14 janvier 2015

Éloge de Zénon de Citium


       
       Si l’on me demandait quel philosophe de l’Antiquité me paraît le  plus sage, je crois que je citerais Zénon de Citium, le fondateur du stoïcisme. C’est le moins extravagant de tous. La sagesse de Pythagore est empreinte d’ésotérisme ; celle de Diogène et de Socrate est trop ostentatoire ; celle de Platon trop volubile. Épicure et Pyrrhon seraient parfaits, s’ils ne restreignaient pas leur regard dans des limites si étroites et si prosaïques. La voie du sévère Zénon semble être la plus droite et la plus directe. Pas de grands discours, de la vertu, de la sobriété, et une grande confiance en la Providence. C’est avec ces ingrédients tout simples que le stoïcisme a pu conquérir Rome, pourtant si rétive aux influences étrangères.
       Toute l’œuvre de Zénon a disparu. Il n’en reste rien. Je dois avouer que cette perte ne m’afflige pas trop. Si nous avions les textes de Zénon, nous serions sans doute rebutés par des classifications arbitraires, des démonstrations laborieuses. Au lieu de cela, sa figure nous est parvenue dans toute sa pureté. À vrai dire, cinq lignes suffisent pour assurer l’immortalité de sa mémoire, ce sont celles que la cité d’Athènes a fait graver après sa mort sur une stèle placée à l’Académie, où elle le loue d’avoir prôné la tempérance et la vertu, et d’avoir mené une vie conforme à sa doctrine. Un tel éloge vaut bien tous les traités du monde.

11 commentaires:

  1. Bah, on revient à la source avec vous, cher Laconique ! Depuis le stoïcisme, la philo a eu beau chercher, elle n'a pas fait mieux, elle a juste réussi à s'égarer en des méandres laborieux et coupés du réel. Comme vous le dites, "pas de grands discours", "de la sobriété" : voilà des "ingrédients simples", mais essentiels !

    Ah, cher Laconique, vous-même suivez la voie de Zénon, vos innombrables lecteurs ne s'y trompent pas en vous suçant la bite virtuellement !

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  2. Eh oui cher Marginal, revenir aux sources ne fait pas de mal, comme vous-même l’illustrez avec conviction sur le Marginal Magnifique ! En l’occurrence, il est vrai que le stoïcisme est la base de la plupart des philosophies qui suivront, lesquelles reprendront ses postulats avec moins de clarté et moins de modestie. Et Zénon est un personnage sympathique et atypique : au sein d’une nation de bavards et d’exaltés, il a tracé sa voie avec détermination, faisant fi de l’éloquence athénienne. C’est comme cela que l’on bâtit des doctrines durables !

    Ma foi, cher Marginal, ma bite virtuelle ne réclame nullement un tel traitement de faveur, elle se contente de manifester son enthousiasme à la lecture du Marginal Magnifique !

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  3. Ah, le stoïcisme ! Michel Clouscard a écrit quelque part qu’il s’agissait en réalité d’une recherche de la juste ligne en matière de consommation après qu’un équilibre eût été perdu. Il faudrait que je publicise son texte à l’occasion…

    En bon matérialiste je serais tenté d’y voir un repli des Hellènes sur le monde de l’intériorité, une sortie de la vie publique liée à l’étouffement de la politique par la domination romaine. Mais ça n’expliquerait pas pourquoi le stoïcisme commence avec Zénon, ni sa popularité à travers les siècles…Le mystère reste entier.

    Je mentirais en disant que cette doctrine m’attire particulièrement, mais néanmoins il me plaît que l’ayez choisie comme idéal, Laconique. Car si nous étions tous identiques, ce monde serait beaucoup trop ennuyeux ! Je suis sûr que votre exubérant compère le Marginal Magnifique ne me contredira pas.

    « La sagesse de Pythagore est empreinte d’ésotérisme ; celle de Diogène et de Socrate est trop ostentatoire ; celle de Platon trop volubile. Épicure et Pyrrhon seraient parfaits, s’ils ne restreignaient pas leur regard dans des limites si étroites et si prosaïques. »

    Quid de Démocrite le Rieur et d’Héraclite l’Obscur ? C’est la question de tout le monde se pose, je n’en doute pas.

    J’ai une autre question (qui ne va pas améliorer ma réputation de rabat-joie pointilleux) : qu’est-ce qui vous fait penser que Rome était « rétive aux influences étrangères » ? J’aurais cru le contraire : adoption d’un panthéon étranger, conversion finale au christianisme, extension de la citoyenneté aux populations conquises…Il y a même eu un culte d’Isis à une époque ! Et je ne vous parle même pas des empereurs d’origine africaine (phénomène certes tardif). Non, ce jugement m’étonne.

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  4. Hé bien cher Jonathan Razorback, on reconnaît l’expert ! Au risque de m’attirer les flèches du Marginal, je ne peux que louer votre sagacité, vous maîtrisez parfaitement les enjeux profonds de points que je n’ai fait que survoler. Je ne peux guère contester votre diagnostic sur le stoïcisme, il s’agit en effet d’un repli sur l’intériorité, né à l’époque où le foisonnement politique du V ème siècle n’était plus qu’un lointain souvenir. Zénon avait d’ailleurs d’autant moins de raisons de s’engager sur la scène publique qu’il était originaire de Chypre. L’âge philosophique succède toujours à l’âge héroïque, on voit la même chose dans l’histoire de Rome.

    Je suis bien d’accord avec vous sur le pluralisme. Une doctrine ne trouve sa vigueur que parce qu’elle en côtoie d’autres qui lui sont opposées. Dès qu’elle devient hégémonique, elle perd sa vitalité, c’est la mort de la pensée, c’est l’hiver et les ténèbres (pour parler comme Renzo Novatore, que vous avez rendu accessible en français sur Les Cahiers de l’Hydre).

