5 juillet 2013

L'univers parallèle


       Je pense à la Septième Symphonie de Bruckner, qui se déploie majestueusement dans le silence pendant soixante-sept minutes.
       Je pense à cette immense construction romanesque dans laquelle je me suis plongé à l’âge de vingt ans, et qui reconstituait, sur plus de trois mille pages, toute une société imaginaire, avec ses ducs et ses duchesses, ses grands et ses petits bourgeois, ses dandys décadents et ses jeunes filles en fleur.
        Je pense à tel énigmatique tableau représentant une nuit étoilée que je vis un jour dans un musée parisien, et devant lequel une foule composite s’agglutinait.
        Je pense à tout cela et je me dis :
       Quel immense privilège est donc celui de l’Art ! L’âme de l’artiste se meut librement, avec volupté, dans un univers qu’elle génère à sa propre mesure. Là, l’idéal se fait concret, il devient le mode même de réalisation de l’existence. Qui a dit que le malheur existait sur Terre, dès lors qu’une telle liberté, qu’un tel pouvoir, qu’une telle jouissance étaient accessibles à tous ? Ah ! emprisonnez-moi, torturez-moi, brisez-moi, que m’importe ! Si l’esprit de chaque être humain, et le mien tout autant que le vôtre, est capable de créer de telles merveilles à son propre usage, alors qui peut m’atteindre ?

         (Non. Il n’est pas bon que l’âme soit son propre maître. Une telle déambulation aléatoire dans les espaces éthérés de l’univers esthétique ne peut conduire qu’à la folie, et nombreux sont ceux qui pourraient en témoigner. Seule la soumission à une loi, à une morale, à une discipline peut assurer la pérennité et la vie.)

11 commentaires:

  1. Ah, cher Laconique, vous me faites découvrir des univers justement ! Je vous avoue humblement que je ne connaissais pas du tout "la Septième Symphonie de Bruckner". La musique classique est un domaine qui m'est bien plus étranger qu'à vous et j'en suis d'ailleurs triste, mais ce domaine n'est pas facile à explorer et à défricher pur moi, peut-être parce que je suis davantage un visuel qu'un auditif...
    En tout cas, grâce à vous, j'ai déjà bouché un trou dans la toile de mes lacunes en m'empressant d'écouter cette symphonie, assez jolie ma foi, apaisante, qui se déploie sur soixante-sept minutes ! Bon allez, je vous avoue que je n'en ai écouté que des bribes... C'est peut-être pour ça aussi d'ailleurs que j'écoute si peu de musique classique : je manque de patience.

    Concernant le tableau qui illustre votre article et que vous mentionnez comme cet "énigmatique tableau représentant une nuit étoilée que vous vîtes un jour dans un musée parisien, et devant lequel une foule composite s’agglutinait", il me permet de constater que le puissant Laconique est un grand voyageur qui ne se prive pas de faire de nombreuses escapades culturelles dans la capitale. Peut-être connaissez-vous Pigalle, cher Laconique ?
    Pour ce qui est de l'aspect technique, j'aurais apprécié une légende à ce tableau, même si j'imagine, vu le style, qu'on est en présence d'un Monet. Vous pouvez faire ce genre de truc en cliquant sur l'image quand vous l'insérez et en allant sur "propriétés" puis en remplissant le champ "texte du titre" : c'est l'affaire de deux secondes, cher Laconique !
    Ces considérations passées, le tableau de Monet, avec ses deux minuscules personnages s'enlaçant sous un immense ciel étoilé reflété par une toute aussi immense entendue d'eau, est propice à la mélancolie rêveuse et aux méditations poétiques. Associez-le à la symphonie dont on parlait plus haut et on aura un cocktail (molotov) parfait pour enflammer les pauvres âmes assoiffées d'idéal telles que la vôtre et la mienne, cher Laconique !

