Il y a quelques mois, j’ai revu Broadway Danny Rose de Woody Allen. C’est un de ses films les moins connus. Un film de 1984, en noir et blanc, avec Mia Farrow. J’ai passé un moment délicieux. Le plaisir que j’ai ressenti alors, pourtant, m’apparaît comme la quintessence même du mensonge inhérent à l’art cinématographique. Confrontons donc le rêve avec la réalité :
Brice a vu le film en 1984, à sa sortie, alors qu’il avait dix-sept ans. Il en est ressorti dans un état d’euphorie. La vie qui l'attendait lui apparaissait comme une aventure merveilleuse : il aurait de l’esprit, comme Woody Allen dans le film, il serait mêlé à des situations à la fois palpitantes et cocasses, il aurait des conversations drôles et spirituelles avec des impresarios véreux, des artistes excessifs mais attachants, des créatures plantureuses, névrosées et sentimentales. Toutes les aspirations esthétiques et romantiques qui sommeillaient au fond de son être seraient comblées.
Aujourd’hui Brice est célibataire divorcé à Cergy-Pontoise. Il perd ses cheveux. Il fume trop. Les gosses en bas de son immeuble font du bruit tous les soirs jusqu’à minuit. Quand il allume sa télé, il voit Emmanuel Macron et Booba.
Prenons maintenant Woody Allen. Les promesses ont-elles été tenues ? En 1984, Woody Allen était un artiste brillant, au sommet de son art, il tournait des chefs-d’œuvre avec la femme qu’il aimait, il avait Hollywood à ses pieds. Aujourd’hui, sa carrière est derrière lui, c’est un demi-paria à Hollywood, Mia Farrow le tuerait si elle en avait la possibilité, et rien n’a guéri l’angoisse de la mort qui transparaît dans ses films.
Le cinéma réveille nos sentiments les plus profonds, il nous fait miroiter une existence pleine de contrastes et de paroxysmes, il nous remplit d’une émotion d’autant plus forte qu’elle s’appuie sur l’art, c’est-à-dire sur la maîtrise totale de la matière. Mais au bout du compte, il s’agit d’un mensonge, le plus terrible et le plus pernicieux des mensonges, car il affaiblit l’être et le paralyse au lieu de l’affranchir de la tyrannie des sens.
La vérité est pourtant simple. Elle a été exprimée par tous les sages, à toutes les époques, sur tous les continents :
Quand il a pris une retraite solitaire,
Apaisé son esprit, et de la Loi reçu une vision claire,
Le bhikku connaît une joie inaccessible aux hommes. (Dhammapada, 373).
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