13 janvier 2016

La détermination historique


       Toute la réalité est déterminée par la nature du souverain. Il s’agit là d’une vérité métaphysique fondamentale, parfaitement exprimée par ces versets de la Bhagavad-Gîtâ : « Tout ce que fait le chef, les autres hommes l’imitent ; la règle qu’il observe, le monde la suit » (III, 21). Cet axiome est central dans de nombreuses traditions spirituelles : tout le confucianisme repose sur cette idée, tout l’Ancien Testament également. Il n’y a nul besoin de réfléchir pour s’en convaincre, il suffit de visionner un DVD : un abîme sépare Rocky IV, fruit des héroïques années Reagan, de Taxi Driver, image du désarroi et du nihilisme des années 70, un abîme tel qu’on a peine à croire que moins de dix années séparent ces deux films. Que s’est-il passé entre ces deux dates ? Une seule chose : un changement de dirigeant. Toute la réalité en a été modifiée.
       Cette antique vérité de l’adéquation entre le souverain et la société, je la ressens dans mes fibres les plus profondes. Pendant cinq années, et d’un seul coup, l’escroquerie et l’agressivité ont régné dans les rapports humains. Depuis bientôt quatre ans, toute la réalité m’apparaît à travers un filtre fangeux de mollesse et de médiocrité. Il n’y a rien à faire pour lutter contre cela, la détermination historique de chaque fragment de réalité est une nécessité métaphysique incontournable. La bonne nouvelle malgré tout, c’est que toute déviation par rapport à la Voie est condamnée à être éphémère. « Toutes les fois que l’ordre chancelle, que le désordre se dresse, je me produis moi-même. D’âge en âge, je nais pour la protection des bons et la perte des méchants, pour le triomphe de l’ordre » (Bhagavad-Gîtâ, IV, 7-8). Comme si souvent dans l’histoire, la manifestation de l’ordre approche, l'aube de la justice va poindre à l'horizon, et les temps sacrés vont une nouvelle fois venir apposer leur marque virile dans le grand cycle des âges.

8 commentaires:

  1. Aaaah cher Laconique, vous revoilà enfin ! Je me disais ce laconique tarde à pondre du neuf, il doit être trop occupé à produire de puissantes vidéo nostalgiques et subversives... Mais non ! Vous êtes de retour, cher Laconique, et vos activités de réalisateur n'ont en rien entamé votre brillante plume. Bon, j'ai quand même hâte que vous repreniez le chemin de la salle de montage pour nous sortir un bon petit gonzo. Vos innombrables lecteurs, et maintenant innombrables spectateurs, vous en sauront gré.

    Concernant votre article, je suis d'accord et la logique la plus simple permet d'appréhender "cette vérité métaphysique fondamentale, parfaitement exprimée" dans les "versets de la Bhagavad-Gîtâ", à savoir que "tout ce que fait le chef, les autres hommes l’imitent ; la règle qu’il observe, le monde la suit". C'est bien connu, cher Laconique, et c'est bien triste, on le constate chaque jour : la plupart des hommes sont des moutons, sans indépendance, sans autonomie réelle, sans consistance, et ils ont besoin d'un berger.

    Ou encore, si l'on convoque une science de plus en plus à la mode, la psychologie évolutionniste, on peut penser à la notion de mâle alpha, homme écouté, respecté, qui possède une solide intégrité et ses propres valeurs, et qui imprime sa marque au groupe. Malheureusement, parfois, quelques malins en portent le masque et embobinent le plus grand nombre, alors que leur nature profonde est tout ce qu'il y a de plus vile. Ce genre de personnages est plus courant qu'on ne le croit !

    Pour ma part, je vois dans votre deuxième excellente citation une invitation à devenir son propre maître, droit et inaltérable parmi le chaos, porté par sa morale à soi, forgée sur des principes inébranlables à la chaleur incandescente d'une puissante flamme intérieure. Pas besoin de chef lorsque l'on est assez puissant pour devenir cet homme-là, cher Laconique ! Peu d'élus je vous l'accorde, les tocards sont légion...

    Je ne m'attarderai pas davantage sur vos considérations politiques et autres prédictions (positives cette fois, c'est vrai), qui ne se réalisent jamais, merde, cher Laconique !

