30 juillet 2014

Jean Cocteau : La Difficulté d'être


       Lu La Difficulté d’être de Jean Cocteau, avec beaucoup de plaisir et d’intérêt. Frappé par la distinction qui émane de ces pages. Cocteau appartient à un autre âge, un âge où les hommes de lettres s’engonçaient dans un costume prestigieux et rutilant et ne le quittaient plus, où chaque phrase, chaque mot, chaque parole portait la marque d'un engagement sans limite au service de leur idéal. Le masque ne tombait jamais, et ils finissaient par se confondre avec leur masque.
       Comme tous les textes autobiographiques, cette Difficulté d’être donne énormé- ment à réfléchir. Il s’en dégage une souffrance intense, permanente, à la fois physique et morale. « J’ai traversé des périodes tellement insupportables que la mort me semblait quelque chose de délicieux. » Et la source du problème est facile à déceler. Il y a une faculté qui est à peu près complètement ignorée par Cocteau, c’est la raison. La beauté l’intéresse, l'émotion l’intéresse, la poésie l’intéresse plus que tout, mais la raison ne l’intéresse pas. Et l’on s’aperçoit que l’on peut bénéficier d’une existence entière au milieu des fées, passer sa vie à peindre, à faire du théâtre et du cinéma, entouré d’actrices, de danseurs et de tout ce que la société compte de plus charmant, sans y trouver pour autant le bonheur, ni l’apaisement. Le grave Zénon de Citium, assis sur sa pierre avec pour seules compagnes sa tempérance et sa vertu, est en fin de compte plus heureux. Ah ! froide raison, austère raison, ennuyeuse raison, ne nous écartons jamais de toi !

4 commentaires:

  1. Ah la la, cher Laconique, vous sollicitez Le Marginal Magnifique avec vos brillants articles, même en période estivale et alors qu'il mène une vie de patachon comme l'attestera la date de publication de ce commentaire que je suis en train de rédiger ! Mais ce n'est pas pour me déplaire au fond, comme cela ne déplait d'ailleurs pas à vos innombrables lecteurs j'en suis certain. Cependant je ne vais pas m'attarder : quelques lignes seulement...

    Votre premier paragraphe aborde un point qui m'a toujours frappé chez beaucoup d'hommes de lettres jusqu'à la moitié du XXème siècle à peu près, cet "autre âge" dont vous parlez, hommes de lettres que je caractériserais pour ma part de particulièrement dignes et hiératiques.

    Ma foi, après cette entrée en matière plaisante et on ne peut plus juste, le second paragraphe entre dans le vif du sujet : le livre de Cocteau que vous avez lu et que je ne connais pas du tout. Le contenu a l'air intéressant, puisque traitant de l'âme humaine, celle de Cocteau en l'occurrence, mais pénétrer au plus profond d'une conscience tourmentée qui étale avec complaisance sa "souffrance intense, permanente, à la fois physique et morale", ne me semble pas sans risque pour la santé mentale. Et Dieu sait si la mienne fut vacillante par le passé, cher Laconique !!!

    Je ne suis pas étonné en tout cas que vivre au "milieu des fées" n'apporte pas la sérénité: la création et le monde du rêve sollicitent beaucoup trop l'imagination et le système nerveux, ne laissant aucune paix. Si ce n'est certes pas une vie de sage, c'est une vie d'émotions brutales, d'éclat et d'intensité ! tout le contraire effectivement de la "froide raison, austère raison, ennuyeuse raison".
    Affirmer cependant qu'il ne faut pas "s'écarter" de celle-ci, c'est un parti pris risqué que je ne saurais prendre, car on peut déceler une forme de sagesse pas moins insensée dans le fait de faire flamber sa vie sur le grand huit des émotions, cher Laconique !

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  2. Ah là là là ! cher Marginal, qui sait de quel gouffre de turpitudes je vous tire pour rédiger ce brillant commentaire, à 3 h 30 du matin ? J’ai même vu, sur votre cultissime site, que vous aviez encore repoussé cette limite ! Soit vous êtes très matinal, comme les moines bouddhistes, soit vous confondez le jour et la nuit ! Je penche plutôt pour la seconde option… Mais bon, c’est le vingt-et-unième siècle, y a plus vraiment de normes.

    En tout cas l’heure avancée ne vous a pas fait perdre votre clairvoyance. Vous avez bien saisi l’esprit de ce texte de Cocteau. Il est très bien écrit, « hiératique » en effet, un trait de caractère qui se perd. La télévision est passée par là, pour le meilleur et pour le pire. Disons qu’un peu de tenue ne faisait pas de mal à la littérature. Même chez Sagan, qui était loin d’être une none, on trouve une aversion pour la vulgarité qui m’a frappé la dernière fois que je l’ai lue.

    Je ne sais pas si Cocteau représente vraiment un risque pour la santé mentale ! A mon avis il y a bien pire, le moindre film trouble plus la sérénité intérieure, et pour rester dans le domaine de la littérature, que dire alors de Cioran, de Nietzsche, même de Freud qui voit des pathologies partout !... En tout cas je partage totalement votre opinion sur les dangers de l’imagination sur le système nerveux. Le monde imaginaire est une drogue, et le monde réel est souvent tellement ingrat qu’il est tentant de couper les amarres et de s’enfoncer dans les fantasmagories. Beaucoup n’en sont pas revenus, et j’ai remarqué en lisant des biographies d’auteurs de SF sur Wikipedia que beaucoup avaient des problèmes d’alcoolisme ou de drogue, comme K. Dick, Dantec, etc. Et je suis convaincu que l’overdose de ce pauvre Heath Ledger est un peu liée au contexte du tournage de « L’Imaginarium du docteur Parnassus ». Une fois qu’on met un pied hors du monde, il n’est pas toujours aisé d’y revenir… Il ne s’agit pas de juger, après tout, comme vous l’avez dit, c’est un choix comme un autre… Il y a même peut-être plus de panache à dessiner sa vie et sa déchéance de A à Z plutôt que de subir passivement. Quoiqu’il en soit, je ne suis pas encore près de m’engager sur le grand huit des émotions. Je reste fidèle au Tao, et « tout ce qui émane du Tao est monotone et sans saveur » !

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  3. Pas très réjouissante cette "difficulté d'être" mais comme vous l'écrivez Laconique, intéressante à lire, car cette plongée dans l'âme tourmentée et douloureuse de l'écrivain évoque bien la complexité de la nature humaine et sa quête éperdue du "bien-être", entre idéal et réalité.

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  4. Lire "La Difficulté d'être" est tout de même plus réjouissant que bien d'autres activités dans la vie ! Il est vrai que Cocteau raconte ses souffrances, mais quand c'est fait avec intelligence, style et distinction, c'est très plaisant. Oui, si l'âme de Cocteau était, comme vous le dites, "tourmentée et douloureuse", c'est qu'il n'a jamais su choisir entre l'idéal et la réalité. On ne peut pas vivre sans idéal, mais il faut choisir un idéal qui soit compatible avec la réalité. Comme les philosophies antiques par exemple...

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