14 août 2015

Philippe Sollers : Un vrai roman


        Lu, un peu en diagonale, Un vrai roman. Mémoires, de Philippe Sollers. Combien tout ceci me déplaît… Je ne connais rien de plus irritant que ce mélange d’orgueil et de prétention d’une part (s’il est si certain d’être lu en 2036, en 3007, de passionner les « historiens » futurs, à quoi bon le répéter à chaque page ?), de superficialité et de paresse de l’autre (qui est Sollers pour juger François Mitterrand « médiocre », Victor Hugo (Victor Hugo !) « brouillon », etc. ?). Le problème de Philippe Sollers, c’est qu’il ne lit pas, il pioche des citations au hasard (il ne s’en cache même pas) et il flatte son ego en délirant dessus. Et ses livres ont le caractère superficiel et désordonné de ses lectures. Il y a tout de même une chose divertissante dans cet ouvrage, c’est d’observer le conflit permanent entre la vanité de l’auteur et la réalité de son œuvre. Sollers s’offusque par exemple que Guy Debord l’ait comparé à Cocteau (« Je rêve », écrit-il, s’estimant sans doute infiniment supérieur au remarquable auteur de La Difficulté de vivre). Or à y regarder de plus près, la comparaison n’est pas si absurde :
       Quel auteur était si mondain qu’il était la mondanité même ?
       Quel auteur a été un infatigable touche-à-tout, s'intéressant à l'art, à la musique, aux sciences, etc. ?
       Quel auteur a passé les dernières décennies de sa vie à écrire des ouvrages désabusés et paranoïaques dans lesquels il déplorait de voir son génie méconnu par ses contemporains ?
       Quel auteur a lorgné vers le catholicisme, tout en entretenant une petite mythologie personnelle faite de forces occultes, de mystères, de fées, de moi invisible, etc. ?
       Quel auteur considérait la littérature comme une sorte de prestidigitation, visant à étourdir le lecteur, à lui ouvrir de « nouveaux espaces », à le mettre dans un état second ?
       Quel auteur n’a pas lésiné sur les paradis artificiels, opium, etc. ?
       Quel auteur était obsédé par son image au point d’organiser avec soin son lieu de sépulture, de rédiger son épitaphe, etc. ?
       Tout cela nous ramène à Cocteau, bien plus qu’à Voltaire (si humble qu’il ne signait pas ses œuvres), ou à Nietzsche (qui vivait en ermite et a payé de sa raison l’intensité de son idéal), desquels Sollers se réclame sans arrêt. Encore Cocteau était-il un authentique poète, qui n’accordait pas grande importance à ses succès mondains, et ne demandait à être jugé que sur ses textes, tandis que Sollers a le ridicule de tirer vanité de ses (prétendues) innombrables bonnes fortunes. Que tout cela me déplaît…
       Je crois cependant que quelque chose restera de l’œuvre abondante de Philippe Sollers. Il y a un point qu’on ne peut lui retirer, c’est d’avoir vécu la vie qu’il voulait vivre, faite d’étourdissement, de dilettantisme, de voyages, de mondanités, etc. Son œuvre est le reflet de cette existence, et en cela elle restera signifiante. Il faut ajouter que Sollers est resté très détaché par rapport à toutes les questions d’argent, ce qui est indéniablement la marque d’une nature distinguée. Il ne s’est passionné que pour deux choses, l’esthétique sous toutes ses formes, et son narcissisme. Ce qui, somme toute, est déjà la moitié d’une démarche estimable.

16 commentaires:

  1. Éh bien, cher Laconique je reconnais là votre passion avouée et sporadique pour les écrivaillons actuels mondains : Begbeider, Rey, Foenkinos dans une moindre mesure... Vous êtes curieux et ne laissez aucun domaine de la littérature inexploré, c'est tout à votre honneur. N'avez-vous cependant aucun scrupule à donner du fric à ces raclures infatués et libidineuses ?