    D'ailleurs, la suite de votre article le prouve, vous ne pouvez contenir votre élan lyrique, cher Laconique ! Les mots mêmes semblent un barrage contenant le torrent de votre fougue, tant toute votre puissance et votre impétuosité paraissent ne pas suffire pour exprimer "une telle liberté", "un tel pouvoir", "une telle jouissance". Je ne saurais cependant exprimer mieux que vous la puissance de l'art. Il y a véritablement en l'art quelque chose de divin, qui nous absout complètement des contingences du monde sensible, lorsque l'on crée ou lorsque l'on est en face d'une œuvre d'art authentique, je veux dire qui s'impose à nous. On est un peu Prométhée dérobant le feu !
    Un tel pouvoir a évidemment de quoi monter au ciboulot pour celui qui en fait son quotidien, il peut entraîner vers des merveilles comme vers des abîmes, "à la folie", comme vous le soulignez et "nombreux sont ceux qui pourraient en témoigner".
    D'ailleurs, à ce propos, vous-même me faites un peu peur, cher Laconique, on pourrait penser un moment que votre raison chancelle à écouter vos appels à être "emprisonné", "torturé", "sodomisé", puis "brisé". Hein, pardon ? Vous n'aviez pas proposé "sodomisé" dans votre beau programme ? Éh, il faut reconnaître que les réjouissances ne sauraient être complètes sans cet oubli de votre part !

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  2. (suite) Bon, plaisanteries mises à part et pour revenir à votre équilibre mental chancelant, votre article rend parfaitement compte de la lutte que se livre votre être, cher Laconique entre la folie de l'art et "la soumission à une loi, à une morale, à une discipline". Et si le dernier paragraphe pourrait nous rassurer sur votre état mental et votre décision finale, les parenthèses ne sont pas là pour le faire, cher Laconique ! Je suppose que votre esprit brillant voguera encore longtemps dans les limbes tourmentés de la souffrance existentielle...

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  3. (Je vous ai mis un telle tartine, cher Laconique, qu'un seul commentaire n'a suffi à la contenir. Que voulez-vous, c'est un comble : Laconique me rend prolixe ! De la lecture en perspective pour vos innombrables lecteurs...)

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  4. Et oui cher Marginal, je savais qu’un article sur l’art ne pouvait vous laisser indifférent… Le Marginal est un esthète né, d’une curiosité insatiable dans tous les domaines, et sur ce sujet vos tartines sont des tartines au caviar, on ne s’en lasse pas !

    Je suis ravi que ce petit texte vous ait encouragé à creuser un peu « La Septième Symphonie » de Bruckner. Grâce à vous aussi j’ai souvent fait fonctionner Youtube : sans le Marginal et ses avis éclairés, je n’aurais sans doute pas vu les bandes-annonces d’ « Evil dead 2013 », de « Maniac », de « Carrie 2013 », de tant de chefs-d’œuvre incontournables ! Pour en revenir à Bruckner, il s’agit, comme la plupart de ses contemporains de la fin du dix-neuvième, d’un artiste total, qui envisageait l’art comme un sacerdoce, c’est pour ça qu’il correspondait bien à mon propos. Pour le reste, j’avoue que mon intérêt pour la musique classique a un peu diminué avec les années : je suis un animal à sang froid, j’essaie d’éviter les épanchements excessifs. Et puis, l’arrivée du DVD a changé les choses, m’a poussé à creuser un art plus objectif, plus intellectuel, plus cynique aussi : le cinéma, qui, pour le coup, n’a aucun secret pour vous !

    Êtes-vous bien sûr qu’il s’agit d’un Monet ? Penchez-vous davantage, zoomez, faites appel à votre instinct, à vos souvenirs, je pense que cette attribution mériterait d’être reconsidérée. En tout cas merci pour le tuyau pour le texte d’une image, je ferai ça si vous n’avez pas trouvé la bonne réponse avant !