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  2. Eh oui cher Marginal, on ne peut rien vous cacher, j’ai en effet employé les dernières semaines à produire des vidéos « nostalgiques et subversives », et cet article, je ne me suis pas foulé, n’est au fond que l’expression écrite de la dernière en date d’entre elles, Tribute to the 80’s, qui a eu les honneurs de figurer sur votre page Facebook et votre compte Twitter, ces incontournables médias de prescription culturelle. Ca m’a d’ailleurs bouffé pas mal de temps, et c’est pourquoi je crois que je vais en rester là, et ne pas suivre votre aimable conseil de me lancer dans le « gonzo » (que je vous remercie d’ailleurs de nous faire partager ici).

    Vous avez tout à fait raison, les gens sont de plus en plus influençables, moutonniers, je ne sais pas d’où ça vient, peut-être de ces nouvelles technologies dans lesquelles tout le monde a le nez fourré en permanence. Du coup les natures authentiques et indépendantes se démarquent, mais elles dérangent aussi, ce n’est pas à vous que je vais l’apprendre avec vos deux derniers poèmes très radicaux et clivants, dont le brutal et sans concessions Gourmets. Et ce qui est terrible en effet c’est quand les leaders sont de faux leaders, de la fausse monnaie, comme c’est le cas en France depuis huit ans. Votre apatriotisme vous fait escamoter la dimension politique de mon propos, mais c’est vraiment ça le cœur du problème !

    Je suis content que les citations de la Bhagavâd-Gîta vous aient plu. Je ne saurais trop vous recommander la lecture de ce texte, ainsi que du Dhammapada, c’est vraiment ce qu’on fait de plus noble, ça prêche la maîtrise de soi, la non-violence envers tous les êtres vivants, la souveraineté sur tout son environnement, sur ses pensées, son langage, tout. Mais attention, ça vole très haut, pas une once de relâchement, il faut vraiment avoir la flamme, un cœur loyal et des pecs d’acier pour suivre le rythme… Ca donne des complexes, mais c’est quand même réconfortant de savoir que ces sagesses existent et surnagent dans le laisser-aller généralisé !

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  3. Ha la la, vous vous faites lyrique en ce début d'année, cher Laconique ! Je dois dire que votre plume ne me laisse pas insensible, à tel point que j'en oublierais presque d'émettre quelques nécessaires protestations contre l'idée fumeuse selon laquelle le souverain (donc le pouvoir) peut formater l'ensemble de la réalité. C'est pourtant une grave illusion, et qui porte plus à conséquence que beaucoup d'autres ("Le phénomène totalitaire [...] est basé en dernière analyse sur la conviction que tout est possible -et non seulement permis, d'un point de vue moral ou d'un autre point de vue, comme c'était le cas avec le premier nihilisme." -Hannah Arendt, Le concept d'Histoire: antique et moderne, in La Crise de la Culture. Huit exercices de pensée politique, 1961, repris dans Hannah Arendt. L'Humaine Condition, Gallimard, coll. Quarto, 2012, 1050 pages, p.668)

    Mais je crois qu'il y a là une arrogance propre au politique à penser que tout le mal (ou tout le bien) nous vient de ceux qui prétendent nous diriger (vanité non-spécifiquement moderne, comme l'illustre quelqu'un d'aussi noble que Cicéron -mais néanmoins intéressé à le dire, étant accaparé par la chose publique dans la mesure même où des esclaves le déchargeaient des travaux ordinaires-, se laissant aller à écrire: "Il n'est aucun précepte de la philosophie, j'entends de ceux qui sont honnêtes et dignes de l'homme, qui n'ait été quelque part deviné et mis en pratique par les législateurs des peuples. D'où viennent la piété et la religion? A qui devons-nous le droit public et les lois civiles ? La justice, la bonne foi, l'équité, et avec elles la pudeur, la tempérance, cette noble aversion pour ce qui nous dégrade, l'amour de la gloire et de l'honneur, le courage à supporter les travaux et les périls, qui donc les a enseignés aux hommes ? Ceux-là même qui, après avoir confié à l'éducation les semences de toutes ces vertus, ont établi les unes dans les mœurs, et sanctionné les autres par les lois." -Cicéron, La République).

    Je conclurais en citant mon écrivain de science-fiction favori: "Il est de la folie des hommes de se croire des acteurs sur la scène de l'histoire, de croire que leurs actes puissent affecter la grande procession qu'est le passage du temps. Cette chimère, l'homme puissant, convaincu que sans sa présence le monde ne tournerait plus, les montagnes s'effondreraient et les mers s'assécheraient, peut la serrer contre son sein pour parvenir à s'endormir. Mais si la commémoration de l'histoire nous a appris une chose, c'est que tout est transitoire: d'innombrables civilisations avant la nôtre ne sont plus que poussière et os, et les grands héros de leur temps, plus que légendes oubliées. Nul homme ne vit éternellement, et tandis que s'estompe la trace de ses actes, ainsi s'estompe son souvenir.
    C'est là une vérité universelle, une loi inévitable qui ne peut être déniée, malgré les protestations des vaniteux, des arrogants et des tyrans."
    -Graham McNeil, Les faux dieux, 2006.

