1 mai 2013

Comment générer de l'avenir ?

       Quel est le bien le plus précieux au monde, celui qui, si on le possède, remplace tous les autres, et qui, s’il nous manque, rend tout le reste insignifiant ? Le bien ultime, ce n’est pas l’argent, ni le pouvoir, ni la gloire, c’est une chose bien plus triviale et qui pourtant n’a pas de prix : c’est l’avenir. Les heures les plus sombres d’une vie, ce sont celles où l’on voit les portes de l’avenir se fermer, où les rêves et les espoirs flétrissent et s’évanouissent ; les heures les plus heureuses d’une vie, ce sont celles qui sont riches de potentialités, grosses d’un futur qui ne demande qu’à naître. Il est donc capital, pour être heureux, de savoir générer de l’avenir. Car l’avenir n’est pas comme l’air que l’on respire, il ne nous est pas offert, il faut savoir se le procurer, le mériter, et c’est là une tâche bien difficile, comme on s’en aperçoit en général assez vite. Comment, donc, générer de l’avenir ? En vue de cette grande entreprise, la seule qui vaille en fin de compte, trois vertus me semblent indispensables.
      1° Le détachement. Toutes les choses en ce monde périclitent, hormis la volonté du sujet. S’attacher aux choses, ou aux situations, ou aux êtres, c’est donc se condamner à péricliter en même temps qu’eux. Les exemples ne manquent pas. Le détachement est par conséquent la première vertu à cultiver pour celui qui veut produire de l’avenir.
      2° La force. La vie est dure. Chaque action, chaque mouvement coûte de l’énergie, et les gratifications sont bien rares. Dès lors, comme l’a bien dit Ronald Reagan : 
« The future doesn't belong to the faint-hearted. It belongs to the brave. »

      3° La justice. La Bible nous l’enseigne : « La justice mène à la vie. »   (Proverbes, 11, 19). Toute la force du monde est condamnée à l’échec si elle se met au service d’intérêts pervers. La justice qui régit l’univers est parfois lente à se manifester, mais elle est inéluctable. Pour durer, mieux vaut donc s’abstenir des coups foireux.
      L’homme détaché, fort, et juste, qui pourra l’arrêter, qui pourra l’empêcher d’accomplir ses desseins les plus chers ?

4 commentaires:

  1. Bonjour, cher Laconique,

    Un article fort intéressant, écrit avec rigueur et précision comme d'habitude.

    J'adore la première partie concernant "l'avenir". Vous prenez à contre-pied la sagesse populaire qui communément admet que le bien le plus précieux est la santé. Or, si l'on y réfléchit attentivement, peut-être que si la santé semble avoir tant de prix, c'est avant tout parce que sans elle nous sommes privés d'avenir ! Dans ce cas, il apparaît donc que l'avenir prime la santé. Je crois donc qu'il n'y a rien de plus juste que ce que vous expliquez dans votre premier paragraphe, et d'ailleurs nous en avons tous fait l'expérience : l'enfance n'est-elle pas vécue comme un âge d'or recélant "les heures les plus heureuses d’une vie, précisément parce que "ce sont celles qui sont riches de potentialités, grosses d’un futur qui ne demande qu’à naître" ? Comme vous le savez, c'est là un thème qui m'intrigue et me touche particulièrement, un thème que j'ai traité maintes fois, dernièrement dans "L'ambroisie" mais aussi par exemple dans "Noëls immémoriaux".

    En revanche, concernant la deuxième partie de votre texte, qui aborde la façon de "générer de l’avenir", j'émets quelques réserves, sinon de fond, de logique par rapport à votre démonstration générale. Je m'explique : "détachement", "justice", "force" sont évidemment de hautes vertus, je ne peux qu'approuver, d'autant que vous en faites un éloge concis et brillant. Elles sont assurément essentielles pour affronter la vie.
    Cependant, je m'attendais à des façon bien plus concrètes de "générer de l'avenir" : en effet, comment avoir espoir en l'avenir, même si l'on possède ces trois vertus ? Je vois, je dois vous l'avouer, cher Laconique, très peu de liens entre elles et une capacité à croire au futur... Je note évidemment votre question finale. Celle-ci ne résout en rien le problème et je vous adresse moi aussi une question : "L’homme détaché, fort, et juste", même s'il est puissant et, en faisant face à la vie, a plus de chances d'avoir un avenir meilleur, rêve-t-il davantage, croit-il plus à l'avenir qu'un autre ?

