28 décembre 2012

1977

      J’écoute un disque de Chopin et mes yeux, en feuilletant le livret, tombent sur la date de l’enregistrement : 1977. Je pense à 1977. Voilà une année réelle, chargée d’une coloration particulière, de cette teinte un peu mélancolique de la fin des années soixante-dix. Je pense à 1993 et à 1994, deux années un peu mortifères également (Bérégovoy, Kurt Cobain, Ayrton Senna), deux années si contrastées, si fécondes en chefs-d’œuvre artistiques (Ace of Base, True Romance, Pulp fiction). Je pense à 1998, une explosion de joie et de puissance, une grande confiance en l’avenir. Je pense à toutes ces années qui chacune ont une signification pour moi. Jusqu’à une époque récente, chacune avait sa singularité, son identité particulière, sombre ou éclatante. Maintenant, je pense à 2003, à 2006, à 2009, et je ne vois rien. Le vide. Une longue étendue indéterminée, faite de téléréalité, de vulgarité, de gens qui mangent, qui dorment, qui cherchent à faire de l’argent. Rien, aucun souvenir saillant, à part peut-être la mort de Jean-Paul II en 2005 et celle de Michael Jackson en 2009. Que s’est-il donc passé ? Dans quelle ère sommes-nous entrés ? Comment avons-nous fait pour disparaître des radars du temps ?
      Oh ! je t’entends, voix de la raison ! Tu me dis : « Tout ceci n’est qu’illusion. La vie n’a jamais quitté le présent. Tes propos reflètent l’égarement de celui qui introduit sa propre subjectivité là où elle n’a pas lieu d’être. » Et pourtant, je ne puis me défaire du sentiment que l’immédiat, le court terme, a pris la place de ce qui autrefois s’inscrivait dans une durée. Le sens, si unifié naguère (et je pense à François Mitterrand, l’homme de l’unité et des grands desseins) a disparu. La sensation fugace a tout recouvert. Toi-même, ami lecteur, tu lis ces mots, mais dans cinq minutes où sera-tu ? Où étais-tu il y a cinq minutes ? Ô technologie ! fille bâtarde de l’intelligence et de la cupidité ! grâce à toi je m’exprime, tu m’as donné la parole, mais tu m’as pris le temps !

2 commentaires:

  1. Oh, cher Laconique, vos propos sombres sur l'"ère" actuelle rejoignent ceux prophétiques que je tiens dans mon nouveau chef-d'oeuvre incontestable et fraîchement posté sur mon excellentissime site : "Les derniers seront les premiers". Les grands esprits se rencontrent et nous avons sans doute senti tous deux, à l'approche de la nouvelle année et après la prédiction ratée des mayas, malheureusement ratée car un peu d'animation n'aurait pas été pour me déplaire, le besoin de nous exprimer sur les temps présents. Brillant constat pour vous et poème aux accents prophétiques pour moi, chaque texte peut renvoyer à l'autre et nous nous complétons !

    En ce qui concerne le fond même de votre texte, je ne suis toutefois pas entièrement d'accord et serais tenté d'avancer comme explications l'hypothèse que précautionneusement vous citez pour faire taire vos futurs contradicteurs. J'ajouterai que cette sensation subjective est due principalement au fait que les premières années imprègnent davantage notre esprit puisque nous découvrons le monde, chaque nouveauté faisant forte impression et s'inscrivant avec les émotions associées durablement dans notre mémoire. C'est un phénomène on ne peut plus logique et je me rappelle d'ailleurs avoir lu un truc en rapport chez un philosophe, peut-être Schopenhauer, dites-moi, vous qui êtes un expert.

    Cela étant dit, je ne peux m'empêcher de vous rejoindre sur le fait que le monde dans lequel nous vivons aujourd'hui est en perte de sens, celle-ci étant liée à l'appauvrissement culturel. Tous s'uniformise, tout est "fugace", le plaisir immédiat a pris la place du lent enrichissement personnel et l'explosion technologique est censée masquer la décrépitude des valeurs saines et nobles !

    Mais Le Marginal Magnifique lutte, cher Laconique, il lutte, et il encule à outrance la "fille bâtarde de l’intelligence et de la cupidité", il l'encule, cher Laconique, et elle hurle, la garce ! Je ne pouvais pas vous laisser sans un ou deux mots doux, à bientôt... :-)

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  2. Vous faites bien de signaler votre poème, superbe apologie de l’utilité du krav-maga dans les temps qui viennent ! Je me suis précipité dessus, et j’invite tous ceux qui passent par ici à en faire autant. Oui, nous avons tous les deux senti le souffle de l’apocalypse, et nous pressentons tous les deux que 2013, date fatidique et hautement symbolique, ne présage rien de bon… Tout est cycle dans la vie, et il faudra sans doute passer par là pour que la vérité se rétablisse, en 2014 par exemple.

    Oui, vous avez raison, je crois que c’est Schopenhauer dans ses « Aphorismes sur le bonheur dans la vie » qui soutient que les premières années d’une vie sont celles dont on se souvient le mieux. Nous avons donc eu de la chance de passer notre enfance dans une meilleure époque que l’époque actuelle ! Mais je ne pense pas que tout soit question de subjectivité et d’expérience personnelle : 1976 m’apparaît bien plus nettement, avec son identité propre (Jimmy Carter, « Rocky », « Star Wars ») que 2004, et pourtant je n’ai pas vécu la première de ces deux dates…

    La technologie mérite le traitement que vous lui infligez ! Elle est le vecteur de pas mal de connerie, il faut bien le reconnaître… Et le membre démesuré du Marginal fait bien de lui enseigner qui est le maître, de l’intelligence ou de la bêtise vulgaire !

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