7 septembre 2018

Quentin Tarantino, la vengeance et le pardon



Pulp Fiction est plus qu’un film. Par-delà la virtuosité artistique et le souffle jubilatoire qui s’en dégagent, il y a dans cette œuvre toute une philosophie de l’existence, une philosophie de la liberté par rapport aux circonstances, de la « coolitude » pourrait-on dire, qui m’a profondément marqué et sur laquelle je reviendrai peut-être une autre fois. Mais c’est un autre thème que je veux traiter aujourd’hui, un thème central, à la fois du film et de toute la production de Tarantino : celui de la vengeance.
Rappelons brièvement l’histoire : Jules et Vincent se rendent dans un appartement miteux pour éliminer des associés de leur patron Marsellus, lesquels lui ont dérobé une mystérieuse mallette. Jules récite un passage de la Bible centré sur la colère divine (Ézéchiel tourné à sa sauce), tue les associés véreux et récupère la mallette. C’est alors qu’un miracle se produit. Un troisième larron surgit des toilettes et vide son chargeur sur Jules et Vincent. Pas une balle ne les atteint. Le troisième larron une fois envoyé rejoindre ses deux camarades, Jules s’arrête et demande à Vincent de reconnaître qu’il s’agit d’un miracle : « We just witnessed a miracle, and I want you to fucking acknowledge it ! » A partir de ce moment, qui est, dans la chronologie réelle (mais non dans celle du film), le point de départ du récit, une logique radicalement nouvelle, surnaturelle pourrait-on dire, se met en place : celle du pardon plutôt que celle – attendue, surtout dans le milieu de petits malfrats du film – de la vengeance. Dès lors, comme en une réaction en chaîne, tout le monde pardonne à tout le monde : Wolfe et Vincent finissent par se serrer la main, Jules épargne Ringo et Yolanda, Vincent tope avec Mia en signe de pardon pour la situation délicate dans laquelle elle l’a placé, Butch va sauver son ennemi Marsellus au lieu de le laisser dans la cave où il est en train de se faire sodomiser. L’ordre de la grâce succède à celui de la nature.
La puissance libératrice et vivifiante qui anime le film entier est celle du pardon, qui, selon la théorie bien connue, est la seule voie capable d’ouvrir un avenir à travers les mailles d’acier de la causalité spontanée. Ceci s’exprime dans la dernière scène, superbe, au cours de laquelle Jules et Vincent quittent le bar, sans y avoir fait une seule victime, par une porte grande ouverte sur un ciel matinal et immaculé, au son d’une musique funk.
Pulp Fiction est donc l’histoire d’une conversion, exprimée comme telle : « What is significant is I felt God's touch, God got involved. If you wanna play blind man, then go walk with a Shepherd. But me, my eyes are wide fucking open. I can't go back to sleep. »
Et ce qu’il y a d’étrange et d’attristant, c’est que toute la filmographie de Tarantino qui suivra prendra précisément le contre-pied de cette logique : de Kill Bill à Django Unchained en passant par l’horrible Unglourious Basterds, il n’y sera question que de vengeance, de façon obsessionnelle. Le moment de grâce est passé, les lois de la nature reprennent leur cours.
Pulp Fiction est donc le moment, unique peut-être dans l’histoire de la culture populaire, où la puissance émotionnelle du cinéma n’a pas été mise au service de nos instincts primaires (« Fear and Desire »), mais au service de la vérité. En tant que reflet de cette vérité éternelle, il est tout naturel que le film ait atteint un statut particulier, quasiment sacré, un statut de film culte.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire