13 novembre 2013

L'esprit dompté

 
      J’ouvre le Dhammapada, le recueil des paroles du Bouddha, et je lis les versets suivants :
 
      Mon esprit autrefois courait le monde
      Selon son désir, son plaisir et son envie.
      Désormais, je l’apprivoise entièrement,
      Comme un cornac, avec son croc,
      Maîtrise un éléphant en rut.

      Jamais paroles plus nobles ont-elles été prononcées ? Jamais combat plus ardu a-t-il été remporté ? Il ne s’agit plus ici seulement de combattre ses penchants, comme tous les philosophes sérieux nous y incitent. Le champ de bataille se situe encore une strate plus bas, au niveau des manifestations les plus instinctives et les plus immédiates de notre subjectivité : au niveau des pensées.
      Peut-on se représenter l’existence de celui qui s’est engagé sur un tel chemin ? La lutte, pour lui, ne cesse jamais, et la maîtrise qu’il a décidé d’acquérir sur lui-même doit être maintenue au prix d’une vigilance de tous les instants. Il est vrai que les fruits en valent la peine : une souveraineté absolue et définitive sur soi-même, et donc sur son environnement ; l’affranchissement progressif des chaînes de la causalité psychique.
      Hé bien ! suivons la même voie. J’ai assez arpenté les pentes stériles de la rêverie. J’ai assez nourri mon ego des déjections d’un cerveau abandonné à lui-même. Désormais, je veux imposer à mon esprit un joug d’acier. Je veux mener chacune de mes pensées sur le sentier de la rectitude et du salut. Je ne veux plus dériver. Je veux me battre.

(Illustration empruntée à ce site.)

6 commentaires:

  1. Ah, cher Laconique, vous donnez du boulot au Marginal Magnifique avec votre prolifique Goût des lettres (ça y est, c'est réglé pour le placement de produits) !

    Je dois avouer, cher Laconique, que votre article est court mais que vous n'avez pas besoin d'en rajouter, tant la citation, dont le choix témoigne d'un goût plus que certain, est limpide et parle d'elle-même !

    La comparaison faite avec un "éléphant", qui plus est "en rut", laisse parfaitement imaginer la difficulté de l'entreprise consistant à maîtriser non seulement ses instincts primaires, mais aussi, "une strate plus bas, pour ma part j'aurais dit "une strate plus haut", le cours de ses pensées. Parbleu, cher Laconique, tenir sous son contrôle l'énorme bête et son chibre turgescent ne doit pas être une mince affaire ! Sans doute le Bouddha, s'il avait écrit cela en notre temps et en Occident, aurait-il proposé à la place du cornac Anne Sinclair et en matière d'éléphant son DSK...

    Et pour continuer dans la veine moderne, j'ai bien enive de dire que, en somme, c'est un peu à une leçon de PNL avant l'heure que nous convie bouddah. Peut-on qualifier Tony Robbins de nouveau bouddha du coup ? Ça c'est le genre de réflexion qui va vous plaire, je sens, cher Laconique...

    En tout cas, vos dernières phrases empreintes de noblesses se raccourcissent et témoignent de votre volonté de ne plus tergiverser, cher Laconique, vous êtes un guerrier du contrôle de soi et de la noblesse d'âme !

    Mais je me pose une question qui m'effraie, moi qui aussi entends parvenir à "l'affranchissement progressif des chaînes de la causalité psychique" : cela est-il bien possible ? Ne sommes-nous pas soumis, malgré toute notre volonté, à des connexions synaptiques forgées dès la plus tendres enfances qui nous maintiennent, au niveau le plus général, dans des modes de fonctionnement de pensées auxquels on ne pourra jamais se soustraire et qui nous renvoient malgré nous à des automatismes ? Enfin, je suis un peu dur là, cher Laconique, je ne sais pas si j'ai été très clair, puis je suis troublé aussi il faut dire, ces histoires d'animaux en rut m'ont échauffé les sens comme, je suppose, ceux de vos innombrables lecteurs queutards (qui se ressemble s'assemble, ça vaut aussi pour ceux qui écrivent et leurs lecteurs)...

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  2. Laconique, que vous prenez là de bonnes résolutions ! Noble et grande intention que de vouloir lutter pour rester maître de soi en se jouant de cette nature humaine dont les faiblesses engendrent bien des dérives. Une telle démarche, dans son aboutissement, doit donner un enivrant sentiment de liberté et de puissance. J'aime cette idée de s'apprivoiser en luttant contre soi-même avec comme arme sa seule volonté. pour aboutir à cet "esprit dompté" qui titre votre texte. Les versets de Bouddha et la réflexion qu'ils vous ont suscitée, vous ont inspiré ces lignes d'un enthousiasme déterminé qui donnent envie de vous suivre sur ce chemin de sagesse et de victoire sur soi qui ne peut conduire qu'à une paix d'autant plus méritée que loin d'être facile à atteindre. Mais ce "je veux me battre" qui termine votre texte est porteur d'un magnifique espoir pour tous ceux qui voudraient croire en un homme meileur pour un monde plus sensé. Votre "esprit dompté" est un sacré idéal de philosophie morale. Bonne soirée.

