28 juillet 2017

Conversation avec Michel Houellebecq

Je me promenais l’autre jour avec Michel Houellebecq dans une grand ville de la Côte d’Azur. Nous marchâmes le long des plages, puis nous allâmes faire un tour en centre-ville. Après avoir regardé les boutiques de luxe, nous nous assîmes à la terrasse d’un café bondé. Michel me paraissait tendu, soucieux. Vers le soir, comme le soleil se couchait, nous retournâmes nous asseoir au bord de la mer. La plage se vidait peu à peu, le silence s’installait, à peine troublé par les éclats de voix provenant des restaurants un peu plus loin. Michel alluma une cigarette, soupira et prononça les paroles suivantes :
« Il n’y a dans cette société à laquelle tu appartiens que deux valeurs dominantes : l’argent, le cul. La valeur d’un homme se mesure strictement à son pouvoir d’achat, celle d’une femme à son potentiel d’attraction. Et c’est ainsi que le monde se perpétue. Gagner de l’argent, baiser, voilà les deux seules attitudes qui sont en cohérence avec la nature de l’homme telle qu’elle a été construite au vingt et unième siècle. Tout le reste revient à sortir du jeu. Or l’homme ne peut être heureux que s’il est en accord avec la société qui l’entoure. Il faut se sentir porté par quelque chose qui nous dépasse. Un résistant ne peut pas être heureux. Voilà pourquoi toutes tes voies spirituelles sont vouées à l’échec : le Tao, le bouddhisme, le christianisme, c’est chercher son bonheur tout seul, se poser à contre-courant de la société, comme le saumon du poème. C’est ton Platon qui avait raison : le bonheur doit être l’affaire du groupe, pas de l’individu. Au fond, il n’y a que deux sociétés possibles : la cité platonicienne, où la liberté individuelle est nulle, et où la contrainte générale aboutit au bonheur collectif ; et la société libérale narcissique dans laquelle nous vivons, dans laquelle personne n’est heureux, ni ceux qui se font broyer par la lutte consumériste-libidinale, ni la masse de ceux qui en sont exclus. En ce qui nous concerne, le choix a été fait il y a longtemps déjà, et ce ne sont pas les avancées technologiques récentes, qui reposent toutes sur la sensation, l’immédiateté et l’image, qui vont améliorer les choses, bien au contraire. Tu pourras être lucide, tu pourras être vertueux, mais jamais tu ne seras heureux. »
Et je regardais les volutes de fumée de sa cigarette s’élever vers le ciel obscur.

10 commentaires:

  1. Je suis passé et j'ai lu. Maintenant j'éteins l'ordi. Je laisse place à vos innombrables lecteurs, cher Laconique, qui peut-être se monteront plus diserts.
    PS : ce Houellebecq est toujours aussi optimiste à ce que je vois. Mais vous a-t-il proposé de faire un tour à bord de l'un de ses bolides ?

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  2. Vous vous prenez pour Jules César, cher Marginal ! Merci quand même d'être "passé", ça fait toujours plaisir, mais vous savez il n'y a pas d'obligation...

    On voit que vous avez lu les bouquins de Houellebecq. Mais sa période "bolides" c'était en 2005, dans "La Possibilité d'un île". Depuis, comme nous tous, il s'est pris les dix années infectes dans la gueule, et je ne sais pas s'il est encore en état de conduire... Y a qu'à voir ses photos récentes...

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    1. Ne vous méprenez pas, cher Laconique, ça me fait plaisir de passer et de vous lire ! Mais je n'ai pas envie de m'éterniser et de me fendre d'un long commentaire dont la rédaction me bloquerait devant l'écran.

      Concernant Houellebecq, notez que je n'ai même pas mentionné ses frasques sexuelles, tant je vous rejoins et imagine qu'il a épuisé ses plus grandes sources de plaisir. Toutefois, s'il s'abstient de se faire sucer la bite aujourd'hui par de jeunes femmes tarifées après les avoir enculées, je ne sais pas s'il a renoncé tout à fait aux joies automobiles ce vieux queutard usé...

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  3. "Nous sommes arrivés en des temps très mauvais, et le monde est devenu très vieux et malfaisant. Les hommes politiques sont très corrompus. Les enfants ne respectent plus leurs parents."
    -Inscription sur une stèle chaldéenne, 3800 avant J.C.

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  4. En gros, cher Johnathan Razorback, il y a toujours eu des réactionnaires, et j’en fais partie… Mais on peut toujours trouver des citations selon lesquelles le mal ne date pas d’hier :

    « Nous sommes présentement dans le quatrième âge, le Kali-Yuga ou « âge sombre », et nous y sommes, dit-on, depuis déjà plus de six mille ans. »

    René Guénon, « La Crise du monde moderne ».

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    1. Comme quoi c'est peut-être la vie le problème, voire, plus précisément, l'être humain...

