Les Français parlent trop de religion. C’est le type même de sujet sur lequel on est presque condamné à dire des bêtises. Ceux qui sont à l’intérieur défendent une cause, ceux qui sont en dehors ne peuvent jamais vraiment comprendre de quoi il s’agit. Dans tous les cas, on ne perd rien à se taire.
Et pourtant, je ne peux pas ne pas revenir ce qui constituera à coup sûr l’un des événements majeurs de cette année 2013, à savoir la démission (ou plus exactement : la renonciation) du pape Benoît XVI. Sans doute faudra-t-il plusieurs années, voire plusieurs décennies, pour en mesurer exactement la portée. Sans doute l’institution pontificale sera-t-elle affaiblie, d’une manière ou d’une autre, par cet acte sans précédent. Tout cela amène naturellement à s’interroger sur l’avenir de l’Église, et plus précisément sur les rapports entre l’Occident et le sacré.
Rien n’est éternel en ce monde. Les grandes pyramides de Gizeh disparaîtront un jour, et l’Église catholique aussi sûrement. De toutes les religions, le christianisme me semble même être l’une des plus fragiles, car il est issu de circonstances historiques très précises (la brutalité et le vide spirituel de l’Empire romain), et ne s’est pas constitué, contrairement à d’autres, par une lente sédimentation de théories et de pratiques qui ont fait leurs preuves à travers les âges. Religion révolutionnaire, le christianisme, comme son histoire l’a déjà prouvé, est sujet à tous les bouleversements, à toutes les ruptures. Et l’Occident pourrait bien un jour payer cher le fait de n’avoir pas élaboré un monothéisme ferme et raisonnable, issu à la fois de l’enseignement juif et de sa propre tradition philosophique, mais de s’être jeté dans les bras de la première doctrine consolante qui s’est présentée, durant une période de grand désarroi. Et certes, si l’on peut compter sur la pérennité du judaïsme, éternellement établi sur le roc de la Torah et la ténacité du peuple juif, de l’Islam, religion simple, virile et unifiée, ainsi que des sagesses de l’Orient, dont le lumineux message de détachement parlera toujours au cœur des hommes, on peut en revanche légitimement émettre quelques doutes sur celle du christianisme, religion syncrétique un peu bizarre, ni vraiment monothéiste ni ouvertement polythéiste, à la fois compassionnelle et apocalyptique, ennemie déclarée de la raison et de toutes les formes de pouvoir terrestre.
Dès lors, comment se figurer les quatre ou cinq prochains siècles en Occident ? L’idée de Dieu ne disparaîtra pas, et les germes de grands réformateurs religieux, destinés à revivifier la religion et à la purifier de ce qu’elle comporte d’éléments hystériques, sont d’ores et déjà semés pour qui sait les percevoir. Mais si Dieu est à l’abri, l’Occident serait d’autant plus aisément porté à se débarrasser une bonne fois pour toutes du christianisme que, contrairement à l’Orient, il entretient des rapports assez distendus avec le sacré. La greffe chrétienne s’est implantée sur un fond d’indifférence à l’égard de l’insondable qui n’a jamais vraiment disparu. Contrairement aux élites juives ou orientales, les élites intellectuelles occidentales n’ont jamais adhéré à leur religion officielle, qui choquait à la fois leur intelligence et leur goût. Au fond, la plupart des esprits occidentaux ne seraient sans doute pas fâchés de se recentrer sur ce qui a toujours fait le génie de l’Occident et la vraie nourriture de ses âmes fortes : la politique en premier lieu, la philosophie et la littérature ensuite. Ainsi, le christianisme étant relégué aux territoires qui lui correspondent vraiment, à savoir l’Afrique et l’Amérique du sud, l’Occident redeviendra ce qu’il a toujours été : un espace à la fois stérile et exaltant, le seul endroit de la terre où l’homme se trouve seul face au mystère de sa propre condition, condamné à s’affirmer et à mettre en branle la grande roue de l’histoire pour aller de l’avant.
