26 octobre 2016

Michel Onfray : Cosmos

        
       Acheté et parcouru Cosmos. Une ontologie matérialiste, de Michel Onfray. Bien que divergeant radicalement de toutes ses conceptions fondamentales, j’éprouve une certaine sympathie pour Michel Onfray. Il défend son matérialisme intransigeant avec probité, et il y a dans son parcours de fils des classes modestes fondant l’Université populaire de Caen et conspuant sans relâche l’hypocrisie des élites parisiennes une indéniable cohérence. Son antichristianisme primaire est souvent caricatural, ainsi que sa vision binaire de la philosophie qui le fait passer à côté de tout un pan de la pensée humaine, mais c’est un tribun de la plèbe, têtu et besogneux, comme on en voyait jadis, à l’époque où l’on prenait encore les choses intellectuelles au sérieux. Mais ce n’est pas sur le plan des idées que ce Cosmos me met un peu mal à l’aise.
       Cosmos est le premier volume d’une « Brève encyclopédie du monde » qui est appelée à compter encore deux volumes supplémentaires (intitulés respectivement Décadence et Sagesse). Cosmos fait sept cents pages. En partant sur les mêmes bases, l’ensemble devrait avoisiner les deux mille cent pages. Michel Onfray a rédigé, d’après sa bibliographie, pas moins de quatre-vingts ouvrages. En comptant, selon une fourchette basse, trois cents pages par ouvrage, Michel Onfray aurait donc écrit pas moins de vingt-quatre mille pages (et sans doute le double) dans sa carrière. Il me semble que rien n’est plus éloigné du génie français que cette propension à la profusion, que l’on trouve également chez un Yann Moix, auteur de Naissance, prix Renaudot 2013, mille quatre cent vingt-sept pages. Tout l’effort du classicisme français, ce fruit le plus subtil et le plus parfait de l’intelligence humaine, a tendu dans le sens contraire, vers toujours plus de concision et de limpidité. Et cela vient de loin, des lettres grecques et latines, d’un certain idéal d’harmonie et de maîtrise de ses forces tel que l’Antiquité nous l’a transmis. Si je devais citer les trois plus éminents représentants de cette école classique française, je dirais qu’il s’agit de Jean Racine, de Voltaire et d’André Gide. Combien de temps faut-il pour lire une pièce de Racine, un conte de Voltaire ou un récit de Gide ? Quelques dizaines de minutes, quelques heures tout au plus. Et pourtant tout est dit, l’intelligibilité du monde et des rapports humains y est totale, avec juste ce qu’il faut de blanc et de silence pour laisser à l’imagination du lecteur la liberté de se déployer. Ah ! antique Muse française, fille de la douce Vénus et de la sévère Minerve, n’entendrons-nous jamais plus tes graves et mélodieux accords retentir sur la lyre du bon goût français ?

7 octobre 2016

L'origine du sacrifice


       ...Car ce qui est né est assuré de mourir et ce qui est mort, sûr de naître...

       Bhagavad-Gîtâ, II, 27.

       Le sacrifice est le fondement éternel de l’univers, du monde visible et invisible. Tel est l’enseignement de toutes les sagesses traditionnelles, telle est la vérité ancestrale dont témoignent les pratiques rituelles de tous les peuples, sur tous les continents et à toutes les époques, sauf à la nôtre. Il convient donc de s’interroger une fois de plus sur les vertus de ce rite, et plus précisément sur la cause de ce pouvoir sans équivalent qui réside dans l’acte sacrificiel. Quelques observations d’ordre métaphysico-psychologique pourront n’être pas inutiles ici.
       1. La conscience de l’homme est telle que le spectacle présent abolit dans son esprit tout le passé et tout l’avenir, et que la différence entre le sujet et l’objet s’estompe complètement. Concrètement, cela signifie que l’on ressent ce que ressentent ceux que l’on observe, indépendamment de tout le reste. Dans le sacrifice, il n’y a donc pas de différence entre le spectateur et la victime.
       2. Toute accumulation d’être aboutit à la destruction et à la dégénérescence. Au contraire, tout néant d’être génère une création, une manifestation de la vie sous sa forme la plus spontanée.
       Par conséquent : La manière la plus naturelle et la plus efficace de générer l’essence de la vie dans ce qu’elle a de plus authentique est de procéder à une destruction d’être. Les forces latentes et cloisonnées dans une forme définie sont libérées, rendues à la pure liberté originelle de l’existence. Tous ceux qui assistent à cette destruction profitent de cette génération du pur flux vital, sans subir de dommages, puisque sujet et objet sont confondus dans la représentation, mais distincts sur le plan matériel.
        Il résulte de ceci que, conformément à tous les enseignements traditionnels, seul le sacrifice permet à la vie de progresser et de se renouveler, seul le sacrifice rend l’existence vivable. La tâche première des esprits éclairés, en ce commencement de millénaire, sera donc de tout mettre en œuvre pour restaurer d’abord l’idée, puis la pratique du sacrifice.
        Nota bene : L’auteur de cet article ne cautionne nullement une forme matérielle de sacrifice et fait observer que des sacrifices sont offerts tous les jours sur les autels de notre pays sans que l’immolation d’une victime animale soit pour autant nécessaire.