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    1. Ma foi, je reconnais là un de vos sujets de réflexion privilégiés, cher Johnathan Razorback, et je ne suis donc pas vraiment surpris que celui-ci vous donne l’occasion d’exprimer votre « puissance », comme dirait le Marginal. Je vois que vous n’avez pas été convaincu par mon argumentation ni par mes citations pourtant fort autorisées. On ne se mettra pas d’accord là-dessus, et je remarque que deux de vos excellentes citations vont plutôt dans mon sens : le phénomène du totalitarisme (et ses avatars soft de notre époque (cf. l’UMP)) montre bien l’emprise qu’un chef peut prendre sur des masses stupides et influençables. Et Cicéron, en bon Romain, loue de manière fort éloquente la vertu exemplaire des actes du dirigeant. Cela ne signifie pas que tous doivent céder, il y a toujours des personnalités plus fortes que les autres, mais enfin ça va plutôt dans le sens du « formatage de l’ensemble de la réalité » par le souverain. Quant à la troisième citation, tout cela est fort bien dit, mais je ne suis pas d’accord : un grand souverain imprime sa marque sur des millénaires. Si vous allez en Egypte, vous trouverez une ville appelée Alexandrie. Si vous allez sur la place de la Concorde, vous trouverez un obélisque vieux de plus de trois mille ans, érigé par Ramsès II. « Juillet » et « Août » portent les noms de deux fameux hommes d’Etat romains. La grandeur ne s’efface pas de la surface de la terre. Vous avez une tendance à déboulonner sans distinction toutes les idoles, en vous attaquant même aux plus estimables chefs d’Etat de notre histoire. Certes, la critique est stimulante sur le plan intellectuel, mais l’adhésion et l’admiration me semblent être des attitudes encore plus fécondes. Comme disait le Bouddha : « Plutôt que d’entretenir cent ans durant un feu sacré dans la forêt, si l’on révère, ne serait-ce qu’un instant, un être qui s’est exercé sur lui-même, cet hommage vaut mieux que cent ans de sacrifices. » (« Dhammapada », 107).

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  4. C'est amusant, dans ma culture chrétienne, on m'enseignait qu' un saint pasteur avait des brebis de qualité et qu'un mauvais ne pouvait espérer que des dévoyées ce qui est sans doute valable pour les enseignants et les chefs de famille, le haut de la pyramide contamine le socle en cascade! J'ignorais que vous fussiez réalisateur, mon futur mari a lui même été assistant réal, c'est un milieu à la fois si créatif, si marginal et en même temps si propice aux compromissions!Si vous en parlez dans un de vos précédents billets , soyez assez bon pour me communiquer la référence, je vous en remercie!

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  5. Ah, chère Orfeenix, tout d’abord tous mes vœux de bonheur pour votre mariage. J’espère que vous ne vous assagirez pas trop et que vous garderez vos inclinations pour tout ce qui est épicé et sulfureux !

    Les chefs ont une influence énorme, et c’est pourquoi vivre sous de mauvais chefs c’est comme avancer avec un boulet accroché aux chevilles, et c’est ce que nous vivons en France depuis huit ans ! La religion chrétienne a magnifiquement résolu le problème, et ce n’est pas un hasard à mon avis si elle a vu le jour sous les « mauvais » empereurs : Tibère, Caligula, Claude, Néron…

    Oui, effectivement, comme Martin Scorsese et Stanley Kubrick, je suis réalisateur. Mais ma carrière n’a pas été longue… Je suis un vrai cinéphile, mais sur le plan théorique je suis plutôt opposé au cinéma : je trouve que c’est un art assez primaire, et surtout très nocif pour l’équilibre mental. J’avais écrit un modeste article là-dessus il y a quelque temps. C’est à l’image de la vie : ce qui est bon est souvent nocif, et l’équilibre passe généralement par l’ascèse et les privations…

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    1. Je viens de le lire et vous me donnez une révélation: j'aime le cinéma parce qu'il est sensuel , vous voyez je ne m'assagirai pas!

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