    Pour ma part, je n'ai pas lu Sollers encore et je ne crois pas que je m'y mette un jour, tant les livres cultes à lire abondent au contraire du temps, et bien que ce "vrai roman" présente l'intérêt d'être un ouvrage autobiographique (c'est toujours cool de découvrir la vie d'un type, surtout que j'imagine celle de Sollers dissolue). Puis, il faut ajouter que vous ne m'en donnez pas envie particulièrement dans votre article. Je remarque d'ailleurs que vous vous faites plus long paradoxalement sur un sujet qui vous "déplaît".

    Enfin, pour ma part, je fais court : le mois d'août et l'été existent pour quelques semaines encore, alors ma tête n'est pas au web...

    RépondreSupprimer
  2. Vous me faites rire cher Marginal ! Je ne crois pas que Philippe Sollers serait ravi de se faire traiter d’« écrivaillon », de « raclure infatuée et libidineuse »… Je ne peux pas vous donner complètement tort cependant. Je ferais toutefois une exception pour Nicolas Rey, chez qui j’ai trouvé, en dépit de son apparence « dandy » au possible, quelque chose d’authentique, une humanité, une élégance qui font que je le placerais au-dessus de ses comparses. Ce qui est amusant c’est que, dans ma vie, je me suis déplacé trois fois dans des événements publics en vue de rencontrer tour à tour Sollers, Beigbeder et Rey, et que les trois fois les divas ont posé un lapin à leurs lecteurs…

    Il faut bien acheter les livres si on veut les lire, je ne vais pas les voler. Pour quelques euros, ils ne les emporteront pas au Paradis… J’ai aussi filé pas mal de fric à Houellebecq, j’ai financé ses beuveries. Mais après tout il ne faut pas être ingrat, tous ces auteurs m’ont procuré ne serait-ce que quelques instants de divertissement, et je préfère qu’ils continuent à écrire et à faire le spectacle plutôt que d’aller travailler à l’usine et de laisser toute la place médiatique à nos désespérants politiques. Il vaut mieux donner du fric à la boutique du Marginal Magnifique, je le reconnais bien volontiers !

    Sollers est un sujet riche, à la fois malin et corrompu, c’est pour ça que j’ai fait long. Un bon commentaire, pas plus qu'un bon article, n'a pas besoin d'être long, mais rassurez-vous, cher Marginal, en deux lignes « vous avez fait ma journée », comme disent les Américains !

    RépondreSupprimer
  3. Ha, Philippe Sollers ! Tout un poème. Il n’est guère sage de polémiquer au sujet d’un auteur que l’on a pas lu, mais dans le cas de Sollers, l’imposture paraît tellement grosse que je vais prendre le risque. Sollers, l’homme qui ose se réclamer de Nietzsche (dans Une vie divine), en ayant l’existence la plus conformiste d’un écrivain mondain de Paris…L’homme qui encense Guy Debord en étant le contraire d’un anarchiste révolutionnaire…Imposture disais-je, mise en scène grotesque pour épater le bourgeois, absence d’authenticité, mort (« La mère de la débauche n'est pas la joie mais l'absence de joie. » -Nietzsche).

    Quant à ses fréquentations…qu’attendre de bon d’un ex-maoïste, ami de l’équipe des véritables « Quatre Fantastiques », je veux dire les structuralistes (Barthes, Althusser-à-rien, Foucault, Lacan)…eux dont l’apport intellectuel est inversement proportionnel à leur notoriété respective (sauf en ce qui concerne Foucault, et encore, je ne peux lui pardonner ses courbettes devant l’ignoble Sartre…).

    C’est encore Bourdieu qui aura eu le mot le plus juste : « Il est l'incarnation idéale typique de l'histoire individuelle et collective de toute une génération d'écrivains d'ambition, de tous ceux qui, pour être passés, en moins de trente ans, des terrorismes maoïstes ou trotskystes aux positions de pouvoir dans la banque, les assurances, la politique ou le journalisme, lui accorderont volontiers leur indulgence. » (Pierre Bourdieu, Sollers tel quel, Libération, 27 janvier 1995).

