Lu Le Dieu venu du Centaure, de Philip K. Dick (1965). Sans doute le meilleur de ses romans que j’aie lu jusqu’à présent. Certains effets qui m’avaient paru renversants dans Matrix en 1999 figuraient déjà chez Dick, de manière bien plus profonde, plus de trente ans auparavant. La fin du roman est extraordinaire. Toute l’histoire est terriblement oppressante, et d’autant plus lorsqu’on lui attribue une signification métaphorique (la drogue introduite dans notre univers par Palmer Eldritch s’étend comme le Mal dans la Création divine). L’œuvre d’un auteur au sommet de ses facultés, totalement affranchi des codes de la science-fiction traditionnelle.
J’ai enchaîné avec Substance Mort (1977), œuvre plus autobiographique, publiée dans les dernières années de la vie de Dick, après sa « révélation mystique » de février 1974. Roman très sombre, sans doute un des plus sombres qu’il m’ait été donné de lire, sur l’absence totale d’issue que l’on peut trouver dans cette vie. Bob Actor n’a aucun moyen d’échapper à la drogue, à la schizophrénie, tout comme nous n’avons aucun moyen d’échapper aux contingences. Malgré cela, le roman n’est pas triste, du fait de la transposition fictionnelle dans un monde futuriste très cohérent, du fait également de l’incroyable lucidité de Dick, lucidité que l'on retrouve dans son opus magnum : SIVA. Comment peut-on être à la fois complètement dérangé mentalement et capable d’avoir un regard extérieur et lucide sur son état, c’est une chose que j’ai du mal à m’expliquer, bien que j’aie pu l’observer dans la vraie vie également. Roman difficile d’accès, à peu près privé d’intrigue, dépourvu d’un arc narratif appréhendable, reflétant la vision de la réalité d’un malade, un monde dans lequel ce sont les événements insignifiants du quotidien qui peuvent conduire à la folie et à la mort. La note finale de l’auteur est vraiment bouleversante, dans laquelle Dick énumère la liste de ses amis décédés ou rendus fous par leur consommation de drogue durant les années soixante : « Ce roman se proposait de parler de certaines personnes qui durent subir un châtiment entièrement disproportionné à leur faute. Ils voulaient prendre du bon temps, mais ils ressemblaient aux enfants qui jouent dans les rues ; ils voyaient leurs compagnons disparaître l’un après l’autre – écrasés, mutilés, détruits – mais n’en continuaient pas moins de jouer. Nous avons tous été heureux, vraiment, pendant quelque temps, coulant nos jours en douceur loin de la sphère du travail – mais tout ça fut si court… la punition qui suivit fut si terrible qu’elle dépassait l’entendement : même lorsque nous en étions les témoins, nous n’arrivions pas à y croire. »