Et pourtant, je ne peux pas ne pas revenir ce qui constituera à coup sûr l’un des événements majeurs de cette année 2013, à savoir la démission (ou plus exactement : la renonciation) du pape Benoît XVI. Sans doute faudra-t-il plusieurs années, voire plusieurs décennies, pour en mesurer exactement la portée. Sans doute l’institution pontificale sera-t-elle affaiblie, d’une manière ou d’une autre, par cet acte sans précédent. Tout cela amène naturellement à s’interroger sur l’avenir de l’Église, et plus précisément sur les rapports entre l’Occident et le sacré.
Rien n’est éternel en ce monde. Les grandes pyramides de Gizeh disparaîtront un jour, et l’Église catholique aussi sûrement. De toutes les religions, le christianisme me semble même être l’une des plus fragiles, car il est issu de circonstances historiques très précises (la brutalité et le vide spirituel de l’Empire romain), et ne s’est pas constitué, contrairement à d’autres, par une lente sédimentation de théories et de pratiques qui ont fait leurs preuves à travers les âges. Religion révolutionnaire, le christianisme, comme son histoire l’a déjà prouvé, est sujet à tous les bouleversements, à toutes les ruptures. Et l’Occident pourrait bien un jour payer cher le fait de n’avoir pas élaboré un monothéisme ferme et raisonnable, issu à la fois de l’enseignement juif et de sa propre tradition philosophique, mais de s’être jeté dans les bras de la première doctrine consolante qui s’est présentée, durant une période de grand désarroi. Et certes, si l’on peut compter sur la pérennité du judaïsme, éternellement établi sur le roc de la Torah et la ténacité du peuple juif, de l’Islam, religion simple, virile et unifiée, ainsi que des sagesses de l’Orient, dont le lumineux message de détachement parlera toujours au cœur des hommes, on peut en revanche légitimement émettre quelques doutes sur celle du christianisme, religion syncrétique un peu bizarre, ni vraiment monothéiste ni ouvertement polythéiste, à la fois compassionnelle et apocalyptique, ennemie déclarée de la raison et de toutes les formes de pouvoir terrestre.
Dès lors, comment se figurer les quatre ou cinq prochains siècles en Occident ? L’idée de Dieu ne disparaîtra pas, et les germes de grands réformateurs religieux, destinés à revivifier la religion et à la purifier de ce qu’elle comporte d’éléments hystériques, sont d’ores et déjà semés pour qui sait les percevoir. Mais si Dieu est à l’abri, l’Occident serait d’autant plus aisément porté à se débarrasser une bonne fois pour toutes du christianisme que, contrairement à l’Orient, il entretient des rapports assez distendus avec le sacré. La greffe chrétienne s’est implantée sur un fond d’indifférence à l’égard de l’insondable qui n’a jamais vraiment disparu. Contrairement aux élites juives ou orientales, les élites intellectuelles occidentales n’ont jamais adhéré à leur religion officielle, qui choquait à la fois leur intelligence et leur goût. Au fond, la plupart des esprits occidentaux ne seraient sans doute pas fâchés de se recentrer sur ce qui a toujours fait le génie de l’Occident et la vraie nourriture de ses âmes fortes : la politique en premier lieu, la philosophie et la littérature ensuite. Ainsi, le christianisme étant relégué aux territoires qui lui correspondent vraiment, à savoir l’Afrique et l’Amérique du sud, l’Occident redeviendra ce qu’il a toujours été : un espace à la fois stérile et exaltant, le seul endroit de la terre où l’homme se trouve seul face au mystère de sa propre condition, condamné à s’affirmer et à mettre en branle la grande roue de l’histoire pour aller de l’avant.
Hé oui, c'est ce que je disais dans mon commentaire de votre autre article posté en ce jour, cher Laconique : vous brisez les habitudes ! Deux articles le même jour, on n'y est pas accoutumé, vous envoyez la sauce aujourd'hui, cher Laconique, si je peux m'exprimer ainsi.
RépondreSupprimerEn ce qui concerne le Pape, ce qui est anormal c'est qu'un vieillard cacochyme de 86 ans, qui peut-être porte des couches et se pisse dessus, ait autant de pouvoir et sur tant d'individus... Qu'on le remplace donc par un autre vieillard un peu moins foutu !
Votre article est brillant, cher Laconique, à la fois dense, érudit et d'une limpide clarté. J'apprécie, dans le deuxième paragraphe, l'analyse pertinente des différences entre les trois religions monothéistes concernant la solidité de leur fondement et leur capacité à durer. Vous visez juste il me semble ! Je reconnais bien là votre capacité jamais mise en doute pour développer vos idées dans un style impeccable et pour argumenter de façon précise.
