Si je devais définir le symbolisme en un mot, je dirais : solitude. Il suffit d’ouvrir un ouvrage emblématique de cette époque, comme Les Nourritures terrestres d’André Gide, ou les Poésies de Stéphane Mallarmé, pour que cette atmosphère si particulière de recueillement et d’isolement nous saute à la gorge. Jamais la littérature ne s’était autant approchée du mysticisme, de l’Absolu.
Même Gide, qui écrit pourtant en réaction au milieu symboliste dans lequel il a évolué, en est encore tout imprégné et le restera jusqu’au bout. Il ne réussira jamais vraiment à prendre le monde au sérieux, ni la politique, ni l’Histoire. Quelle est l’expérience humaine ultime, selon Les Nourritures terrestres ? C’est de se réveiller dans un champ, couvert de rosée, de se rouler dans l’herbe et de voir le soleil se lever. Cette plénitude se suffit à elle-même, et n’appelle nul compagnon pour la partager.
La solitude est le terreau commun à partir duquel toutes ces fleurs symbolistes peuvent s’épanouir. Ce sont des livres qui sont à peine faits pour être lus : Mallarmé, Gide n’auront qu’une poignée de lecteurs pendant des années, pendant des décennies, et leurs textes se déploient dans un silence sidéral, comme si la fin du monde avait déjà eu lieu. L’univers même qu’ils décrivent, dénué de polarité et d’enjeu, s’étiole languissamment vers on ne sait quel idéal. C’est le triomphe du vide, comme si l’extrême jouissance devait être recherchée, non dans la possession, mais dans le dénuement :
Ma faim qui d’aucuns fruits ici ne se régale
Trouve en leur docte manque une saveur égale.