
Lu Infernet, de Pacôme Thiellement. Il s’agit de la mise par écrit d’une série de chroniques vidéo que l’auteur a faites pour le média Blast, et dans lesquelles il revient sur plusieurs épisodes emblématiques (et souvent tragiques) de l’ère d’Internet aux États-Unis : les affaires Gabby Petito, Marina Joyce, Mother God, Elisa Lam, etc. Le choix des sujets est très bon, en ce que l’auteur a vraiment sélectionné les histoires les plus révélatrices de tout ce petit monde d’Internet, de Facebook, d’Instagram : un monde fait de narcissisme, de bêtise, d’ennui et de fuite de la réalité. Ces récits sont suivis par un texte autobiographique, intitulé « Internet et moi, une confession », dans lequel l’auteur relate avec une grande franchise ses mésaventures sentimentales via Facebook.
Que dire de cet Infernet ? Il faut reconnaître à l’auteur un vrai talent de conteur. Ces histoires sordides sont souvent captivantes, et relatées avec beaucoup de rythme et de savoir-faire. À cet égard c’est une lecture très plaisante. Là où le bât blesse, c’est que Pacôme Thiellement ne se contente pas de raconter, il prétend aussi analyser, expliquer, juger. En un mot il a aussi des prétentions intellectuelles. Et dès qu’il bascule dans ce registre, il tombe dans la lourdeur et les platitudes, telles que : « Les représentations de la divinité ont toujours été un mélange des deux grandes aspirations contradictoires de l’humanité : la quête de justice et l’appétit du pouvoir. » Voilà une question millénaire rondement élucidée ! Et toutes ces petites histoires piquantes et dérisoires de notre modernité sont examinées à travers le prisme de cette philosophie de comptoir, pataude et contente d’elle-même. Le problème c’est que Pacôme Thiellement, si sympathique qu’il puisse être par ailleurs, n’est ni un penseur ni un sociologue.
Ce n’est pas un penseur : il est totalement dépourvu de ce caractère délié de l’esprit, de cette fermeté de la vision et du propos, de cet empire sur soi-même qui caractérisent les vrais penseurs. Il vient du monde de la bande-dessinée, de Hara-Kiri et du professeur Choron, de la dérision et du rire gras. Dès qu’il s’efforce de réfléchir, de prendre de la hauteur, il tombe dans les clichés, dans les formules toutes faites. Le monde de l’abstraction n’est pas fait pour lui, c’est un enfant des images et des écrans, comme tant de nos contemporains. D’où le côté laborieux de ses analyses.
Et ce n’est pas un sociologue : on ne trouve dans Infernet aucune réflexion d’ensemble sur le phénomène d’Internet, en le replaçant dans les perspectives plus larges de l’aliénation technicienne et de la désagrégation émotionnelle moderne. Il se contente d’enfiler les lieux communs sur l’être humain qui a soif de reconnaissance et d’amour. Comme s’il s’agissait seulement de cela ! Le gnostique Thiellement n’est doté d’aucune base théorique (marxiste, biblique, platonicienne, freudienne, que sais-je) qui lui permettrait de mettre en perspective les phénomènes qu’il observe. Il se contente dès lors de jugements moraux de surface sur la nocivité de Facebook, sans jamais approfondir vraiment les ressorts fondamentaux du système qu’il a sous les yeux.
Et c’est là l’aspect le plus irritant – et paradoxal – de cet Infernet : en critiquant Internet, Thiellement est tombé précisément dans le travers principal d’Internet : l’enchaînement de poncifs péremptoires en guise de pensée. C’est comme s’il avait été contaminé par son sujet. En lisant son livre, on a parfois l’impression de lire un post de forum ou un message Facebook. Ce sont les mêmes formules définitives et creuses, faisant appel aux capacités les plus superficielles de l’intelligence. Que tout cela est lourd, mon Dieu… Suis-je donc si différent des autres ?
Ce personnage ne m'est pas inconnu, j'ai vu une émission de lui (sur Blast ?) à propos des cathares, qui ne m'a pas semblé entachée d'erreurs historiques. Je me méfie tout de même un peu de l'aspect gourou que peut présenter l'allure du bonhomme et son ambition de "révéler" une histoire occultée... Et aussi de tout discours qui a parti lié avec le religieux, donc l'irrationnel, la croyance arbitraire...
RépondreSupprimerEn effet, cher Johnathan Razorback, Pacôme Thiellement s’est lancé sur Blast dans toute une série de vidéos sur une version alternative de l’histoire de France. La série de vidéos dont est issu Infernet avait précédé. Ce n’est pas le premier article que je consacre à Thiellement sur ce blog, donc j’ai déjà eu l’occasion d’exprimer mes réserves à son endroit. Il jouit d’une certaine image de penseur profond, alors qu’en fait ce n’est pas vraiment le cas. Mais c’est un bon conteur, et une personnalité atypique. Enfin, je ne suis pas sûr qu’on puisse le qualifier de religieux. Toute sa démarche repose sur des attaques à l’égard de l’Eglise de Rome, et même sur un anti-biblisme qui frôle parfois certains relents antisémites (le média Blast étant à cet égard plus que suspect). Et son gnosticisme alternatif me semble plus polémique et verbal qu’enraciné dans une pratique authentiquement spirituelle.
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