21 avril 2016

Victor Hugo : Les Misérables


       Lu la première partie des Misérables de Victor Hugo (« Fantine »). Le statut unique de cette œuvre dans notre panthéon littéraire me semble tout à fait justifié. Si la France était un livre, ce serait Les Misérables, et nul autre. Pourtant, il se dégage de ce que j’ai lu je ne sais quelle lourdeur qui m’a laissé une impression assez pénible. Le manichéisme extrême de Hugo se déploie dans ce roman avec un manque de nuance encore plus prononcé qu’ailleurs, me semble-t-il. Si encore ce manichéisme coïncidait avec des vertus morales incontestables, cela pourrait passer, mais on sent les jugements de l’auteur sans cesse gauchis par des facteurs que l’on ne devine que trop aisément. L’inépuisable indulgence qu’il manifeste à l’égard de ceux qui ont chuté, on ne peut s’empêcher de penser qu’elle provient de ce qu’il se savait lui-même faillible, et plus que faillible. Cela donne lieu à une constante inversion des valeurs, avec l’idéalisation de Fantine, la fille publique, et de Jean Valjean, l’ancien forçat, tandis que l’officier Javert, dont il est précisé qu’« il n’avait aucun vice », est dépeint sous les traits d’un monstre froid, étranger à l’humanité. Ah ! que la source d’où proviennent de tels jugements est suspecte ! Et que l’idéal sec et immaculé de Platon semble grand à côté de ces perpétuelles concessions à la faiblesse humaine !
       Mais ce qui est sans doute le plus remarquable dans ce livre, ce que neuf critiques et lecteurs sur dix ne prennent même pas la peine de relever, c’est sa dimension spirituelle et métaphysique. La boue est sans cesse illuminée et transfigurée par des rayons d’une céleste lumière. Les réalités invisibles et suprêmes, Dieu, l’âme, l’au-delà, viennent toujours racheter ce que la misère a d’insupportable et d’injustifiable. Ce ne sont pas des abstractions pour Hugo, c’est le prisme à travers lequel il considère l’existence. C’est là l’indispensable clé de lecture de toute son œuvre et de toute sa vie, ce qu’il n’a cessé de répéter en prose et en vers durant ses soixante-cinq ans de carrière, et il faut tout l’aveuglement buté de notre époque pour ne pas le voir.