    Héraclite n’est pas un penseur systématique, c’est pourquoi je ne le mettrais pas sur le même plan qu’Épicure, Platon ou Zénon. C’est un brillant original, mais je ne sais pas si on peut discerner une « voie d’Héraclite ». Quant à Démocrite, contrairement à ce pourraient laisser supposer mes convictions idéalistes, j’ai le plus grand respect pour lui. Je le connais assez mal, mais à chaque fois que j’ai mis le nez dans ses fragments, j’ai senti de la noblesse, une pensée ferme et courageuse, une vraie trempe de philosophe. Mais c’est un matérialiste, et je suis du bord opposé…

    On ne vous la fait pas sur Rome ! Disons qu’il y a toujours eu les deux tendances qui s’y sont affrontées : à côté des Scipions ouverts sur le monde, il y avait les Catons traditionnalistes et nationalistes. Je me souviens avoir lu dans Sénèque que celui-ci se plaignait de devoir utiliser des mots grecs pour parler de philosophie, à défaut de termes latins appropriés. Mais il est vrai que Rome ne s’est pas gênée pour piller ce qui lui plaisait chez les autres, à commencer par les institutions étrusques, ce que ses historiens se sont bien gardés de souligner. Je maintiens quand même que la sensibilisation de Rome à la philosophie grecque ne s’est pas faite sans résistances, cf. l’anecdote de Caton conseillant au sénat de renvoyer Carnéade en Grèce sans même lui donner la parole.

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    1. Pourquoi donc louer M. Razorback "au risque de vous attirer les flèches du Marginal" ?

      Le Marginal Magnifique ne demande pas un amour exclusif de votre part, cher Laconique, et le M. Razorback en question se révèle au fil des commentaires un interlocuteur intéressant, intelligent et cultivé, bien que, je l'avoue, j'aie pu m'imaginer, lors de ses toutes premières interventions, qu'il ne fût qu'un cuistre de plus.

      Et pour ce qui est des civilisations antiques, M. Razorback est pour vous un bien meilleur interlocuteur que votre serviteur Le Marginal Magnifique dont les connaissances sont plus que limitées dans ce domaine.

      C'est avec plaisir donc que je constate les passages de M. Razorback chez vous, cher Laconique !

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    2. Vous m’avez mal compris, cher Marginal ! Ce qui me faisait redouter vos « flèches », ce ne sont nullement mes échanges avec M. Razorback, mais l’aménité qui y règne. En louant la pertinence des observations de mon interlocuteur, je craignais que vous ne m’accusassiez de me livrer à ce genre de pratiques bucco-génitales auxquelles vous avez fait référence dans votre commentaire. Je sais que le Marginal Magnifique aime les échanges vifs et nerveux, et qu’il pourrait dire, comme Harvey Keitel dans « Pulp Fiction » : « Si vous le voulez bien les gars, on se taillera des pipes plus tard. »

      Ne faites pas le modeste, je sais que vos connaissances dans le domaine des « civilisations antiques » ne sont nullement limitées, et que vous avez déjà tâté (au sens figuré bien sûr) Platon et Sénèque, et bien d’autres textes comme la « Batrachomyomachie », que je n’ai pas encore lue pour ma part. Mais en fin connaisseur des dynamiques sociales, vous savez qu’il vaut mieux passer au premier abord pour un rustre, afin de déployer ensuite sa puissance avec un effet décuplé… Votre modestie n’est qu’une subtilité de plus !

      En tout cas vous m’avez bien fait rire avec vos images subliminales !

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  5. Quoi qu'il est tenu à mon endroit des propos bienveillants, la fascination du Marginal Magnifique pour le film de Mulcahy commence à devenir gênante...vais-je devoir changer de pseudonyme ?

    Par ailleurs il surestime mon érudition. Par exemple, j'ignore tout de Caton l'Ancien (que l'Encyclopædia Universalis dit sévère de caractère), hormis que lui doit la terrible parole: Delenda est Carthago !

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  6. Avec vous Laconique, je n'en finis pas de me cultiver. Etant un excellent critique littéraire, vous donnez envie de se documenter sur les écrivains et philosophes que vous mettez à l'honneur et les commentaires de vos deux lecteurs fidèles, Le Marginal Magnifique et Razorback sont également source de culture. Ainsi j'avoue humblement que j'ignorais beaucoup de Zénon de Citium et vous avez suscité mon intérêt à son sujet. Donc, c'est toujours avec une grande curiosité littéraire et un réel plaisir que je visite votre site.

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  7. Ne me flattez donc pas tant cher ami, je suis avant tout un dilettante et j’écris ici pour le divertissement avant tout. Il ne faut pas trop se prendre au sérieux quand on écrit, surtout sur Internet, on sombre vite dans le ridicule sans s’en apercevoir. C’est pourquoi le second degré du Marginal et de M. Razorback est très appréciable. En ce qui concerne Zénon de Cittium, c’est un immense philosophe, une nature d’airain, mais il ne reste aucun texte de lui. Ce n’est pas plus mal, son message ne nous en est parvenu que plus épuré !

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  8. Je ne cherche en aucune façon à vous flatter Laconique. Je suis avant tout sincère et dis et écris exactement ce que je pense . C'est toujours avec une grande curiosité culturelle, que je visite votre site et la déception n'est jamais au rendez-vous. Je vous trouve très pertinent dans vos jugements et intelligent dans vos critiques qui ouvrent à la réflexion. Vos deux fidèles commentateurs, Le Marginal et Rasorback, chacun dans leur style me paraissent eux aussi de sacrés esprits et de fortes personnalités. En espérant ne pas avoir trop écorché votre modestie, je vous souhaite une bonne soirée.

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