Puis, une fois cette analyse brillante exposée, progressivement votre texte s'enrichit d'accents prophétiques pour finir sur une vision poétique et plutôt déprimante d'un homme à nouveau seul et perdu dans l'immensité intersidéral. Un "espace à la fois stérile et exaltant" de science fiction qui me fait penser à quelque chose comme un nouveau Far West...
Sur le fond, je dois dire que les faits sont avec vous : bien que le christianisme soit toujours présent, il faut reconnaître que de plus en plus de gens n'en n'ont rien à branler de l'Eglise. Tout au plus le christianisme se transmet-t-il d'une génération à l'autre dans les familles particulièrement croyantes, mais ses bases, comme vous l'évoquez, sont certainement bien trop faibles pour déclencher de nouvelles ferveurs.
Je n'irai pas plus loin, cher Laconique, vous me connaissez, vous savez très bien que les questions religieuses, comme celles d'ordre politique, trouvent assez peu d'écho en moi. C'est un domaine où l'expertise me fait donc défaut et je ne m'aventurerai de ce fait pas trop loin en des démonstrations qui pourraient vite devenir périlleuses pour la logique et la vérité. Éh je suis un Marginal Magnifique, un individualiste et un nihiliste, cher Laconique, pourquoi l'Eglise disparaîtrait-elle alors qu'elle n'existe même pas pour moi ?
Je vous ai donné du boulot cher Marginal ! Mais il est si plaisant pour moi de vous lire, que si je m’écoutais je publierais un article par jour. Mais je deviens trop cabotin, trop sémillant, je fais mon d’Ormesson comme vous dites, et une nature franche et virile comme la vôtre n’a pas besoin de ça !
RépondreSupprimerJe ne partage pas votre point de vue sur la mission du pape. A partir du moment où un pape peut démissionner, c’est toute la fonction qui est affaiblie, et l’opinion publique pourra réclamer la démission du pape à la première polémique qui se présentera. Le pape est investi par l’Esprit saint, et, comme a dit un cardinal polonais, « on ne descend pas de la croix ». En même temps, avec les progrès de la médecine, l’accroissement de la durée de vie et les obligations de plus en plus usantes d’un pape moderne, c’est vrai qu’il n’est guère raisonnable d’infliger sans cesse à des vieillards une telle épreuve… Disons que je suis partagé. Ma foi, comme François Bayrou a twitté que c’était une bonne chose, je nuancerai mes réserves et ne me prononcerai pas de manière catégorique !
Je vous remercie pour vos compliments sur le style. Je sais que venant de vous c’est du solide ! Comme le sujet me plaît, ça coule facilement… Pour ce qui concerne l’avenir du christianisme, ce sont des questions qui nous dépassent et qu’il faut aborder avec humilité. Il y a de vraies beautés dans la religion chrétienne, quelque chose de doux et d’apaisant, comme une réconciliation finale avec la vie, et je doute que cela disparaisse purement et simplement. Le catholicisme est plus exposé du fait de son organisation, mais il en a vu d’autres et il est toujours là… Disons que le christianisme a un problème avec le plein développement des facultés intellectuelles de l’homme ; il s’adresse surtout aux femmes, aux faibles, aux pauvres. Et il y a tout un pan de la culture occidentale, qui vient de la Grèce et de Rome, qui tend vers l’opposé : vers l’équilibre, la force, la maîtrise. C’est dans ce camp que je vous range, ainsi que la plupart des grands penseurs occidentaux (que vous valez largement !) ; et c’est ce qui explique ce que vous appelez improprement votre « nihilisme » (car le Marginal a des valeurs, qu’il exprime même souvent avec vigueur et panache !).
Mais bon, vous avez raison, ce n’est pas trop bon de s’aventurer dans ces domaines, des champs plus éthérés et plus désintéressés s’ouvrent à nous. Comme c’est un sujet qui m’intéresse beaucoup, il n’est pas impossible que j’y revienne encore à l’occasion, mais ce sera toujours avec circonspection, car la vraie littérature offre bien plus de liberté et de plaisir !