    RépondreSupprimer
  2. Eh, bien, cher Marginal, je vous remercie pour votre commentaire, très plaisant à lire comme tout ce qui sort de votre plume, et qui m’a fait réfléchir car il prend la question sous un angle que je n’avais pas du tout envisagé.

    Tout d’abord, je me réjouis que nous soyons d’accord sur la première partie. Comme vous le soulignez judicieusement, si la santé et la jeunesse semblent si précieuses, c’est avant tout parce qu’elles représentent, non l’accomplissement, mais bien la promesse du bonheur. Dans ce cas, la promesse est en elle-même porteuse de son propre accomplissement (un peu comme aux échecs, jeu à propos duquel le fameux joueur Aaron Nimzowitsch a formulé le célèbre axiome : « La menace est plus forte que l’exécution. » (Axiome qui vaut dans bien d’autres domaines d’ailleurs.) (Et je sais que je parle à un amateur du jeu d’échecs , même si vous trouvez ce jeu, je cite, « chiant »)). Je sais que l’aube de l’existence est un de vos thèmes privilégiés de réflexion et d’inspiration, et il vrai que tout le côté poignant de la destinée humaine est contenu dans ce sujet très délicat, que vous avez souvent traité avec beaucoup de doigté ; mais ce que j’ai essayé de faire dans ce texte, c’est précisément de considérer l’avenir comme une donnée objective, désincarnée, purement conceptuelle pour ainsi dire, et dégagée de toutes les déterminations subjectives. Je me suis demandé : « Comment créer de l’avenir, quel que soit l’âge, quelles que soient les conditions, de manière chimiquement pure ? »

    Et c’est là que je tombe sur votre objection. Au fond, vous m’accordez que celui qui cultive les vertus dont je parle (détachement, force, justice), a, je vous cite « plus de chances d’avoir un avenir meilleur ». Mais, ajoutez-vous finement, « comment avoir espoir en l’avenir, même si l’on possède ces trois vertus ? » Eh bien je vous répondrai tout simplement : Ceci dépasse le cadre de mon problème. En bon disciple des stoïciens, je n’examine pas les circonstances extérieures, ce que l’avenir peut offrir d’alléchant ou d’exaltant, je considère tout cela comme « indifférent » (terme stoïcien s’il en est), comme relevant de la Providence. Je me limite à « ce qui est en notre pouvoir », c’est-à-dire à nos dispositions intérieures. L’espoir n’est nullement encouragé par les maîtres antiques, qui le condamnent sévèrement, au même titre que la crainte. Générer de l’avenir, pour moi, ce n’est pas tant voir ses rêves devenir réalité que conserver sa volonté droite et intacte à travers les vicissitudes de l’existence. Et là, je sais que je rejoins Le Marginal , qui, à l’image de Tony Montana, « ne croit qu’en deux choses, son manche et sa parole, dont l’une est ferme et l’autre est d’acier » !

    RépondreSupprimer
  3. Ce serait l'idéal. Mais un tel homme fait partie d'une élite. Le genre humain dans son ensemble est avare de ces nobles vertus que vous citez et s'il en possède une, les trois à la fois relèvent du challenge. Votre texte intelligent est une invite à la réflexion et à l'éveil des consciences en ce sens et fait rêver à un monde meilleur avec un prototype d'homme libre dans sa tête, fort, épris d'équité et ouvert à l'espoir et à un avenir plus souriant. Si selon l'adage populaire, l'hirondelle ne fait pas le printemps, du moins l'annonce-t-elle, et l'homme que vous évoquez avec une acuité sensible montre la voie de la sagesse et de l'optimisme.

    RépondreSupprimer
  4. Ma foi, vous posez une question pertinente, que se posaient déjà les stoïciens : « Le sage existe-t-il quelque part sur cette planète ? » D’après l’expérience, il semble que non, mais ce n’est pas une raison pour s’abstenir de cultiver la sagesse ! Réunir toutes les vertus qui forment le sage est bien entendu un idéal, mais dans ces matières l’idéal a parfois plus d’influence que le réel, comme j’avais essayé de l’exprimer dans un petit texte à propos d’une citation de Platon . Au fond, l’homme est un être rêveur, pour qui l’imaginaire a souvent plus d’importance que la dure réalité. Alors, si l’on peut se forger un idéal noble et harmonieux, pourquoi s’en priver ?

    RépondreSupprimer