18 février 2019

La société inclusive



Je discutais l’autre jour avec un ami qui travaille pour les services culturels d’une grande ville de France.
« De nos jours, me dit-il, on ne parle que de "société inclusive". Il s’agit d’organiser de grandes manifestations afin de réunir le plus de gens possible, sans discrimination aucune, autour de grands thèmes culturels fédérateurs. Il y a la Nuit de la lecture, la Nuit des musées, la Nuit des idées, la Nuit blanche, etc. Je passe ma vie à ça, et surtout mes nuits. Le but est de casser l’isolement, les déterminismes sociaux, et de ne faire qu’un, autour des valeurs de partage, de solidarité, mais aussi de plaisir et de fête. Très bien. Mais, si l’on creuse un peu, que nous disent les textes sacrés à propos de la société inclusive ? La Grande Fusion est-elle inscrite dans les messages spirituels que nous a légués l’histoire ? Voyons un peu.
Que dit l’Ancien Testament ?
« Lorsque Yahvé ton Dieu t’aura fait entrer dans le pays dont tu vas prendre possession, des nations nombreuses tomberont contre toi. Tu les voueras à l’anathème. Tu ne concluras pas d’alliance avec elles, tu ne leur feras pas grâce. Tu ne contracteras pas de mariage avec elles, tu ne donneras pas ta fille à leur fils, ni ne prendras leur fille pour ton fils. Mais voici comment vous devrez agir à leur égard : vous démolirez leurs autels, vous briserez leurs stèles, vous couperez leurs pieux sacrés et vous brûlerez leurs idoles. Car tu es un peuple consacré à Yahvé ton Dieu. » (Deutéronome, 7, 1-6).
Que dit l’Évangile ?
« Et aussitôt il obligea les disciples à monter dans la barque et à le devancer sur l’autre rive, pendant qu’il renverrait les foules. Et quand il eut renvoyé les foules, il gravit la montagne, à l’écart, pour prier. Le soir venu, il était là, seul. » (Matthieu, 14, 22).
Que dit Gotama ?
« Mieux vaut vivre dans la solitude :
Il n’y a point de société avec les sots.
En solitaire on doit mener sa vie,
Sans faire le mal, loin des soucis,
Comme l’éléphant dans sa forêt. » (Dhammapada, 330).
Il semble que la société inclusive n’ait pas représenté pour nos Pères l’idéal de civilisation que l’on nous vante souvent. Et lorsque je sonde mon cœur, je n’y trouve aucune appétence, je dois le dire, pour les grandes réunions festives et conviviales. J’aspire plutôt à la tranquillité, et à poursuivre ma propre voie. Cela me paraît être un désir naturel. Je ne dois pas être construit de la même manière qu’Anne Hidalgo ou Jack Lang. Je suis plutôt comme Conan le Barbare ou Clint Eastwood dans les films de Sergio Leone, je souhaite rester mutique, tracer ma route sans faire le mal, mais sans me mêler de la vie des autres, de leurs peines ou de leurs joies. Il me semble que tout le monde est comme cela, et cette injonction à s’insérer coûte que coûte dans la société inclusive, en culpabilisant les aspirations à la solitude, me paraît profondément anxiogène, en plus d’être illusoire. Ce n’est pas là le dessein de Dieu pour l’homme. Voilà pourquoi les gilets jaunes, par exemple, sont voués à une immense déception : la grande fusion orgasmique de la société et des hommes qui sous-tend toutes leurs actions n’aura jamais lieu, tout simplement parce que le dessein de Dieu pour l’homme n’est pas la fusion, mais bien la séparation. « Ma religion n’est point la vôtre. Vous avez votre croyance et moi la mienne. » (Coran, 109, 5).

4 commentaires:

  1. Réponses
    1. Lol. Plus que jamais, cher Marginal. (Nice to see you're still alive bro !)

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  2. Il y a une fausse unanimité qui vient d'une réunions extérieure et superficielle des personnes. Le festivisme, l'impératif de "vivre cool" le travail en entreprise, en est une. Le sociologue Bruno Latour rapportait récemment un propos d'un gilet jaune: "on évite de parler des sujets qui fâchent, pour ne pas se disputer". Les sujets qui fâchent étant justement ces sujets politiques qui permettraient au mouvement de se mettre d'accord sur quelque chose, et de faire aboutir des revendications. Mais ce seront nécessairement des revendications qui plairont à certains et déplairont à d'autres, la politique étant conflictuelle par essence. On reste donc dans l'impolitique pour se tenir chaud et conserver une unanimité de façade.

    Et puis il y a une autre unanimité, intellectuelle, qui se fonde lentement par la science et la philosophie, à mesure que les esprits s'élèvent et accèdent ensemble à la compréhension de la véritable nature des choses.

    "La connaissance conduit à l'unité comme l'ignorance mène à la diversité." (Râmakrishna)

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  3. C’est très bon ce que vous écrivez là, cher Johnathan Razorback !

    « L’homme est un animal politique », comme a écrit vous savez qui, un animal social, et il y a toujours une dialectique entre le consensus et la singularisation. En tant qu’expert du libéralisme, vous le savez sans doute mieux que quiconque. Mais j’ai l’impression que depuis quelque temps on force beaucoup sur le consensus, ce qui a des effets contre-productifs à mon avis. Cette quête du consensus est une conséquence à mon avis de l’affaiblissement de la fonction politique dans notre pays. Auparavant il y avait du sérieux dans la politique, du poids dans les paroles des hommes politiques, et l’on ne craignait pas la lutte idéologique parce que l’on savait qu’il pouvait y avoir des répercussions réelles. Mais depuis la catastrophe de 2007 la parole politique n’a plus aucun poids, ce n’est que de la communication, et l’on transfère la fonction du politique sur le moindre événement rassembleur que l’on peut trouver…

    Je reçois votre propos sur l’unanimité « intellectuelle », fondée sur « la science et la philosophie ». Je ne vais pas engager le débat sur ce point. Je vous renvoie seulement aux nombreuses études qui montrent que le niveau intellectuel moyen baisse ces dernières années. Il me semble qu’une part grandissante de la population est de moins en moins réceptive à la raison, l’émotion et l’instantané prennent le pas sur tout le reste, et les écrans ne sont pas pour peu de choses dans cette évolution…

    Je ne connaissais pas Râmakrishna. Vous êtes plus ouvert que je ne pensais. Encore un effort et vous pourrez lire la Bible. J’ai essayé de lire à une époque Sri Aurobindo et Vivekananda, mais je n’ai pas accroché. Pour l’Orient, j’en reste au Dhammapada, à la Bhagavad-Gîtâ et aux deux pères du taoïsme (Lao-tseu, Tchouang-tseu). Je reste un occidental, il me faut les ruptures nettes de la pensée grecque ou biblique, sinon j’ai l’impression de perdre le contact avec le sol et la réalité.

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