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    1. Merci pour votre commentaire, vous avez bien compris les enjeux et les difficultés d’une telle démarche. Ce qui crée l’enthousiasme, c’est de lire des textes de sagesse d’une haute tenue, et le Dhammapada en fait incontestablement partie. Après, dans mon texte, il y a une part de mise en forme littéraire : le vrai travail sur soi-même se fait dans la durée, et les résolutions affichées de façon péremptoire ne sont pas toujours tenues. Il faut aussi une part d’humilité pour se contraindre à une discipline régulière et en retirer les fruits. En bref, mon texte est davantage un hommage à de nobles paroles du Bouddha qu’une authentique confession personnelle. Pour mesurer l’intégrité d’une vie, les mots ne suffisent pas, seul le temps est un bon juge en la matière, et ça vaut pour tout le monde… Bonne journée à vous.

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  3. Et oui, cher Marginal, je vous donne du boulot, mais ça vous permet aussi d’exprimer votre talent, ce qui est quand même, reconnaissez-le, bien appréciable. Il faut dire que celui-ci ne resplendit nulle part ailleurs aussi vivement qu’à sa source, à savoir le site officiel et unique du Marginal Magnifique, mais il ne se manifeste jamais sur le net sans créer des remous et des étincelles, et je suis fier de figurer à côté d’autres sites prestigieux, que je ne nommerai pas, où votre plume s’exerce régulièrement. D’ailleurs, je ne suis pas si prolifique que ça, un article tous les quinze jours c’est très raisonnable, ne soyez pas fainéant cher Marginal, une personnalité comme la vôtre se doit de produire et de rayonner, autrement il fallait rester un rustre comme tant d’autres.

    Je ne saurais trop vous recommander la lecture du « Dhammapada ». C’est un des plus anciens et des plus illustres textes bouddhiques, qui remonte à la source même du Bouddha historique, et c’est un ouvrage d’une richesse et d’une limpidité comme il y en a peu. Pourtant, d’ordinaire, je ne suis pas fan des textes bouddhiques, que je trouve un peu lourds et redondants, mais là c’est tout ce qu’il y a de plus concis. Je vous conseille la traduction de Le Dong dans la collection Seuil/Points/Sagesse, c’est parfait. D’ailleurs les nombreux lecteurs de votre page Facebook ont pu constater la proximité qui existe entre le Marginal et le Dhammapada, avec un choix de citations très judicieux. Ma foi, si je devais résumer cet ouvrage en trois préceptes, je dirai : détachement, maîtrise de soi, respect de toutes les formes de vie. N’est-ce pas là la Voie du Marginal ? C’est aussi la mienne, même si j’ai sans doute des progrès à faire sur le troisième point, car je n’ai pas encore renoncé aux Double Cheeses chez Mc Donald de temps à autre… Mais ça viendra ! tout comme DSK finira bien par renoncer aux boîtes à partouze, je n’en doute pas !

    Je suis sûr que Tony Robbins approuverait le Dhammapada. Mettre de l’ordre dans ses pensées, les diriger plutôt que les subir, ce sont là des préceptes universels. Tenez, je vous propose en bonus une pensée d’Épictète, que l’on aurait tout à fait pu trouver dans « Pouvoir illimité » ou chez le Bouddha : « À partir de maintenant, ma pensée est pour moi une matière comme le bois pour le charpentier et le cuir pour le cordonnier ; mon métier, c’est l’usage correct des représentations. » («Entretiens », III, 22.). Au fond, la vérité est une, et toutes les théories sérieuses se rejoignent. Après, c’est une question d’esthétique, d’actualisation, de sensibilité personnelle…

    Ma foi, la fin de votre commentaire ouvre des aperçus très féconds, et demanderait tout un développement nouveau pour y répondre. Y a-t-il en nous des « automatismes » psychiques irréductibles, dus à des « connexions synaptiques forgées dès notre plus tendre enfance » ? Vous n’y allez pas avec le dos de la cuillère, cher Marginal, vous envoyez du lourd là… Je vous avoue que je n’ai pas réfléchi intensément à l’existence en nous de telles déterminations, mais elles doivent exister, c’est sûr. Mais je crois aussi qu’on peut arriver à les modifier, par diverses pratiques telles que la méditation, l’activité physique, la lecture, etc. Et ce n’est pas Tony Robbins qui vous dira le contraire, lui qui nous propose de nous transformer en robots pour réussir socialement et gagner plein d’argent. Mais je finis sur une note un peu ironique, ce n’est pas bien, et si le Marginal, avec son indépendance d’esprit sans pareille, valide la démarche de Tony Robbins et de la PNL, c’est qu’il y a du bon là dedans !

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    1. Bof, je "valide", je "valide", il me dégoûte un peu quand même aussi ce Robbins... Je pisse sur les robots sociaux.

      En tout cas c'est très juste ce que vous dites : "la vérité est une, et toutes les théories sérieuses se rejoignent. Après, c’est une question d’esthétique, d’actualisation, de sensibilité personnelle…"

      Bravo, cher Laconique, on ne saurait mieux s'exprimer que vous !

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    2. Robbins est stimulant parfois, mais c’est vrai que vous et moi on doit viser plus haut, cher Marginal !

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