- Lu Le Christ grec de Bruno Delorme, sans aucun plaisir. Thèse selon laquelle c'est la tragédie grecque, la rhétorique et Aristote qui sont à l'origine de la puissance évocatrice des évangiles, qui elle-même serait à l'origine, à elle seule, de la puissance d'attraction du christianisme. Double erreur donc. Toujours la même incapacité des modernes à saisir l'esprit des textes, et ici en l'occurrence la spécificité de la révélation biblique. Du reste ouvrage assez vague, qui repose plus sur des intuitions et sur des impressions que sur les textes eux-mêmes, lesquels ne sont presque jamais cités. Toujours la même tentation (depuis Renan) d'expliquer humainement et psychologiquement le christianisme, que l'on réduit à cela, à la matérialisation de vagues aspirations humaines au sublime et à la transcendance.
- Ce qui est amusant avec le livre de Delorme, c'est qu'il passe précisément à côté du seul point de contact que l'on pourrait établir entre la révélation néotestamentaire et le paganisme : l'assimilation-contradiction entre le Christ et César (le Christ étant un substitut à César, et César étant l'Antéchrist). Là il y avait des choses à creuser, sur le plan de la concurrence des fidélités, du salut du monde, de l'antinomie entre politique et foi, etc. Et c'est précisément ce dont Delorme ne parle pas. C'est que l'on se situe là sur le plan existentiel, vécu, objectif, et non plus sur les plans littéraire ou rhétorique auxquels il se cantonne (superficiellement d'ailleurs).
- Lu Droit naturel et histoire de Leo Strauss (moins trois chapitres sur Weber, Locke et Burke), sans grand plaisir. Gêné par ce style qui se situe entre la paraphrase et le positionnement idéologique, sans que l'on sache bien où s'arrête l'une et où commence l'autre. Style prolixe, plat, sans aspérités, assez ennuyeux. Et ce qui serait vraiment intéressant et éclairant dans cette question manque, à savoir : pourquoi un juif allemand des années cinquante a-t-il éprouvé le besoin d'étudier et de s'accaparer les théories politiques de Platon, Aristote, Thomas d'Aquin, Rousseau, etc. ?
- Pourquoi Lovecraft possède-t-il un tel pouvoir d'attraction à notre époque ? C'est parce qu'il représente un univers totalement dénué de relations humaines. Les gens sont épuisés et traumatisés par l'inflation relationnelle de notre époque, où l'on se heurte à des susceptibilités et à de la bêtise à chaque pas. Lovecraft représente un univers sans dialogues, sans femmes, sans froissements intersubjectifs. Le narrateur est seul face à des monstres antédiluviens, ce qui est paradoxalement très reposant en comparaison de l'hystérie quotidienne. Une horreur solitaire, face à des monstres muets, avec lesquels aucune communication n'est même concevable, semble préférable au cauchemar communicationnel dans lequel nous sommes tous plongés. C'est bien là la source – inavouée, parfois inconsciente – de l'extraordinaire pouvoir d'attraction dont jouit Lovecraft de nos jours.