Je me promenais l’autre jour avec Michel Houellebecq dans une grand ville de la Côte d’Azur. Nous marchâmes le long des plages, puis nous allâmes faire un tour en centre-ville. Après avoir regardé les boutiques de luxe, nous nous assîmes à la terrasse d’un café bondé. Michel me paraissait tendu, soucieux. Vers le soir, comme le soleil se couchait, nous retournâmes nous asseoir au bord de la mer. La plage se vidait peu à peu, le silence s’installait, à peine troublé par les éclats de voix provenant des restaurants un peu plus loin. Michel alluma une cigarette, soupira et prononça les paroles suivantes :
« Il n’y a dans cette société à laquelle tu appartiens que deux valeurs dominantes : l’argent, le cul. La valeur d’un homme se mesure strictement à son pouvoir d’achat, celle d’une femme à son potentiel d’attraction. Et c’est ainsi que le monde se perpétue. Gagner de l’argent, baiser, voilà les deux seules attitudes qui sont en cohérence avec la nature de l’homme telle qu’elle a été construite au vingt et unième siècle. Tout le reste revient à sortir du jeu. Or l’homme ne peut être heureux que s’il est en accord avec la société qui l’entoure. Il faut se sentir porté par quelque chose qui nous dépasse. Un résistant ne peut pas être heureux. Voilà pourquoi toutes tes voies spirituelles sont vouées à l’échec : le Tao, le bouddhisme, le christianisme, c’est chercher son bonheur tout seul, se poser à contre-courant de la société, comme le saumon du poème. C’est ton Platon qui avait raison : le bonheur doit être l’affaire du groupe, pas de l’individu. Au fond, il n’y a que deux sociétés possibles : la cité platonicienne, où la liberté individuelle est nulle, et où la contrainte générale aboutit au bonheur collectif ; et la société libérale narcissique dans laquelle nous vivons, dans laquelle personne n’est heureux, ni ceux qui se font broyer par la lutte consumériste-libidinale, ni la masse de ceux qui en sont exclus. En ce qui nous concerne, le choix a été fait il y a longtemps déjà, et ce ne sont pas les avancées technologiques récentes, qui reposent toutes sur la sensation, l’immédiateté et l’image, qui vont améliorer les choses, bien au contraire. Tu pourras être lucide, tu pourras être vertueux, mais jamais tu ne seras heureux. »
Et je regardais les volutes de fumée de sa cigarette s’élever vers le ciel obscur.