    Et l’on pourrait conclure ironiquement : « ô splendide Nouveau Monde, qui comporte de pareils habitants ! » (Shakespeare, La Tempête).

    Je ne peux que rejoindre le Marginal Magnifique : il est mauvais de s’infliger pareille lecture. A moins, cher Laconique, que vous n’ambitionnez de dépeindre, dans une sorte de tableau baudelairien, la fange de l’époque ? Ambition grave, risquée même, je me permets donc de vous offrir cet autre aphorisme de Nietzsche en guise de mise en garde : « A trop combattre le dragon, on devient dragon soi-même ».

    RépondreSupprimer
  4. Hé bien cher Johnathan Razorback, j’aurai du moins stimulé votre verve ! Vous avez un vrai talent pour la polémique et l’invective, comme vous l’aviez déjà montré à propos de Jacques Attali. En plus vous êtes informé, vous avez de solides munitions, et un bagage intellectuel qui vous permet de terrasser aisément les « dragons » du petit milieu littéraire. Bon, je vois que vous n’êtes pas fan de Sollers, et sur ce coup-là je ne vais pas vous contredire. Je ne vais pas en rajouter non plus, et je me contenterai de dire, sans porter le moindre jugement sur le personnage public, que je trouve une grande disproportion entre les prétentions de Sollers et la qualité effective de ses livres.

    En tout cas vous avez vu juste : j’ai balancé un peu avant de rédiger ce compte-rendu de lecture, convaincu avec le Sage que « l'âme qui bénit prospérera » (« Proverbes », 11,25), et que la critique répétée de la médiocrité a surtout pour effet de tirer vers la médiocrité. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je m’efforce ici surtout de louer, même si c’est un exercice parfois moins jubilatoire que la franche invective. Je vais donc terminer sur une note positive : Sollers, avec tous ses défauts, m’a quand même procuré pas mal de bons moments, des frissons de très courte amplitude il est vrai, mais de nature purement esthétique, et rien que pour ça il ne mérite pas l’enfer, mais le purgatoire seulement. (Je n’oublie pas non plus qu’il a appelé à voter pour Ségolène Royal en 2007.)

    RépondreSupprimer
  5. Tout ceci est d'une bêtise crasse et d'une méchanceté ! Je ne vous salue pas Messieurs les donneurs de leçons. Un tas de jaloux ni plus ni moins !

    RépondreSupprimer
  6. Mieux vaut un vrai orgueil assumé que votre fausse humilité qui pue la fatuité et l'hypocrisie. Molière se serait fait une joie de mettre en pièce votre ridicule. J'aime lire Sollers il est pour moi une source inépuisable de méditation. Lui est un vrai lecteur et un véritable adorateur de la littérature et il a pour lui une œuvre immense et vous parlez-nous de vos œuvres qu'on rigole un peu ! Quant au fait qu'il a de l'argent tant mieux pour lui je ne suis pas jaloux (pourtant je suis désargenté depuis toujours étant ouvrier). Et vous dites-nous combien vous avez sur votre compte en banque, ou vos comptes (allez un peu de courage avouez que vous en avez un peu en Suisse) et vive la littérature malgré et envers tous ses pourfendeurs !