    Et oui, mon appétit de culture me pousse à franchir les océans, à traverser les mers, rien ne m’arrête quand il s’agit d’étancher mon appétit dans ce domaine ! Pour ce qui est de Pigalle, je ne suis pas sûr que ce soit le meilleur endroit pour consommer, le bois de Boulogne me paraît plus approprié pour « aller au fond des choses ». Mais je n’en parle que par ouï-dire, vous vous en doutez bien !

    En tout cas tous ces voyages m’ont rendu malade, j’ai chopé une espèce de virus, et, vous l’avez bien décelé, c’est dans un état de semi-délire que j’ai écrit ce texte. C’est un peu contre mes principes esthétiques, mais je me suis dit que pour une fois je pouvais ouvrir les vannes (sans toutefois aller aussi loin que vous le suggérez malicieusement)… Je me suis rattrapé in extremis, vous l’avez noté, et les parenthèses signifient le retour des limites, du cadre, de la raison. Sans doute voguerai-je entre les deux pôles, tout comme le Marginal Magnifique, mais avec des amplitudes moindres que les vôtres malgré tout !

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    1. Bah, alors un Van Gogh cher Laconique, je suis allé un peu vite en besogne que voulez-vous ! C'était d'ailleurs ma première impression mais l'image étant petite je n'ai pas pu bien apprécier le style. Le sujet n'est pas de Monet, même si les artistes changent beaucoup de style et de sujets au cours de leur carrière et on peut ainsi observer de grandes différences entre une toile de jeunesse et l'une de l'artiste accompli... Et j'imagine (je n'ai pas encore fait de recherches sur le net) que peut-être c'est l'un des premiers tableaux de Van Gogh... Enfin je ne suis pas un expert, si vous aviez mis une légende, cher Laconique, cela aurait évité de me ridiculiser !

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    2. Et oui, un Van Gogh, cher Marginal, quand même !... Vous vous y connaissez mieux que moi en peinture, faites honneur à votre réputation !

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  5. Et pour ce qui est du bois de Boulogne, cher Laconique, m'est avis qu'entre deux escapades culturelles vous êtes allé vous aérer dans ses frais bocages pour en parler si bien...

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    1. Oui, j'y suis allé une fois, je l'avoue, mais c'était en plein jour et en famille !

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    2. Oh, allez, cher Laconique, même pas une petite partouze en nocturne à l'abri de quelques fourrés ?

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  6. L'art vous a transcendé Laconique, pour donner toute son intensité, son authenticité, à ce texte vibrant de votre émotion et de votre lyrisme exalté. Vous l'avez cet art, sublimé de votre personnalité et on sent qu'il vous faut vous faire violence dans les dernières lignes, pour redevenir plus rationnel. Une petite incursion de temps en temps dans cet univers parallèle ne peut que pimenter la vie à condition de ne pas se laisser engloutir, c'est si bon d'être passionné et de se laisser aller à une sensibilité d'esthète. Cette dualité entre ses propensions et ce qu'il lui semble être la meilleure ligne de conduite fait toute la vulnérabilité de l'être humain et vous êtes touchant de sincérité dans ce texte si représentatif de votre goût pour l'art. Bonne fin de journée.

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    1. Je vois que vous avez bien saisi le léger délire qui m’animait lorsque j’ai écrit ce texte… Et en effet, comme vous le dites, l’art peut vraiment être l’objet d’une « passion », nous transporter ailleurs, nous mettre dans un état second. Certains, comme les impressionnistes, comme les grands compositeurs romantiques, comme Baudelaire ou Mallarmé, ont consacré leur vie à cet idéal, et la folie, le suicide, la déchéance n’ont pas toujours épargné ces « illuminés ». Mais qui sommes-nous pour les juger ? Pour prétendre que notre mode de vie est plus bénéfique que le leur ? Vous l’avez bien dit, il y a une tension, une dualité, entre l’exaltation esthétique et la discipline rationnelle. Je suppose qu’il faut un peu des deux pour se sentir comme il faut !

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