24 octobre 2019

Ronald Reagan, Mohamed Ali et la fin de vie



Champions aren't made in gyms. Champions are made from something they have deep inside them – a desire, a dream, a vision.

Mohamed Ali

The future doesn't belong to the faint-hearted ; it belongs to the brave.

Ronald Reagan

Je discutais l’autre jour avec un vieil ami.
« Je ne comprends pas, lui dis-je, que l’on puisse accepter de mener une vie diminuée. Le jour où je ne pourrai plus communiquer avec mes proches, où je devrai cesser de faire tout ce qui compte pour moi dans la vie : rire, parler, lire, me promener librement – ce jour-là, à quoi bon continuer de vivre ? Je ne veux pas finir comme un légume. »
Mon ami soupira, garda le silence pendant un long moment, puis il me dit doucement :
« Ce n’est pas la première fois que j’entends ce genre de discours. Laisse-moi te parler de deux hommes – et même trois – qui ont beaucoup compté au vingtième siècle, qui ont vraiment marqué leur temps et changé le monde.
Tu as peut-être entendu parler de Ronald Reagan. Il a un bilan extraordinaire, dans tous les domaines. Un charisme rare et une volonté de fer. C’est le seul président des États-Unis après la Seconde Guerre mondiale qui a fait deux mandats et qui a transmis le pouvoir à son vice-président. « Not bad. Not bad at all », a-t-il commenté lors de son allocution de départ. On lui a tiré dessus en 1981, il a survécu. Il a redonné confiance à l’Amérique après plusieurs décennies noires : l’assassinat de Kennedy, la démission de Nixon, la défaite de Carter, etc. Il a insufflé un souffle d’optimisme et de volonté qui a nourri les films d’action culte de cette décennie : Rambo II, Rocky III, les films de Schwarzenegger, etc. C’était le plus vieux président des États-Unis jamais élu, et il avait soixante-dix-sept ans quand il a quitté le pouvoir, en 1989.
En 1994, on lui a diagnostiqué la maladie d’Alzheimer. Il écrit alors une lettre très simple au peuple américain, puis il cesse toute apparition publique. De fait, il avait eu quelques absences depuis un certain temps déjà, paraît-il.
À la fin sa vie, Ronald Reagan reconnaissait-il ses proches ? Il paraît que non. Il est mort à un âge très avancé, à quatre-vingt-treize ans, le 5 juin 2004.
Laisse-moi maintenant te parler de Mohamed Ali. C’était un boxeur du vingtième siècle. Il était même un peu plus que cela, à la vérité. C’était une véritable légende, qui a été élu « sportif du siècle » par plusieurs magazines spécialisés, et qui a largement transcendé son domaine d’origine. Il a refusé de participer à la guerre du Vietnam, ce qui lui vaudra de passer en justice. C’était un caractère fier, inflexible, connu pour son orgueil démesuré et ses outrances verbales. Il a laissé une trace indélébile, dans son sport et bien au-delà.
En 1984, on lui diagnostique la maladie de Parkinson. En 1996, il est le dernier porteur de la flamme aux Jeux Olympiques d’Atlanta. Ces images sont entrées dans l’Histoire. On le voit avancer d’une démarche rigide, l’œil fixe, la main tremblante, le visage figé. Tout le contraire de l’homme plein de vivacité que l’on connaissait jusqu’alors. Pendant des années, il continuera d’apparaître et de s’engager, notamment en faveur de la lutte contre la maladie de Parkinson. Il vivra pendant trente-deux années avec cette maladie, et il est mort le 3 juin 2016, à soixante-quatorze ans, vingt ans après les Jeux d’Atlanta.
Ronald Reagan et Mohamed Ali ont-ils vécu leurs dernières années en vain ? Aurait-il fallu accélérer leur fin de vie, sous prétexte qu’ils ne pouvaient plus communiquer de la même manière avec leurs proches ? Ce qu’il faut noter, c’est que l’un comme l’autre n’ont jamais placé l’intelligence ou les capacités de communication au premier plan de leurs valeurs, mais bien le courage, ce courage incroyable qui leur a permis de surmonter des épreuves terribles et d’être une source d’inspiration pour les âges futurs. Pour eux, qui avaient tout connu, qui avaient atteint les sommets, la vie gardait un sens, même après la perte de leurs capacités relationnelles ou cognitives, et ce pendant des années, des décennies. L’un et l’autre étaient très croyants, et la Bible ne fait jamais l’éloge de l’intelligence ou du charisme, mais du « cœur », cette faculté plus profonde, intérieure, d’où « jaillit la vie » (Pr, 4, 23).
Tu me dis que tu ne veux pas finir comme un légume. Laisse-moi te lire quelques lignes de l’encyclique Evangelium vitæ de Jean-Paul II, publiée en 1995 : « Il faut évoquer la logique qui tend à identifier la dignité personnelle avec la capacité de communication verbale explicite et, en tout cas, dont on fait l’expérience. Il est clair qu’avec de tels présupposés il n’y a pas de place dans le monde pour l’être qui, comme celui qui doit naître ou celui qui va mourir, est un sujet de faible constitution, qui semble totalement à la merci d’autres personnes, radicalement dépendant d’elles, et qui ne peut communiquer que par le langage muet d’une profonde symbiose de nature affective » (19).
Jean-Paul II était lui-même très diminué pendant de longues années, à la fin de sa vie. Tout le monde se souvient de ces images où on le voit courbé, presque incapable de se mouvoir, de s’exprimer. Il a pourtant continué son apostolat jusqu’au bout, et a publié une dernière encyclique en 2003, deux ans avant sa mort, Ecclesia de Eucharistia, dont les dernières lignes font précisément appel au cœur, contre l’intelligence : « Si, face à ce mystère, la raison éprouve ses limites, le cœur, illuminé par la grâce de l’Esprit Saint, comprend bien quelle doit être son attitude, s’abîmant dans l’adoration et dans un amour sans limites » (62).
Peut-être que mon intelligence s’éteindra. Peut-être que je ne pourrai plus communiquer avec mes proches. Mais je connais mon cœur. Et tant que mon cœur battra, tant qu’il me prêtera un souffle de vie, j’estime que celle-ci aura un sens. »

2 commentaires:

  1. C'était pourtant bien parti, cher Laconique, mais, avec vous, il faut toujours que l'on retombe soit sur des délires politiques soit sur du prosélytisme religieux !

    D'autant qu'il existe différents degrés dans le fait d'être diminué, auxquels s'ajoutent la situation sociale et familiale de chacun : vos deux fameux exemples étaient loin d'être des légumes et en plus ils avaient du fric. C'est tout autre chose que d'être un total inconnu, pauvre, sans famille, cloué au lit, qui se fait quotidiennement torcher le cul par un gros infirmier !

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  2. Ah là là, cher Marginal, jamais content… Ok, vous n’avez pas tort, sans doute, mais c’est un sujet grave, sérieux, je ne vais pas polémiquer. Disons que si j’ai pu rendre hommage à R. Reagan, Mohamed Ali et J.-P. II, c’est déjà pas si mal. Vous savez que je suis fan de Reagan, il y a plusieurs articles sur ce site où il apparaît. Je connais moins bien Mohamed Ali, mais je trouve que la fin de sa vie force vraiment le respect, tout comme le reste d’ailleurs.

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