    RépondreSupprimer
  7. Eh bien voilà un message qui a le mérite de la franchise ! Je n’ai jamais fait grief à Sollers d’être fortuné, au contraire je le loue d’être détaché par rapport à ces questions. En ce qui concerne mes comptes en Suisse, c’est mon affaire, je ne vois pas ce que ça a à faire ici. Bon venons-en à l’essentiel : si vous appréciez les livres de Philippe Sollers, c’est que vous n’avez vraiment pas de goût en matière littéraire. Je me suis efforcé de rester soft, parce que je ne fais pas dans la polémique, mais Sollers c’est vraiment le niveau zéro de la littérature. C’est un esthète dévoyé et superficiel qui utilise son influence pour flatter son narcissisme, rien de plus. Je n’ai pas cité de phrases dans mon article pour ne pas en rajouter, mais puisque vous m’y invitez je vous livre des extraits de sa prose :
    p. 48-49 : « Entre nous je crois être un des très rares écrivains français à connaître la Bible à fond. C’est indispensable. »
    p. 90 : « J’ai sans doute une apparence physique agréable, une expérience sexuelle déjà considérable comparée à celle des garçons de mon âge. »
    p. 310-311 : « Paradis (premier volume 1981, deuxième, 1986) est de loin le plus grand poème du vingtième siècle » (sic).
    Voilà sans conteste une grande contribution à la littérature française !

    RépondreSupprimer
  8. "Lu, un peu en diagonale, "Un vrai roman. Mémoires" de Philippe Sollers" (Laconique; là con j'te nique)
    "Ha, Philippe Sollers ! Tout un poème, il n'est guère sage de polémiquer au sujet d'un auteur que l'on n'a pas lu, mais dans le cas de Sollers, l'imposture paraît tellement grosse que je vais prendre le risque." (Razorback; là j'te fous des coups de rasoirs).
    L'un n'a pas lu Sollers, l'autre en diagonale... Bravo les champions ! Moi j'appelle ça des phrases de branleurs et de Jean-foutre.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bouh le méchant !

      Même si je suis épargné pour le coup, je ne peux resté indifférent : c'est facile de se foutre des pseudos et de se montrer hargneux lorsque l'on se planque derrière l'anonymat. Beaucoup d'agressivité caché derrière un écran, la marque des faibles en somme...

      Ce serait pas plus cool de pratiquer l'ouverture d'esprit ici et de respecter l'avis d'autrui ?

      Supprimer
  9. Répétez après MOI : Sollers mondain ! Sollers mondain ! Sollers mondain ! ... Vous me l'écrirez cinq cent fois, vous le répèterez partout autour de vous surtout dans les médias. C'est bon ça les enfants, votre récompense sera grande ici et maintenant et surtout "Carpe diem", que la fortune vous sourie !

    RépondreSupprimer
  10. Je vous trouve bien agressif mon ami. Ici c’est un lieu où on parle de littérature avec humour et détachement, ce que mes interlocuteurs ont bien compris contrairement à vous. Vous aimez Sollers, vous avez le droit, je n’aime pas ses livres (je m’en suis procuré plusieurs, ce n’est pas ma faute si je n’ai pu en finir aucun), c’est mon droit aussi. Merci quand même pour votre avis et puissiez-vous acquérir un peu de tolérance par vos lectures futures…

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Éh, vous prenez cher, mon bon Laconique ! C'est signe que vous êtes sur la bonne voie, car comme l'affirme Bukowski : “Je l'ai toujours dit, si on arrive à se faire haïr, on sait que le boulot est bien fait”.

      Supprimer
    2. Il a toujours le mot juste ce Bukowski ! Notre ami fan de Sollers ferait bien de lire un peu Le Marginal Magnifique, ça lui ouvrirait l’esprit !

      Supprimer
    3. Je ne vous le fais pas dire, cher Laconique !

      Supprimer
  11. Sans haine ni rancune, avec amour pour vous et pour Sollers pour lequel j'ai le plus grand respect.

    RépondreSupprimer
  12. On ne peut pas être absolument mauvais. Pourtant, avec Sollers... Mais attention! Ce serait lui faire un si grand honneur de le "distinguer" même dans le négatif. Ce que j'en pense: un personnage de cour, qui connait à chaque époque les usages, bien lettré; mais petit en tout, moche, servile, infatué, trop pressé de se complaire. Un champion du paraître, mais petit: il est malheureusement tombé dans une époque de grands champions toutes catégories. Tout jeune il a porté la valise de Malraux, c'est lui même qui l'écrit dans Tel Quel. Voilà, j'ai trouvé: c'est un petit porteur.

    RépondreSupprimer