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    2. En ce qui me concerne je conteste toutes les prémisses qui sous-tendent la vision de Houellebecq (qui n'est jamais qu'un mauvais écrivain décadentiste reproduisant une critique du "libéralisme-libertaire" qu'il n'a nullement inventé), et en particulier la phrase sur le résistant. Je la crois profondément fausse.

      Comme disait Alain: "Les sages d'autrefois cherchaient le bonheur ; non pas le bonheur du voisin, mais leur bonheur propre. Les sages d'aujourd'hui s'accordent à enseigner que le bonheur propre n'est pas une noble chose à chercher, les uns s'exerçant à dire que la vertu méprise le bonheur [Kant], et cela n'est pas difficile à dire ; les autres enseignant que le commun bonheur est la vraie source du bonheur propre [les utilitaristes], ce qui est sans doute l'opinion la plus creuse de toutes, car il n'y a point d'occupation plus vaine que de verser du bonheur dans les gens autour comme dans des outres percées ; j'ai observé que ceux qui s'ennuient d'eux-mêmes, on ne peut point les amuser ; et au contraire, à ceux qui ne mendient point, c'est à ceux-là que l'on peut donner quelque chose, par exemple la musique à celui qui s'est fait musicien. Bref il ne sert point de semer dans le sable ; et je crois avoir compris, en y pensant assez, la célèbre parabole du semeur, qui juge incapables de recevoir ceux qui manquent de tout. Qui est puissant et heureux par soi sera donc heureux et puissant par les autres encore en plus. Oui les heureux feront un beau commerce et un bel échange ; mais encore faut-il qu'ils aient en eux du bonheur, pour le donner. Et l'homme résolu doit regarder une bonne fois de ce côté-là, ce qui le détourne d'une certaine manière d'aimer qui ne sert point.
      M'est avis, donc, que le bonheur intime et propre n'est point contraire à la vertu, mais plutôt est par lui-même vertu, comme ce beau mot de vertu nous
      en avertit, qui veut dire puissance. Car le plus heureux au sens plein est bien clairement celui qui jettera le mieux par-dessus bord l'autre bonheur [venus des circonstances extérieures], comme on jette un vêtement. Mais sa vraie richesse il ne la jette point, il ne le peut ; non pas même le fantassin qui attaque ou l'aviateur qui tombe ; leur intime bonheur est aussi bien chevillé à eux-mêmes que leur propre vie ; ils combattent de leur bonheur comme d'une arme ; ce qui a fait dire qu'il y a du bonheur dans le héros tombant. Mais il faut user ici de cette forme redressante qui appartient en propre à Spinoza et dire : ce n'est point parce qu'ils mouraient pour la patrie qu'ils étaient heureux, mais au contraire, c'est parce qu'ils étaient heureux qu'ils avaient la force de mourir. Qu'ainsi soient tressées les couronnes de novembre." -Alain (Émile Chartier), "Bonheur est vertu", 5 novembre 1922, in Propos sur le bonheur, Paris, Éditions Gallimard, Collection folio-essais, 1928, 218 pages, p.187-188.

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    3. Je ne sais pas, cher Johnathan Razorback, l’individualisme hédoniste j’en bouffe depuis que je suis né. Je crois que ça conduit beaucoup de gens à l’isolement, et beaucoup de gens à une insatisfaction durable. C’est sans doute le seul système viable, mais on a le droit de rêver à d’autres idéaux.

      Et sinon Houellebecq a baissé ces dernières années, et il a des côtés déplaisants sur le plan humain, mais je n’irais pas jusqu’à le qualifier de « mauvais écrivain », loin de là !

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    4. J'avais commencé, comme je vous l'ai dis, Les Particules élémentaires (1998), et j'ai une saine réaction de dégoût qui m'a fait arrêté très vite.

      Ma soeur m'a fait lire certains des poèmes de Houellebecq (recueil La Poursuite du Bonheur, 1991): hé bien c'est nul de chez nul, à des années-lumières d'un Marginal Magnifique ou d'un Renzo Novatore (je me permets de signaler au premier l'existence du second ;) ). Donc non, la catastrophe ne date pas de ces dernières années...

      Sur nos contemporains, je ne pense pas du tout que le problème vienne de l'individualisme (au contraire), mais plutôt d'un déficit de rationalité, de moralité (ce qui revient au même). Et d'un manque de raffinement, de goût. Mais la solution, comme dit bien Nietzsche, n'est pas de punir les instincts (position stoicïenne/chrétienne/boudhiste), mais de les spiritualiser, de leur donner une forme supérieure, artistique (ce que Nietzsche nomme "danser dans des chaînes"). La réflexion sur la question fait partie de la meilleure part de l'effort philosophique de Nietzsche, à mon sens. Même si le problème est loin d'être résolu (et quand on voit des députés de la majorité se balader en tongs dans l'Hémicycle, on sent que le dépassement du laisser-aller n'est pas "en marche"...).

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