28 juin 2012

Pyrrhon et le cochon


      Il y a une anecdote philosophique, du genre de celles dont les Anciens raffolaient, à laquelle je pense souvent. Elle nous est rapportée par Diogène Laërce et concerne le fameux philosophe sceptique Pyrrhon d’Élis. L’anecdote est la suivante : « Il était sur mer ; ses compagnons de voyage étaient affligés par la tempête ; lui seul, bien tranquille, gardait son âme forte, et montrant dans le navire un petit cochon qui mangeait, il dit que le sage devait garder cette indifférence. »
      Voilà un cochon qui, dans l’histoire de la philosophie, me semble avoir une importance capitale. Tout est dit par Pyrrhon, et les philosophes qui suivront, épicuriens et stoïciens, ne trouveront jamais mieux pour illustrer l’idéal du sage, qui vit dans l’instant et ignore la crainte. Cette petite histoire illustre en outre à quel point l’homme est un être d’imitation. Les valeurs abstraites, si nobles soient-elles, ne le séduisent pas, il lui faut un modèle sur lequel calquer son comportement. Et le petit cochon de Pyrrhon, candide et entier, est un modèle, en fin de compte, tout aussi opératoire que n’importe quel autre.

20 juin 2012

Souvenirs de la maison des morts

           
      Terminé les Souvenirs de la maison des morts, de Dostoïevski. J’ai été au début un peu désappointé, voire déçu, par cet ouvrage dont j’attendais beaucoup. Dostoïeski n’a pas la rigueur, la sobre lucidité qui rendent le fameux ouvrage de Primo Levi si remarquable. Il s’attarde dans des digressions, des anecdotes, des dialogues qui diluent parfois un peu la force du propos. Et le récit est construit selon une chronologie très approximative, sans grand souci d’ordre, sans la moindre progression dramatique, ce qui n’a pas laissé de heurter quelque peu un esprit classique comme le mien.
      Il y a pourtant quelque chose de très touchant dans ces Souvenirs de la maison des morts. Quelle personnalité attachante que ce Dostoïevski ! Il parle à peine de ses propres souffrances, la seule chose qui l’intéresse ce sont ses compagnons de bagne. Chaque individu est pour lui un univers dont il cherche à percer le mystère. Je ne connais pas d’auteur moins misanthrope que lui : il sait discerner les bons côtés de chacun, et trouver de la noblesse et de la grandeur chez les pires damnés de la terre. Pour lui, les forçats « avaient en eux des ressources merveilleuses, ils étaient peut-être les mieux doués, les plus énergiques des enfants de notre peuple ». Combien cet amour du peuple, partagé par la plupart des grands génies du dix-neuvième siècle, nous semble exotique de nos jours !

17 juin 2012

Ségolène Royal et François Bayrou

      Ségolène Royal et François Bayrou ont été battus aux élections législatives. Tout avenir politique semble hors de portée pour eux. Et pourtant, ami lecteur, écoute ma voix, qui est la voix même du destin : bientôt, après les terribles secousses qui agiteront notre pays et qui châtieront l’indicible aveuglement des électeurs français, bientôt Ségolène Royal et François Bayrou gouverneront la France. Ils seront la France. Alors tu pourras dire : « Oui, les temps annoncés sont arrivés, et les hommes clairvoyants avaient prophétisé l’avènement des justes ! »

11 juin 2012

La vie est un songe

      Quelle drôle de chose que la vie ! Il y a de longues, de très longues phases uniformes et monotones, puis, dans une brève concentration de temps, beaucoup d’événements se produisent, de nouveaux visages apparaissent avec lesquels on interagit, des paysages exotiques se présentent à nos yeux, des plages de sable fin, des cocotiers ou des temples grecs. Puis, tout aussi brusquement, tout ceci replonge dans le néant, et le souvenir qu’on en a ne diffère en rien de celui d’un songe. Oui, vraiment, c’est à juste titre que les sages de toutes les époques ont soutenu que l’existence n’avait pas plus de consistance qu’un songe : les événements improbables s’y succèdent sans davantage de liaison que dans nos rêves, et sans que nous ayons davantage d’influence sur eux. Parfois c’est oppressant, parfois c’est agréable, mais chaque phase est de toute façon éphémère et laisse vite place à une autre. Choisir de rester vivant, c’est donc permettre à ce spectacle de se renouveler, indéfiniment.
      Il y a pourtant une chose qui dépend de nous dans cette réalité onirique, et c’est la plus importante : il s’agit de la tonalité d’ensemble. Si l’on décide de parcourir ce rêve avec une ferme détermination, alors tous les éléments se succèderont sur un fond de ferme détermination. Si l’on cède à la passivité, alors les éléments du songe prendront le dessus et nous engloutiront. Il serait vain de croire que la mort mette un terme à ce processus. Le rêve se poursuit ailleurs, dans d’autres univers, dans d’autres dimensions, et c’est toujours le rêveur qui crée les architectures splendides et démesurées dans lesquelles il se meut.