un homme factieux comme Clodius, cupide comme Crassus, perfide comme Jugurtha, démagogue comme Cléon et versatile comme Alcibiade, comment penser qu’un tel homme pourrait avoir une autre fin que la leur ? Comment le peuple français, s’il avait eu encore des lettres, aurait-il pu confier le pouvoir à un tel homme en 2007 ? Il s’en est suivi pour la France exactement ce qu’il devait s’ensuivre, exactement ce qui s’est passé dans le cas d’Athènes hypnotisée par Alcibiade : ruine, perte de prestige, perte de la suprématie continentale, génération sacrifiée.
       Maintenant, passons à l’élection suivante. Comment penser qu’un homme qui n’a jamais exercé la moindre responsabilité, qui n’a jamais été ministre (!), un homme paresseux, sensuel et inexpérimenté comme Vitellius, comment penser qu’un tel homme pourrait mieux réussir que ce dernier ? Mais que s’est-il donc passé dans la tête des Français pour qu’ils aient espéré trouver leur salut entre de telles mains ?
       A présent, en nous appuyant toujours sur Plutarque, tentons de discerner l’avenir, de tracer le portrait de l’homme qui est appelé à reprendre les rênes de l’Etat et à le remettre enfin sur le chemin de la grandeur et de la prospérité. Comment ne pas voir qu’un homme qui a perdu son père dans son enfance comme Jules César, qui a commencé dans la vie en labourant son champ comme Caton l’Ancien, qui est bègue comme Démosthène, pieux comme Numa Pompilius, intègre comme Aristide, inflexible comme Caton d’Utique, prévoyant comme Fabius Maximus et conscient des enjeux vitaux de sa patrie comme Périclès, comment ne pas voir qu’un tel homme, de manière aussi inévitable que le soleil à se lever le matin, est destiné à gouverner et à imprimer sa marque sur son pays ? Je m’arrête là, il y a un certain degré d’évidence qui ne permet plus à l’expression de se manifester.

22 octobre 2015

Le Grand Automne

      Now they will know why they are afraid of the dark. 

                                                                   Thulsa Doom 

      Et voilà. Nous y sommes. Maintenant, malheureusement, les choses sérieuses vont commencer. L’infinie connerie que les électeurs français ont manifestée lors des deux dernières élections présidentielles en réussissant à ne pas voter pour le seul candidat sérieux va trouver son juste châtiment. Le temps des prophéties s’achève. Nous entrons dans le temps de la souffrance. Eh bien, souffre, pauvre France, flambe, tu l’as mérité. L’aveuglement de deux printemps doit être expié par la terreur d’un hiver sans fin. La situation ne s’améliorera pas. Le désarroi et la douleur ne cesseront pas, ils vont croître dans la vie de chacun, inéluctablement, comme les ténèbres, jusqu’à tout recouvrir, jusqu’à tout submerger. Aucune lueur ne pointera à l’horizon tant que les incapables ne quitteront pas le pouvoir, tant que l’ordre naturel ne sera pas rétabli, tant que les élus du destin n’accèderont pas aux postes qu’ils méritent, tant que Ségolène Royal et François Bayrou ne gouverneront pas.

15 octobre 2015

L'inévitable restauration du sacrifice


      Il n’y a rien de plus de plus stupéfiant, dans la réflexion philosophique et religieuse des derniers siècles, que l’oubli total dans lequel est tombée la pratique liturgique centrale de l’espèce humaine depuis des millénaires, à savoir le sacrifice. Un tel oubli semble indiquer que nous sommes vraiment dans la période sombre de l’âge sombre, celle où les vérités primordiales sont totalement offusquées, et qui précède immédiatement l’entrée dans un nouveau cycle.
      Le sacrifice est le rituel de base de toutes les civilisations connues. Il a été pratiqué à grande échelle par les Mésopotamiens, les Indiens, les Chinois, les Grecs, les Hébreux, les Celtes, les Romains, les Incas, les Mayas, les Aztèques, etc. Pendant des millénaires, le sacrifice était véritablement au centre de l’existence, et une société sans sacrifices était proprement inconcevable. C’est avec l’entrée dans la période dite « historique » que des préoccupations nouvelles, plus intellectuelles, émergent, et que le sacrifice, perdant peu à peu sa signification, est relégué à un statut purement formel, avant de disparaître tout à fait (du moins de manière visible). Les Modernes, obsédés par Dieu et par le sens de l’histoire, se sont complètement désintéressés de cet acte qui, selon les mythologies traditionnelles, est à l’origine du monde et de la vie.

       Il est rigoureusement impossible de transcrire dans le langage l’essence et la portée du sacrifice. On peut néanmoins indiquer quelques-unes de ses vertus évidentes :
      - Le sacrifice, par son caractère frappant, réalise immédiatement le but recherché par toutes les sagesses, à savoir la conscience accrue de l’instant présent, l’oubli des regrets à l’égard du passé et de la crainte à l’égard de l’avenir.
       - Le sacrifice libère de la peur de la mort et laisse entrevoir la nature fondamentale de l’être. En supprimant l’enveloppe matérielle et apparente de l’individu, il opère ce que les sagesses appellent le « retour à la racine », au noyau qui transcende le temps et l’espace, la vie et la mort. L’animal immolé n’est pas anéanti, il est au contraire rendu à son essence éternelle, à la divinité.
      - Le sacrifice rend possible l’action. En manifestant le caractère illusoire de la souffrance et de la mort, le sacrifice détruit toutes les appréhensions et les entraves qui retiennent l’homme dans l’accomplissement de son devoir. C’est notamment pourquoi il était pratiqué avant les batailles.
      - Le sacrifice soude la communauté. Tous les assistants sont liés par ce rite ultime, confondus en quelque sorte dans la substance unique de la victime.

     - Le sacrifice rétablit l'ordre cosmique. En purgeant l'atmosphère de tous les éléments de tension et d'agressivité, il permet de retrouver une vision apaisée et adéquate de la situation. (Quand il y a trop d'électricité dans l'air, la foudre frappe tôt ou tard. Le sacrifice consiste à orienter la foudre vers un paratonnerre.) 

      Il serait sans doute aisé de démontrer que tous les maux de notre société (désespoir, individualisme, nihilisme, violence, etc.) trouvent leur cause dans une conception dramatiquement limitée de l’existence, que le sacrifice avait justement pour but de prévenir. Notre époque sera peut-être considérée un jour comme une anomalie sans équivalent, une période où le fondement métaphysique de la cohésion sociale était complètement absent. (L’objection instinctive à la pratique du sacrifice, à savoir la répulsion à faire souffrir et à tuer des êtres innocents, n’est qu’une objection superficielle. La chair et le sang sont offerts sur les autels de toutes les villes et de tous les villages de France chaque dimanche sans que la prise d’une vie animale soit nécessaire.) Pourtant, malgré la cécité actuelle, il est très probable que le vingt-et-unième ou le vingt-deuxième siècle sera celui d’un retour à la norme. L’unification de l’humanité opérée par les moyens de communication, la multiplication des conflits meurtriers dus à convictions erronées, une certaine quête spirituelle qui se fait jour obscurément, de nombreux éléments indiquent que le temps approche d’une indispensable, inévitable et salvatrice restauration du sacrifice.