21 juin 2019

Stephen King : Ça



Achevé ces jours-ci la relecture intégrale de Ça, de Stephen King, que j’avais entreprise il y a presque deux ans. J’ai du mal à parler objectivement de ce roman. S’il y a un livre qui a changé ma vie, qui l’a vraiment fait basculer, c’est celui-ci. Au fond deux livres ont changé ma vie : Ça de Stephen King et les Vies des hommes illustres de Plutarque. J’avais douze ans quand je l’ai lu. Je me souviens de ce qui m’en a donné envie : il y avait une fille de mon âge, franchement laide, mauvaise élève, et que je connaissais à peine, que j’ai vue un jour en train de lire ce gros pavé, assise sur les marches, à la récré. J’ai ressenti quelque chose, et une fois que j’ai mis le doigt dans l’engrenage de Stephen King il ne m’a plus lâché.
Il y a des défauts dans Ça, ce n’est pas un joyau ciselé comme Simetierre par exemple. Les scènes d’horreur, en définitive, sont assez artificielles, fastidieuses, ce sont des passages obligés. Ce qui rend ce livre incomparable, ce qui en fait l’épopée de toute une génération, c’est l’ambiance, les personnages, cet été poisseux de 1958 dans une ville moyenne de Nouvelle-Angleterre, avec Ben l’obèse, Bill le bègue, Beverly et son père alcoolo. Ce sont des choses qui vous prennent aux tripes, face auxquelles on ne peut pas rester indifférent. C’est là le point fort de King, dans tous ses textes. Je me souviens d’une nouvelle par exemple, intitulée Le Radeau. L’élément fantastique n’est qu’un prétexte, ce qui compte et rend cette nouvelle inoubliable, c’est tout le reste : le décor triste et menaçant d’un petit lac isolé à la fin du mois d’octobre, les personnages qui emportent des bières dans leur vieille voiture, les filles et leurs corps offerts, le désir et la peur. La substance même de la vie. L’intrigue vient après. En cela, King se distingue complètement des épigones qu’il a créés en France (Musso, Chattam), dont les romans n’existent que par l’intrigue. Et c’est essentiel. Au fond on ne lit pas des romans pour entendre une histoire, mais parce qu’on a envie de rester avec des personnages, pendant des heures et des heures, dans des environnements cohérents, consistants, au point qu’on a l’impression d’y être. Et pas de courir frénétiquement d’un bar de New York à un loft cosy de San Francisco comme chez Musso.
J’ai l’impression que tout ce que je pourrais écrire sur Ça serait insuffisant, extérieur. Il y a des longueurs, on voit les ficelles partout, et le monstre n’est pas vraiment marquant en fin de compte. Mais dans cet amas difforme et disproportionné, il y a quelque chose de vrai qui passe, qui nous touche au plus profond de nous-même, et qui nous transforme, surtout quand on a douze ans : comme un ruisseau marécageux et malodorant, à la fin du mois d’août, au milieu des friches, dans lequel on irait jouer et oublier tout le reste, avec des gens comme nous, avec des amis.

3 commentaires:

  1. Éh ben, vous envoyez quelque chose en lecture, cher Laconique ! Vous êtes un vrai passionnée et ça se sent. Et j'aime bien quand vous parlez de ce qui vous touche vraiment, ce qui fait votre essence, la littérature....

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  2. Eh oui, cher Marginal, je lis beaucoup, mais là pour Ça j’ai pris le temps, presque deux ans quand même… Mais je suis passé directement de la collection Zanzibar à Ça, ça m’a fait un choc, je comprenais pas tout. Quand au début King parle de l’assassinat d’une « tante » je ne comprenais pas, c’est vous dire. Y a des longueurs, mais ce King est trash, il plonge dans les égouts, et rien que pour ça je pourrais passer des heures avec lui.

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